Wilfrid Lemoine, Les Pas sur terre, Montréal, Chanteclerc,
1953, 125 pages.
Les Pas sur terre n’est pas qu’un recueil de poésie, même si
l’essentiel est formé de poèmes. On y trouve aussi de petites pièces
dramatiques et deux textes en prose. Le style de Lemoine est tantôt très
simple, presque au premier degré, tantôt obscur, utilisant le procédé de
l’allégorie.
Le recueil est formé de six
parties. Il me semble que la recherche de l’identité sexuelle est au cœur du
recueil. Tout le reste – le malaise qui découle d’une sexualité mal assumée -
dérive de ce thème premier.
Le recueil s’ouvre sur des visions
assez apocalyptiques de la ville : « Les tramways rampaient sur leurs
fils d'acier / Comme des chenilles crevées remplies de pétrole / Incandescent /
Et l'odeur des ouvriers sales se répandait dans la rue / Pour embuer les
affiches criardes / Qui allumaient / Et éteignaient / Et rallumaient / Leurs
mensonges rouges / Leurs rêves puérils / La contrefaçon de la ville ».
À l’instar des « poètes de
la solitude », le poète se sent étranger dans ce monde: « Je marche
dans le sable d'un chemin désert / Où les arbres m'effraient sous de longs bras
morts / Mes semelles durcies traînent la poussière de celui que je fus / Jusque
sur le chemin désert où j'avance meurtri ».
Le mal être est en partie causé
par l’abandon amoureux : « Où es-tu quand je suis seul / A quoi
penses-tu quand je rêve / Où vas-tu quand je marche / Dans les rues longues du
soir / Qui vois-tu quand j'éteins ma lampe / Et brûle les papillons noirs / Quand
le désir tourmente mon lit. […] / Appuyé au vieil érable de l’an passé /
Si seulement tu passais / Et si je te voyais / J’ouvrirais les volets ».
Peut-être est-ce tout autant l’amour défendu : « Angioletta petit
Amour de Venise / La mer chaude d’Italie / Se mire bleue / Entre tes cils
soyeux / Qui se referment / Et engloutissent / La chaleur de ton pays ».
Même barricadé dans « sa
vérité », il sent que la pression du monde extérieur peut jeter à terre
l’édifice : « Aujourd'hui le brouillard colle à mes fenêtres / Comme
l'eau dans les hublots / Les corbeaux s'écrasent et meurent sur ma porte de fer
/ Sans que je frémisse / Le vent gémit dans les peupliers de mon jardin troublé
/ Mais je ne l'entends pas / Les murs tremblent et se lézardent en écoutant /
Les bombardiers / Aujourd'hui le cataclysme revient mais je colle à ma vie /
Comme la flamme noire au charbon rouge ».
Suivent quelques textes qui ne
sont pas poétiques : « Le voleur de lune » est un scénario de
ballet dans lequel un éphèbe, rejeté et fuyant, finit par trouver son double. Dans
la « La route », deux personnages discutent de la vanité des projets
humains, la mort en étant toujours l’aboutissement absurde. Dans « L’oasis », un
homme rencontre une femme qui le dégoûte et part avec un « garçon ». Dans
« La jungle », on retrouve la femme et une ombre, ombre qui se révèle
être le garçon du désert de l’histoire précédente. Le discours est assez
confus, mais c’est la plainte de la femme rejetée par l’homme qui en émerge.
Dans « L’homme du désert », un narrateur rencontre un homme du désert
qui refuse son aide. Dans « La pierre de lune », une jeune fille rencontre
un « bel adolescent [qui] lui ressembl[e] trait pour trait » et finit
par lui emprunter tous ses traits : « … un adolescent étendu dans l’herbe
regardait surpris et avec amour son visage nouveau avec une pierre de lune au
front où semblaient se dessiner vaguement les traits d’une jeune fille qu’on
aurait cru être sa sœur. »
Le recueil se termine par une
vision assez désespérante de l’automne. Hommes, bêtes et choses meurent sous
l’action du froid. « Ils sont venus les grands arbres morts de novembre /
… / Je les ai vus les animaux affamés de novembre / … / Et je l’ai entendu le
cri des hommes de novembre / Figé dans la glace qui se forme ».
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