Lionel Boisseau, La Mer qui meurt, Montréal, Éditions du
Zodiaque & Librairie Déom Frère, 1939, 208 p. (Préface de Marie Le
Franc)
La longue préface (56 pages!) de Marie Le Franc est la reprise d'une
conférence prononcée devant L'Alliance
Française à Montréal.
Le récit se passe à Grande-Anse et met en scène la famille de Jacques Couture.
Le père est pêcheur (et un peu agriculteur) et le meilleur constructeur de
barges des environs.
Le roman est divisé en deux parties. Dans la première, l'auteur présente une série d'événements plus ou moins rattachés entre eux. On est plus près de la
chronique (et même du documentaire) que du roman. Il n'y a pas d'intrigue. Par
exemple, dans le chapitre 2, l'auteur raconte avec un brin de cynisme les
déboires d'un chimiste venu de Montréal avec l'intention de fonder une usine.
Tout ce qu’il laissera à la région, ce sont des travailleurs non rémunérés. Le
père Couture nous laisse comprendre que ce n’est pas la première fois qu’un tel
scénario se produit. Dans le chapitre suivant, Georges, le fils ainé des Couture,
est surpris en train de braconner du saumon dans une rivière qui appartient aux
Américains. Ici aussi, le message de Boisseau est très clair : « Le vol
des rivières à saumon, c'est une autre page navrante de l'histoire de la
Gaspésie. » Un autre chapitre porte sur les élections. Le père Couture
n’est pas tendre à l’égard du député sortant : « C'est avec des
maudits farceurs comme ça que la Gaspésie s'en va au diable. » Bref, tous
ces petits chapitres, plus ou moins liés à la famille Couture, n'ont qu'un but
: dénoncer l'exploitation dont sont victimes les Gaspésiens, dépossédés de leur
coin de pays, travaillant à la solde de leurs maîtres anglais (Les Robin sont
mentionnés une fois dans le roman). L'auteur décrit leur pauvreté, la misère,
leur mentalité de colonisé et la déchéance physique et morale qui en découle. « La
race gaspésienne blessée, honnie, persécutée scientifiquement et méthodiquement
par les orangistes et les loges maçonniques, par la veulerie des lâches, des
traîtres, elle criait dans ses colonies nouvelles par sa ténacité, sa volonté
de survivre, de perpétuer le verbe de France et la religion de Rome. »
La deuxième partie met en scène Louis, le second fils des Couture. Grâce
aux œuvres sacerdotales, il a pu étudier au Séminaire de Gaspé.
Malheureusement, avant d'entamer ses dernières années, il est atteint de tuberculose.
On l'envoie dans un sanatorium à Laval où pour passer le temps il tient un
journal. Il parle peu des soins qu’on lui prodigue. Lui qui rêvait de
participer au relèvement de la Gaspésie, il dénonce avec beaucoup de vigueur le
système qui maintient les Gaspésiens dans leur aliénation. En quelque sorte,
cette deuxième partie vient développer ce qui était annoncé dans la première. (lire
l’extrait)
Techniquement, le roman n'est pas très réussi. Il manque d'unité dans
la construction et la mise en scène romanesque est déficiente. L’auteur décrit
bien le milieu de la pêche et on retient son plaidoyer, moins bien présenté,
mais plus dur que celui de Félix-Antoine Savard dans Menaud maître-draveur, paru
deux ans plus tôt.
Et pour finir, le 400e anniversaire de l’arrivée de Jacques
Cartier fait l’objet d’un chapitre et on rencontre à la page 179 le verbe
« se bonjourer ».
Extrait
Combien de fois je me suis vu à la tête d'une paroisse quelque part, heureux dans la solitude de mon presbytère modeste, disant à pas lents les louanges du Seigneur, visitant des vieux, des vieilles cassées, édentées, causant avec tous, leur donnant des conseils, pour faire de ces paroissiens non plus des esclaves courbés sous le péché ou sous la férule d'étrangers sans foi ni conscience, mais des hommes libres, indépendants, honnêtes -- rouage précieux dans le mécanisme national, intelligences capables de produire et de grandir, après l'enlèvement des scories que certains se plaisent à laisser.
Je me suis vu encore ornant l'autel de fleurs rustiques ou domestiques, dispensant à tous une parole vivante à des vivants et pour les faire vivre davantage; me plaisant dans un sanctuaire propret, liturgique, près d'un Christ immense et artistique.
J'ai désiré une bibliothèque paroissiale pour répandre dans le peuple les richesses du génie latin et modérer son ardeur à lire les images et les annonces de magasins.
J'avais de plus songé à grouper en une puissante association, vivante encore celle-là, tous les jeunes pour les orienter vers la mer, ses industries et ses métiers. Les grouper pour occuper les loisirs qui se perdent en rabâchages politiques ou grivois aussi vides de dignité que de résultats. Réunir la jeunesse pour développer par des exercices de gymnastique ce physique difforme par lequel on peut discerner entre dix passants le Canadien à sa mine de chien battu ou de bourgeois ventripotent. (p. 163-165)
Autres romans sur la Gaspésie
Le Dernier voyage d'Eric Cecil Morris
Pêcheurs de Gaspésie de Marie Le Franc
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