On ne compte plus les livres de Gérard Morisset. Il n’a écrit qu’une œuvre littéraire, une longue nouvelle qu’il a lui-même admirablement illustrée.
On est en 1775 et l’armée d’Arnold est campée à Sainte-Marie de Beauce, donc tout près de Québec. Julien Fournier est étudiant lorsqu’il apprend que son père vient de mourir dans un accident de voiture. Il doit se rendre à L’Islet pour régler la succession. Il est arrêté lorsqu’il essaie de s’y rendre : on le soupçonne de vouloir se joindre aux Bostonnais. Il entretient une relation amoureuse avec Louise Loubier, une lointaine parente. En fait les deux sont le petit-fils et la petite-fille de François Loubier sans être cousins : Fournier a eu trois femmes et leur grand-mère n’était pas la même. Encore plus compliqué : le véritable père de Julien était son parrain. Passons. Quant à Louise, elle n’a pas connu ses parents et elle vit avec sa grand-mère d’adoption, une vieille détestable.
Julien va s’engager dans la milice qui défend la ville de Québec contre Arnold, va avoir le temps de mener quelques actions périlleuses, de se comporter en héros, avant de mourir. Louise ne se remariera jamais. Le dernier chapitre nous transporte en l’an 1805. Louise Loubier vient de mourir. Le notaire qui a géré la succession de François Loubier essaie de démêler pour sa femme les liens compliqués qui unissaient Julien et Louise.
L’aspect généalogique est inutilement compliqué. L’aspect historique n’est qu’une toile de fond. On n’assiste pas aux actions militaires. La composition manque un peu de fini. Pour le reste, voilà un récit assez original, différent de ceux qu’on pouvait lire dans les années 40. C’est d’abord et avant tout une « histoire de famille », avec ses secrets, ses haines, ses manigances. C’est court comme récit, mais Morisset a créé de beaux personnages, surtout celui de Louise, un personnage bien incarné, comme on dit. Voici la scène où elle doit rejoindre Julien :
« Elle essaie d'imaginer ce que sera l'arrivée de Julien. Machinalement, elle prononce tout bas des formules de salutation. « Chère Louise », ou « Mon amour », ou encore « Ma chérie ». Elle s'afflige de la pauvreté de son vocabulaire. D'autres formules se présentent à son esprit ; elle les repousse aussitôt, avec l'intransigeance d'une éphémère lucidité. Quoi ! Presque tous les amoureux, lorsqu'ils s'abordent, se contentent de ces formules banales, toujours les mêmes, et qui servent dans toutes les circonstances! Ce sont les mots de l'oncle Denys à la jeune veuve qu'il vient d'épouser à quarante ans ; il les prononce en bougonnant, avec un sourire vulgaire du coin de la bouche . . . Que fera Julien ? Louise désire quelque chose d'imprévu comme presque toutes leurs rencontres, d'audacieusement original comme leur rendez-vous de ce soir. En y réfléchissant, elle en arrive à souhaiter un seul mot, « Louise », que la voix de Julien prononcerait avec une tendresse infinie . . . Mais pourquoi des paroles ? Les gestes ne suffisent-ils pas ? Louise est assurée qu'elle serait éperdue d'amour si Julien la prenait violemment dans ses bras, sans un mot, et s'il l'embrassait avec passion, sans retenue, à perdre haleine . . . Cette vision de Julien surgissant des ténèbres comme le dieu même de l'amour et s'emparant d'elle comme d'une proie, silencieusement, farouchement, cette vision l'éblouit et l'envoûte. L'émotion la saisit à la gorge ; elle croise ses bras sur ses seins hérissés ; elle respire par saccades irrégulières . . . Après une sorte d'apaisement, la vision renaît, plus tendre et plus pressante que la première fois ; Louise en est bouleversée ; elle passe sa main moite sur son front en sueur ; elle est entêtée de l'odeur de son corps en fièvre ; elle soupire à la nuit scintillante . . . Une troisième fois, l'évocation revient comme un ouragan qui balaie tout ; ce n'est plus Julien qui fonce sur elle brutalement ; c'est l'un de ces êtres sauvages et merveilleux que l'instinct des Grecs a créés pour fouetter l'effroi des vierges . . . Et Louise, emportée par la violence de son rêve, se met spontanément à mimer la scène ; brusquement, elle renverse sa tête blonde, ferme à-demi les yeux dans une imploration, ouvre les bras comme pour accueillir le dieu dément, aspire avec force et tend ses lèvres tremblantes en une moue pleine de désir. »
On trouve aussi d’indéniables qualités dans la description. Gérard Morisset était un spécialiste d’art et cela transparait dans son récit. Il a fait de Julien une espèce d’esthète qui se plait à admirer l’architecture, la décoration des pièces.
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