J’aime beaucoup Ferron. C’est
sans doute l'un des auteurs qui m’a donné mes plus grands plaisirs de lecture ces
dernières années. Pourtant, quand j’étais dans la vingtaine, il ne
m’intéressait guère. Tout ceci pour dire
que Ferron est probablement un de ces auteurs qu’on apprécie davantage en
vieillissant et cela, parce qu’il se tient au-dessus de la
mêlée, avec cette douce ironie de ceux « qui en ont vu d’autres » ou
mieux « qui ne s’en laissent pas conter ».
Il ne faut pas trop chercher le fantastique
et le merveilleux dans les Contes du pays incertain. Encore moins les châteaux et la magie. On y trouve bien un
veau transformé en avocat (Mélie et le bœuf),
un archange robineux qui hésite à regagner son ciel (L'archange du faubourg), quelques
animaux qui parlent, mais rien ne nous dit que le merveilleux y est pour quelque
chose. Après tout, on est chez Ferron.
Le domaine d’élection de ce pays incertain, c’est le plus souvent l’arrière-pays oublié : le Bas-Saint-Laurent,
la Gaspésie, l’Abitibi, le Maskinongé. Ou la rive-sud de Montréal,
encore une campagne, à l’époque. Dans « Les provinces », il met en scène un géographe zélé qui
cartographie le pays différemment selon qu’il travaille pour l’évêque, le
premier ministre ou les frères enseignants. Il finit par se rendre compte que
tout le monde se fout de lui. Le pays n’est pas tellement affaire de lieu, de
territoire, tout compte fait, comme le voudraient les tenants du pouvoir. C'est davantage une question de culture, comme le
comprennent Cadieu (Cadieu) et
François Laterreur (La vache morte du
canyon) lorsqu’ils rentrent chez eux.
Les personnages sont des
« simples » : habitant, boucher,
rentier en bout d’âge, moribond qui ne veut pas mourir, bedeau, curé de presbytère, franciscain, nonne,
médecin de campagne, accoucheuse. Les « grosses poches », avocats,
médecins de ville et députés, on les tient à distance, tant il est difficile de
les prendre au sérieux. Et souvent ces simples ne sont pas si loin des originaux et détraqués de Louis
Fréchette.
Le recueil contient dix-sept
contes d’inégale longueur, le plus court ne faisant que trois pages et le plus long, 35.
(Vous trouverez un résumé de chacun d’eux dans Le
comptoir littéraire) Ferron disait que chaque conte
était un roman potentiel : « Le perroquet » et « Les
Méchins » sont déjà des ébauches de Cotnoir.
Ferron, c’est d’abord un style,
un mélange de modernité et de vieillerie, impossible à imiter. « Car ils
eussent pu s’accorder; même qu’ils l’eussent dû! » (La vache morte du canyon) Les phrases, très accidentées, vont et
viennent, souvent pour le plaisir des mots, y compris des jeux de
mots grivois : « Après tout, c’est un veau anglais : la saillie
n’est pas son affaire. » Ou encore : « On ne raisonne pas une
femme qui a ses facultés, encore moins lorsqu’elle les perd. La raison attaque
de front, franchise inconvenante : il faut biaiser avec le sexe, ou tout
simplement le prendre par derrière. » (Mélie et le bœuf) Avant VLB,
il se permet de québéciser les mots anglais (le farouest, les Stétes, la
bisnesse, touristeroum), avant Ducharme il cite Garneau pour s’en moquer.
L’auteur, si précieux en un sens,
ne perd pas une occasion de nous faire rire, même si cela doit passer par le
trivial : ainsi cette farce bien rabelaisienne des quatre cochons qui
poursuivent monsieur le docteur (Une
fâcheuse compagnie) ou cette autre d'une vieille qui montre son cul à tout le
monde et que son gendre voudrait bien faire enfermer (Le perroquet).
Il ne faut pas prendre
Ferron trop au sérieux. Oui, il réserve quelques savonnades aux Anglais :
« On francise comme on peut, par le bas surtout, alors qu’on s’anglicise
par le haut. ». Oui, il déplore, mais si peu, qu’un habitant trop
simple échange sa fille contre sa dette : « Monsieur Pas d’Pouce
n’en revient pas : une fille de quatorze ans, brave et jolie, qui ne
figurait pas sur l’inventaire. » Je ne pense pas qu’il y ait de message politique très ciblé; l’auteur s’amuse, trop heureux de jouer de son imaginaire, même lorsqu’il nous
livre la recette pour aller au ciel : « Cet archange, lorsqu’il était
sur terre, a-t-il recherché les orgueilleux, les puissants, les échevins et
autres potentats? »
Le plus souvent, ce pays incertain, c’est un lieu
loufoque où tout peut arriver, et même des histoires qui ne tiennent pas la
route, telle celle de ce mort, dont la femme et les filles veillent le corps, alors qu’il
trône dans la cuisine avec ses fils. On imagine Ferron nous surveillant,
derrière la porte, trop malicieux pour se montrer, se délectant de notre air
hébété.
Extrait
Il avait un os de travers au-dessus de l'estomac; il
n'était pas malade, seulement l'os gênait, le piquant à chaque respiration; il
lui fallait rester tranquille en attendant que l'os reprît sa place. Au bout de
trois ou quatre semaines le maudit os n'avait pas bougé; le bonhomme allait de
mal en pis; on manda le ramancheur, mais le ramancheur, l'ayant tâté, refusa de
le ramancher, car il lui aurait, en même temps que replacé l'os, décroché le
nerf du cœur. Le bonhomme était fini. On envoya chercher le curé.
— Bonhomme,
dit la vieille
à son mari, tu n'es peut-être pas très malade, mais tu es
si vieux que tu te meures.
— Je me meurs ?
— Oui, tu te meurs, je suis bien à plaindre!
— Et moi ... ? demanda le bonhomme.
— Toi, ce n'est pas triste, répondit la vieille : tu n'as
qu'à te laisser faire ; le curé va tout arranger Seulement, il faudra que tu
sois poli: tu joindras les mains, tu regarderas en l'air et tu penseras au bon
Dieu si tu peux; si tu ne peux pas, fais semblant. Et pas de farce, hein, tu m'entends!
Le bonhomme avait peine à souffler; il promit d'être
sérieux. L'arrivée de ses
garçons avec des mines de faux apôtres le dérangea
toutefois dans sa résolution. Il avait déjà les mains jointes; il tenta de les
écarter sans que cela parût mais la vieille guettait; elle
lui lia les poignets avec
un grand chapelet. Le curé arrivé
sur les entrefaites jugea que le bonhomme était condamné, aussi s'empressa-t-il
de l'administrer; puis il ne sut
que faire; il n'était pas encore
temps de réciter la prière des agonisants.
— Comment vous portez-vous, demanda-t-il au bonhomme.
— Mal merci, répondit celui-ci. (« La mort du
bonhomme », p. 39-40)
Contes anglais et autres
Le Dodu
Le Licou
Contes du pays incertain
Cotnoir
L'Ogre
Tante Élise ou le prix de l'amour
La Sortie
Aucun commentaire:
Publier un commentaire