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31 décembre 2010

LE PREMIER DE L'AN 1861

I
Écoutons... Minuit sonne, et la cloche sonore
Semble jeter au vent le glas des trépassés...
Écoutons ce que dit l'airain qui vibre encore:
Emporté par le temps dont le souffle dévore,
Un an vient de s'enfuir dans les siècles passés!

Un an vient de sombrer sur l'océan des âges,
Et la main du présent lui jette un linceul noir.
À son premier matin l'air était sans orages,
Le ciel pur et serein, l'horizon sans nuages,
Et son premier soleil fut un rayon d'espoir.

Mais à peine avait-il, sur la mer onduleuse,
Laissé flotter sa voile au souffle du Midi,
Que la foudre sortant d'une nue orageuse,
Vint fracasser le mât de la nef voyageuse,
Et la vague écuma sur son flanc arrondi.

La nuit couvrit le ciel et s'étendit sur l'onde;
L'Autan fit retentir son râle de géant;
Et l'esquif emporté par la vague profonde,
Sans voile erra longtemps sur l'abîme qui gronde
Et sombra tout à coup dans le gouffre béant.

II
Le siècle où nous vivons est un siècle en délire,
Avait dit un poète à la puissante lyre.
Soufflant partout le vent des révolutions,
L'esprit voltairien, avec un rire infâme,
Veut jeter son poison dans l'âme
Et courber sous son joug le dos des nations.

Pauvre siècle qu'on nomme un siècle de lumière,
Où l'on voit, aux palais comme sous la chaumière,
Fermenter le désordre et le mépris des lois!
Où des bandits sortis des tripots et des bouges,
Hurlant sous leurs longs drapeaux rouges,
Jettent l'éclaboussure à la face des rois!

On les a vus les fils de ce siècle parjure,
La bouche vomissant le blasphème et l'injure,
S'attaquer à la main qui voulait les bénir;
On les a vus portant une main sacrilège
Sur ce que Dieu même protège,
Et qui disaient au Christ: Ton règne va finir!

Italie! Italie! ô terre infortunée!
Pendant le cours sanglant de cette longue année,
Que de ruisseaux de sang ont sillonné ton sol!...
Quel est l'audacieux dont la main inhumaine
A brisé ton bandeau de reine
Et dans sa rage osa te souiller par un viol?...

III
Entendez-vous là-bas, par delà l'Atlantique,
Comme le bruit pressé de chocs retentissants?...
La révolution, sanglante, satanique,
Dans ses ongles étreint les peuples frémissants.

Devant son oeil hagard tout tombe, tout s'écroule;
Tout l'Occident s'émeut au seul son de sa voix;
Et le monstre au milieu des ruines qu'il foule
Est altéré du sang des prêtres et des rois.

Et le vieux monde qui, sur son front chauve et blême,
Porte le crime écrit en stigmates d'enfer,
Sur sa lèvre crispée étouffant un blasphème,
Se tord comme un serpent sous ses griffes de fer.

Tu mourras! avait dit cette hydre sanguinaire,
A la Foi, que son bras voulait anéantir...
Elle avait oublié que la Foi du Calvaire
Se retrempe et renaît dans le sang du martyr.

IV
À son blasphème horrible, à sa clameur impie,
Vos coeurs se sont émus, ô fils du Saint-Laurent,
Et la Foi qui dans vous n'est jamais assoupie
A su parler plus haut que les cris du tyran.

Vous vous êtes levés, levés comme un seul homme,
Et le monde a pu voir un peuple nouveau-né
Jurant de protéger le Pontife de Rome
Contre les attentats d'un traître couronné.

Vous avez protesté contre la perfidie
Et le flagrant mépris du droit le plus sacré;
Contre la trahison si lâchement ourdie
Pour briser le pouvoir d'un vieillard vénéré.

Hier encore, ouvrant les vieilles basiliques
Que vos pères jadis élevèrent à Dieu,
Vous vous précipitiez sous leurs vastes portiques,
Et la foule encombrait les parvis du saint lieu.

Et là, le front penché dans l'ombre et la poussière
Vous répandiez à flot l'encens de la prière
Autour d'un glorieux tombeau;
Vous adressiez des voeux au Dieu de la victoire
Pour l'âme des héros tombés couverts de gloire
Aux champs de Castelfidardo.

Et vous disiez: « Honneur à ces nobles victimes,
A ces vaillants guerriers, défenseurs magnanimes
Du droit contre ses oppresseurs!
Pimodan, Parcevaux, dignes d'apothéoses,
Tombés en défendant la plus sainte des causes,
L'Univers vous doit des honneurs! »

C'est bien, fils de Champlain, qu'un noble sang anime!
Vos cœurs n'ont pas éteint cette flamme sublime
Qui vous brûla dans tous les temps!
Et si, brisant le plomb qui recouvre leur bière,
Nos pères aujourd'hui revoyaient la lumière,
Ils souriraient d'orgueil en voyant leurs enfants.

V
Et maintenant pour nous une autre ère commence;
Sur les ailes du Temps un nouvel an s'avance,
Apportant nos destins dans l'ombre ensevelis.
Vient-il donner au monde un rayon d'espérance,
Ou, triste messager, porte-t-il la souffrance
Et les sombres malheurs enfermés dans ses plis?...

Quoique nous ne puissions sonder l'urne profonde
Qui dérobe à nos yeux les destins de ce monde,
Attendons sans effroi les éternels arrêts!
La barque du Pêcheur sait défier l'orage:
La parole d'un Dieu la garde du naufrage;
Le monde peut crouler, mais l'Église, jamais!

(Louis Fréchette, Mes Loisirs, Québec, Typographie de Léger Brousseau, 1863, p. 47-54)

2 commentaires:

  1. C'est sur ces vers que je viens vous souhaiter Jean-Louis une excellente année 2011 ponctuée de moments de lecture qui vous raviront!

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