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9 avril 2013

Cha8inigane


Moïsette Olier, Cha8inigane, Trois-Rivières, les Éditions du Bien public, 1934, 66 p. (La couverture reproduit un bois gravé de Rodolphe Duguay)

Dans des textes, le plus souvent poétiques, Moïsette Olier raconte de façon chronologique l’histoire de Cha8inigane (prononciation Autochtones), du temps préhistorique jusqu’à l’ère industrielle.

Aux confins de plusieurs rivières, Shawinigan était une halte appréciée des « Attikamèques » : « Sans rêves et sans cruauté, jouissant en sages de leurs bonheurs paisibles, de leurs chasses abondantes et de leurs habitudes séculaires, ces bons Indiens au cœur prudent n’aimaient pas l’aventure. » Ils vont s’étonner de croiser des « visages pâles » en quête de fourrures : « Les hommes nouveaux se disent des frères, eux aussi, et ils sont venus dans des canots très grands, plantés d’arbres et tout habillés comme des matins de brume… »  Avec les marchands viendront les missionnaires, dont le père Buteux qui repoussera plus au nord la connaissance européenne du Saint-Maurice. Viendront aussi les coureurs des bois, les guerres iroquoises.

Le temps passera, la région finira par se pacifier et sera prise d’assaut par les bûcherons. L’immense chute constituera longtemps un obstacle sur la route du Nord. Il faudra attendre la fin du XIXe siècle et un Américain qui entreverra la richesse de cette chute. Il dressera un barrage qui brisera à jamais le paysage (« l’assassinat des Chutes »), ce qui donnera naissance à une petite ville industrielle : « Et c’est ainsi que dans le secret des banques et des ministères, l’assassinat des Chutes fut décrété et l’avènement de la lumière promulgué. // Le récital des Grandes orgues s’achevait sur un thème de souffrance et d’immortalité. »

Olier se plaît à nommer toutes les industries qui se sont implantées : l’industrie de l’aluminium, la Belgo (« formidable mangeuse de forêts »), la Compagnie de carbure, la Canadian industries et des filatures…

Elle n’oublie pas de mentionner les multiples clochers qui se dressent dans la ville devenue prospère : « Paysage de grandes orgues muettes... remplacées par les hymnes des églises, par la musique des clochers, par le cœur émouvant de vingt mille voix chrétiennes ! » Elle nous propose même un tour de ville : nous sont présentés les « six paroisses », « l’église, l’école, le couvent », « Cascade Inc. », les deux gares et surtout la «cinquième rue » : « c’est elle qui habille la ville » avec ses vitrines, ses étalages, son cinéma, l’édifice municipal, la place du marché, etc.

Extrait 1
Sous la chaude lumière d'un matin d'été, alors que les Grandes Orgues glissaient des rythmes mineurs de leur sonate à la nuit aux rythmes éclatants d'un prélude au soleil, les dompteurs de chutes envahirent la solitude mélodieuse et parfumée. […]
Sans un frémissement devant cette marée de splendeurs dont ils devaient briser les élans, sans une émotion d'interrompre cet obsédant concert qui débordait de sa cage de pierre et s'élançait dans la clarté du jour en un vol sonore, ils se plongèrent dans leur hostile labeur.
Soumis à la dynamite, des rochers immuables rugissent et oscillent. De rapides fêlures croisent leurs veines noires dans la montagne brutalisée. Les mitrailleuses fouillent le granit qui éclate, crépite, bondit dans une fumée douloureuse et acre, crible les échos et retombe émietté sur le sol. (p. 47)

Extrait 2
Shawinigan : clair de lune de la Mauricie.
Paysage de lumière et de clochers, sous la balustrade bleue d'un horizon circulaire qu'ouvragent des montagnes.
C'est elle qui allume les lampes de son pays, du même geste secret dont la nuit allume les étoiles au firmament.
Jaillie d'une étincelle électrique, elle s'est épanouie brusquement, comme la radieuse gerbe d'un feu d'artifice.
Axe de l'énergie canadienne.
Essor de collines... Le cortège allègre des maisons suit d'un coeur léger toutes les pentes.
On la découvre des hauteurs, et le soir, au fond de sa vallée de silence, elle rutile comme un ciel d'Orient prodigieusement éclairé.
Deux bras clairs, arrondis en une attitude d'humaine étreinte, les deux bras du Saint-Maurice, entourent la cité et lui font une ceinture aux anneaux d'argent.
Symbole de perpétuité : tous ses édifices, ses maisons de bois, ses maisons de pierre, ses temples, ont le roc pour assises. » (p. 56-57)

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