Gatien Lapointe, Otages de la joie, Montréal, Éditions de
Muy, 1955, 43 pages.
Lapointe écrit dans un texte
liminaire : « La chair exige de correspondre à la vie collective de
l’âme afin d’y surprendre le culte inavoué de quelque divinité, ou bien celui
d’un amour merveilleux et rare. / Le poète doit tout recommencer, si
l’ange n’était pas attentif, à partir de cette humilité consciente de n’habiter
un royaume grave et cher que si d’abord ce royaume l’affectionne et puis
l’invite tout bonnement. »
Le recueil s’inscrit d’emblée
dans ces motifs récurrents qui traversent les années 50, à savoir la tension
entre la chair et l’âme et un sentiment d’étrangeté en regard de sa communauté
d’appartenance.
Comment peut-on être
« otages de la joie »? En quoi la joie peut-elle être coercitive? Cette
joie, il me semble, se décline au passé et elle a deux sources : l’enfance
et surtout l’amour. Le poète serait en quelque sorte prisonnier des temps
heureux que retient sa mémoire.
L’enfance et l’amour ne sont pas
vraiment incarnés. Ce sont presque des entités abstraites, l’une est associée
aux temps premiers de l’innocence, l’autre à cette période de découverte de la
chair, l’une période d’harmonie, l’autre de rupture. On pourrait (j’ose) presque
dire : l’une, l’âme; l’autre, la chair. Et par sa poésie, il espère réunir
le tout et retrouver cette ancienne harmonie qui le rendait heureux. (Probablement
que ma tentative de rationalisation va trop loin mais, je le rappelle, ce
blogue n’est rien d’autre qu’un carnet de lecture.)
Commençons par l’amour qui
s’incarne dans un « tu » asexué : « J’ai sommeillé avec toi
/ Je conduisais un navire à travers le feu / Il y avait de vastes clartés sur
ton front / Et toutes les musiques se rassemblaient ». Et, toujours, cette
recherche d’une harmonie, d’un accord avec le monde : « Tu es
toujours là pourtant / Toi que j’aime / Dans chaque éclosion des flammes // Et
le monde s’unit à chacun de nos appels. » Cet amour a disparu en emportant
ses certitudes : « Tu voulais toujours t’en aller / Un matin de
lumière, t'as suivi ta route / Repliant au hasard ma belle certitude // Et les
jours reviennent, sans toi / Toi qui réunis le soleil sur mon front / Sur les
arbres de pluie dans mes songes / Où es-tu? dans quelle ville de clarté es-tu? »
L’enfance demeure le plus souvent
en arrière-plan, comme une époque de référence. « Enfant de lumière
enroulé dans l’odeur de sommeil / La fascination de l’étoile commande à tes pas
/ Les présents inviolés de la terre Couleurs de feu / Se contre balancent dans
l’approche de nuit / Fenêtres du désir aux écharpes en deuil / Les otages de la
joie ». Ici les thèmes l’amour et de l’enfance se télescopent, le second
servant de balise-étalon au premier. Il me semble que la tension âme/chair trouve
des symboles pour la porter. Et c’est encore plus clair dans ces vers :
« Dans le cœur des saisons, le matin reboise / Les ténèbres meurtris du
désir / Et tu retrouveras la liberté première de ton enfance // Les légendes
que la vie nous racontait. »
En d’autres mots, le recueil
m'apparait comme une tentative de réconcilier l’âme et la chair, de retrouver
une harmonie perdue : « La terre doit survivre à la ruine de
l’ange ». Et bien que les références religieuses soient rares, tout le
sous-texte en est imprégné; au-delà des pouvoirs exutoires de l’art, il est
évident que la religion a beaucoup à voir dans cette dissociation
âme/chair : « Je quête dans l’accalmie du feu / Un verbe poétique qui
va rapprocher de nos sens / L’intime perfection des formes // Le visage du
Christ retrouvant toute sa joie. »
Il y a une nette progression
depuis le recueil précédent. Lapointe se rapproche du style incantatoire qu’il
usera dans Ode au Saint-Laurent. Mais
il y a encore des lourdeurs et un choix du matériau littéraire qui va un peu
dans tous les sens. Comme extrait, je propose le dernier poème du recueil, avec
les quatre vers d’Éluard en épigraphe.
ÉCHO PARTAGÉ
Nous avons pénétré le feu
Il faut qu’il nous soit la santé
Nous nous levons comme les blés
Et nous ensemençons l’amour. (Paul Éluard)
J’ai marché les paumes
ouvertes vers le feu
Ses couleurs ont
transformé l’éclat de mon offrande
Le silence qui
recompose partout les gestes parfaits
Il n’y a plus de
bateaux aux ports des matins
La route qui m’a mené
à ta rencontre
A fait naître tous les
prodiges
Le monde nous attend
pour boire ensemble
Au cœur profond de la
terre
Longtemps j’ai marché dans
les mémoires du feu
Tu étais l’étendue
totale de ma prière
L’enfance oubliée
renaissait à chacun de mes pas
Plus forte et plus
sereine
Mon corps savait
d’avance les rôles futurs
Aux frontières de la
ville, j’ai vu luire la vérité
Quel appel conduit mon
âme
Vers les festins
nouveaux de la certitude
Équilibre du chemin au
fil tendu de mes paupières
Pluies de nuit ont
couvert le sol d’anneaux d’or
A chaque porte un azur
sans tache s’est ouvert
Tant de moissons qu’on
a mises en feu
Pour donner un cœur à
l’automne
Et longtemps je me
suis réchauffé à l’arôme de ce feu
J’ai recréé la musique
innombrable des braises rompues
J’ai agrandi mot par
mot les formes libres de la vie
Et tout ce que
l’enfant imagine dans ses mains tendues
Notre amour a mûri l’éclosion
des cendres
Cet étourdissement que
fait l’aube sur les songes
Dans ton attente j’ai
vécu de merveilles en merveilles
Tu étais l’écho
partagé de ma confiance
Une fine clairière
d’eau
A soudain rassemblé
les images du bois mort
A cause de toi je
tisserai mieux les lumières de l’été.
Suite à des recherches sur Gatien Lapointe, j'ai eu connaissance de l'existence de votre magnifique blogue. Merci de faire exister cet espace.
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