Robertine Barry, Chroniques du
lundi, Chez l’auteure, s. l., s. d. 325 pages. (Pseudonyme : Françoise)
On dit de Robertine Barry qu’elle
fut la première féministe et la première femme journaliste au Canada, ce qui
est déjà beaucoup. Elle est aussi l’auteure de Fleurs champêtres (1895), un recueil
de nouvelles plutôt bien, que j’ai présenté dans ce blogue.
Du 21 septembre 1891 au 5 mars
1900, sous le pseudonyme de Françoise, elle tient dans La Patrie une chronique qui
parait tous les lundis. En 1900, elle rassemble 97 chroniques, parues entre
1891-1895, dans un recueil qu’elle publie à compte d’auteur et qu’elle intitule
sobrement Chroniques du lundi.
Robertine Barry pose un regard sur son
époque, mais un regard au niveau des gens, un regard qui ne verse jamais dans
l’abstraction ou l’intellectualisme. À titre d’exemples, j’ai recensé certains
sujets qu’elle aborde : les vendeurs de rue, les mendiants à Montréal,
l’effervescence que suscite une partie de crosse, la petite guérisseuse de
Sainte-Cunégonde, les habitudes de consommation des femmes surtout à l’approche
du jour de l’An, le mauvais traitement que les cochers réservent à leurs
chevaux, la légèreté des bonnes qui s’occupent des enfants des bourgeois, les
bals, la participation aux œuvres caritatives, le jaunisme de certains journaux,
etc. Bien entendu il y a aussi toutes les chroniques de circonstances, par
exemple pour souligner Noël ou la Saint-Jean. Et on lit des
descriptions plutôt poétiques sur le passage des saisons, et on a droit à quelques récits de voyages : Vaudreuil, la Beauce, les Maritimes, La Malbaie…
On est étonné de constater
qu’elle évite les sujets sensibles comme la politique ou la religion. La
politique, entres autres, lorsqu’elle est évoquée au passage, apparait plutôt
comme un sujet ennuyeux réservé aux hommes.
Les articles féministes ne sont
pas nombreux, même si plusieurs chroniques évoquent le fossé entre les hommes
pourvoyeurs et les femmes mères et épouses. Barry souligne surtout l’impossibilité
pour les femmes de poursuivre leurs études (voir l’extrait) et leur dépendance financière
souvent humiliante.
Robertine Barry |
Extrait
Lundi, 14 octobre 1895
— Quand verrons-nous, me faisait
remarquer, l'autre jour, une jeune femme, en passant devant ce superbe édifice
qui s'appelle l'Université, quand verrons-nous les canadiennes admises à y
suivre les cours destinés à accroître leur instruction et à leur donner la
place qui leur revient dans la société?
Il y a un demi-siècle, on aurait
considéré cette proposition comme tout à fait insensée; aujourd`hui, en jetant les
yeux autour de nous, on peut apprécier le progrès que les connaissances du sexe
féminin ont fait en quelques années.
On commence à ne plus s'étonner
que nous souhaitions étendre nos désirs au delà des bornes de la sainte
ignorance qu'on s'était plu à nous marquer. Il est temps d'en finir avec ces
méthodes absurdes d'enseignement insuffisant, à vues étroites et à
connaissances restreintes, qui nous préparent si peu à la grande lutte de la
vie.
Bien que plusieurs, — et souvent
les pires adversaires de la revendication des droits féminins sont des femmes,
— bien que plusieurs, dis-je, nous disputent encore l'admission aux études
classiques, il en est cependant un grand nombre qui ont compris que la femme a
besoin, dans son intérêt et dans celui de l'humanité, de l'entier développement
de ses facultés intellectuelles, de cette éducation forte et profonde que l'on
croit indispensable à l'autre sexe.
On l'a si bien compris que les
universités de l'étranger ont presque toutes ouvert leurs portes aux femmes.
En Suisse et en Suède, dans le
Danemark, la Finlande, la Hollande et l'Italie, les femmes ont le privilège de
suivre les cours qui se donnent dans les universités de ces différents pays.
Dans la grande République
française, le Collège de France et la Sorbonne recrutent, parmi les jeunes
filles, nombre d'élèves, des fréquentantes assidues. […]
Il semble presque superflu de
parler du développement extraordinaire que l'instruction des femmes a prise,
depuis quelques années, aux Etats-Unis, et, — détail encourageant à noter, —dans
toutes les écoles publiques où les deux sexes font la lutte pour la
prépondérance intellectuelle, ce sont les femmes qui remportent la victoire :
elles sont les premières à la classe et dans les concours.
Cela ne doit donc plus nous
étonner que quelques hommes soient si hostiles au système d'instruction
supérieure, que nous réclamons comme notre droit.
A Montréal, l'université McGill
offre ces avantages aux deux sexes qui la fréquentent.
Quand l'université Laval en
fera-t-elle autant? Nous pouvons invoquer, comme précédent, l'université
catholique de Washington, qui vient d'admettre des femmes au nombre de ses
étudiants. […]
Patience, pourtant, cela viendra.
Je rêve mieux encore; je rêve, tout bas, que les générations futures voient un
jour, dans ce vingtième siècle qu'on a déjà nommé «le siècle de la femme»,
qu'elles voient, dis-je, des chaires universitaires occupées par des femmes.
[…]
Il est vrai d'ajouter que les
encouragements ont toujours fait défaut. La plupart des hommes, poètes,
littérateurs et écrivains, ont épuisé leur verve en satires, plaisanteries ou
critiques contre les femmes qui veulent sortir de l'ornière de l'ignorance
qu'on leur assigne pour tout lot.
Mais, vive Dieu! comme on disait
au temps d’Henri IV, il viendra un jour où ces messieurs seront forcés de nous
honorer, quoique nous soyons des femmes.
(p. 305-309)
Lire les Chroniques du lundi
Voir aussi :
Robertine Barry de Sergine
Desjardins
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