Jean-Baptiste Caouette, Le Vieux Muet, Québec, Imprimerie du Soleil, 1901, 409 pages.
Le roman n’avait pas bonne presse au XIXe siècle. On craignait par-dessus tout l’imagination, la mère de tous les vices. On ne compte plus les préfaces dans lesquelles l’auteur assure que son œuvre est au-dessus de tout soupçon. Faire œuvre utile, voilà le grand prétexte du romancier, et pour faire œuvre utile, il fallait verser dans la morale ou le patriotisme. Caouette, lui, a même reçu l'imprimatur du curé P. E. Roy, qui lui a écrit une préface. Je pense qu’il vaut la peine d'en citer deux passages :
« Depuis soixante ans le roman est un des plus exécrables dissolvants de la morale publique. Son nom même est devenu presque synonyme de mauvais livre. Quiconque s'intéresse aux bonnes mœurs est obligé de dénoncer ce séduisant corrupteur. On lui ferme l'entrée des maisons honnêtes, et les jeunes filles qui se commettent en sa compagnie risquent d'y perdre et la pudeur et le sens chrétien. »
« La lecture de ce roman ne produira que de bonnes impressions sur l'esprit et le cœur. Il se dégage de l'ensemble du récit une morale douce, pure et fortifiante. La vertu y tient le premier et le beau rôle. On y a fait une place à l'amour, mais à un amour purifié par le devoir, la religion et le sacrifice. Les personnages que l'auteur met en scène ne sont pas simplement des sujets à dissection métaphysique ou anatomique, mais des êtres bien vivants, et surtout des chrétiens de bonne race, des catholiques qui agissent et parlent en catholiques. La religion entre dans ce livre, comme elle doit entrer dans notre vie ; elle y est la source des nobles actions, et la règle de bonne conduite.
Les héros de Mr Caouette ne sont pas seulement de bons chrétiens, ce sont aussi de vrais Canadiens français. Il me fait plaisir de signaler ici le beau souffle patriotique qui circule à travers toutes les pages de cet ouvrage…»
L’histoire tourne autour de deux frères, l’un qui a toutes les qualités, Jean-Charles, et l’autre qui est le vice incarné, Victor. Le roman est divisé en trois parties.
Première partie
Pour Victor, le fils chéri de la maison, ses parents paysans se sacrifient. On lui permet de devenir notaire. Il se rend à Montréal, abandonne la religion, fréquente des tripots peu recommandables, cache sa double vie. Jean-Charles, une force de la nature et un modèle de vertu, reprend la terre paternelle et devient un héros lorsqu’il s’illustre à la bataille de Chateauguay (1812). Le curé le prend sous son aile, devient son professeur, son conseiller et ami.
Deuxième partie
Trois ans plus tard, Victor a finalement terminé ses études. Il revient dans son village, décidé à épouser une jeune fille bien dotée. Or, celle-ci est déjà amoureuse de son frère, et même une date de mariage a été arrêtée. Furieux, Victor s’emploie à faire échouer ce mariage. Il convainc le père vaniteux de la jeune fille qu’il est en mesure de le faire élire député. Il lui fait valoir que le mariage de sa fille avec un habitant va ternir son image. Il finit par se proposer comme genre, ce que le père accepte, mais la jeune fille refuse de l’épouser et finit par rentrer chez les Sœurs.
Troisième partie
30 ans ont passé. Les événements de 1837 secouent la région. Victor mène toujours sa vie de débauché et Jean-Charles est devenu le maire de sa paroisse. Il refuse que son village participe au soulèvement, fidèle en ce, au mandement de Mgr Lartique. Il est toujours célibataire et compte devenir curé. Un événement va changer le cours de la vie des deux frères. Saoul, Victor tente d’assassiner son frère, mais c’est lui qui périt dans l’altercation. Jean-Charles, plutôt que de se disculper, se sauve aux États-Unis. Il vivra pendant quinze ans dans une famille au Massachussetts. De crainte d’être découvert, il prétendra qu’il est muet. Puis, son exil lui pesant, il revient s’installer à Québec, sans révéler son identité et continuant de simuler la mutité. Douze autres années passent ainsi. Un jour, il perd sa médaille d'honneur reçue à Chateauguay. On découvre ainsi son nom et son lieu de naissance. On communique avec ses anciens paroissiens. Après vingt-sept ans d’exil, Jean-Charles découvre que son frère avant de mourir l’a blanchi de tous soupçons. Il revient, triomphant, dans sa paroisse natale (Saint-R…). Il étudie pendant deux ans et devient finalement curé. Il meurt en professant la parole de Dieu (lire l’extrait).
Le Vieux Muet s’inscrit dans la volonté de présenter au grand public des romans à thèse qui visent à édifier les catholiques. La parole du prêtre est parole d’évangile, même quand il s’agit de politique. Caouette fait l’apologie des événements de Chateauguay mais critique l’action des Patriotes. À l’instar de l’Église, il prêche pour la cohabitation pacifique des deux nationalités : les drapeaux français et anglais flottent toujours ensemble!
Les événements historiques ne servent que de toile de fond, même si l’auteur se permet de citer in extenso les 12 résolutions que les Patriotes ont adoptées en 1837 et un large extrait de la lettre que Mgr Lartigue a adressée à ses coreligionnaires le 24 octobre pour contrer l’action des patriotes. Le roman n’a aucune qualité littéraire. L’auteur multiplie les petits événements anodins qui démontrent la haute valeur morale du héros. Les 400 pages du roman m’ont semblé très longues!ExtraitL'abbé Lormier, nous l'avons déjà dit, soit qu'il fût à l'autel, au confessionnal ou en chaire, édifiait toujours. Mais c'est surtout par la prédication qu'il touchait et convertissait les âmes.
Dans l'automne de 18... il prêchait, depuis huit jours, une neuvaine à Saint-Patrice. On était venu de partout pour l'entendre.
Dans la péroraison de ses trois derniers sermons, le prédicateur avait éprouvé de violentes palpitations du cœur. Mais ces accents plaintifs de l'organe souffrant n'était pas de nature à modérer le zèle brûlant qui animait ce saint prêtre. Et pour s'exciter à combattre avec plus d'ardeur encore le vice, l'impiété et les ennemis de la religion, il se répétait souvent ce vers de Racine:
«Le Dieu que nous servons est le Dieu des combats.»
Le neuvième jour, il prêcha sur la destinée de l'homme dans l'ordre surnaturel. Durant une heure il tint l'auditoire captif sous le charme de sa parole.
Puis, s'inspirant d'un grand prédicateur italien, le Père Ventura, il conclut ainsi son admirable sermon:
«La terre, songeons-y bien, est le lieu du combat; c'est au ciel qu'est le lieu du triomphe.
«La terre est le lieu du travail; c'est au ciel le lien du repos.
«La terre est le lieu du mérite; c'est au ciel le lieu de la récompense.
«La terre est le lieu de l'exil; c'est le ciel qui est notre véritable et éternelle patrie.
«Habitons donc dans le ciel par la foi, l'espérance, le désir, afin que nous ayons le bonheur d'y habiter un jour par nos personnes.»
- Ainsi soit-il! répondit une voix mélodieuse qui parut sortir du tabernacle...
L'abbé Lormier, étonné et ravi, se tourna vers l'autel; mais soudain il chancela et s'affaissa dans la chaire!
Il venait d'être foudroyé par une syncope du cœur...
Le héros de Châteauguay, devenu un soldat du Christ, était mort au champ d'honneur!
Lire le roman sur internet.
Le roman n’avait pas bonne presse au XIXe siècle. On craignait par-dessus tout l’imagination, la mère de tous les vices. On ne compte plus les préfaces dans lesquelles l’auteur assure que son œuvre est au-dessus de tout soupçon. Faire œuvre utile, voilà le grand prétexte du romancier, et pour faire œuvre utile, il fallait verser dans la morale ou le patriotisme. Caouette, lui, a même reçu l'imprimatur du curé P. E. Roy, qui lui a écrit une préface. Je pense qu’il vaut la peine d'en citer deux passages :
« Depuis soixante ans le roman est un des plus exécrables dissolvants de la morale publique. Son nom même est devenu presque synonyme de mauvais livre. Quiconque s'intéresse aux bonnes mœurs est obligé de dénoncer ce séduisant corrupteur. On lui ferme l'entrée des maisons honnêtes, et les jeunes filles qui se commettent en sa compagnie risquent d'y perdre et la pudeur et le sens chrétien. »
« La lecture de ce roman ne produira que de bonnes impressions sur l'esprit et le cœur. Il se dégage de l'ensemble du récit une morale douce, pure et fortifiante. La vertu y tient le premier et le beau rôle. On y a fait une place à l'amour, mais à un amour purifié par le devoir, la religion et le sacrifice. Les personnages que l'auteur met en scène ne sont pas simplement des sujets à dissection métaphysique ou anatomique, mais des êtres bien vivants, et surtout des chrétiens de bonne race, des catholiques qui agissent et parlent en catholiques. La religion entre dans ce livre, comme elle doit entrer dans notre vie ; elle y est la source des nobles actions, et la règle de bonne conduite.
Jean-Baptiste Caouette - BAnQ |
L’histoire tourne autour de deux frères, l’un qui a toutes les qualités, Jean-Charles, et l’autre qui est le vice incarné, Victor. Le roman est divisé en trois parties.
Première partie
Pour Victor, le fils chéri de la maison, ses parents paysans se sacrifient. On lui permet de devenir notaire. Il se rend à Montréal, abandonne la religion, fréquente des tripots peu recommandables, cache sa double vie. Jean-Charles, une force de la nature et un modèle de vertu, reprend la terre paternelle et devient un héros lorsqu’il s’illustre à la bataille de Chateauguay (1812). Le curé le prend sous son aile, devient son professeur, son conseiller et ami.
Deuxième partie
Trois ans plus tard, Victor a finalement terminé ses études. Il revient dans son village, décidé à épouser une jeune fille bien dotée. Or, celle-ci est déjà amoureuse de son frère, et même une date de mariage a été arrêtée. Furieux, Victor s’emploie à faire échouer ce mariage. Il convainc le père vaniteux de la jeune fille qu’il est en mesure de le faire élire député. Il lui fait valoir que le mariage de sa fille avec un habitant va ternir son image. Il finit par se proposer comme genre, ce que le père accepte, mais la jeune fille refuse de l’épouser et finit par rentrer chez les Sœurs.
Troisième partie
30 ans ont passé. Les événements de 1837 secouent la région. Victor mène toujours sa vie de débauché et Jean-Charles est devenu le maire de sa paroisse. Il refuse que son village participe au soulèvement, fidèle en ce, au mandement de Mgr Lartique. Il est toujours célibataire et compte devenir curé. Un événement va changer le cours de la vie des deux frères. Saoul, Victor tente d’assassiner son frère, mais c’est lui qui périt dans l’altercation. Jean-Charles, plutôt que de se disculper, se sauve aux États-Unis. Il vivra pendant quinze ans dans une famille au Massachussetts. De crainte d’être découvert, il prétendra qu’il est muet. Puis, son exil lui pesant, il revient s’installer à Québec, sans révéler son identité et continuant de simuler la mutité. Douze autres années passent ainsi. Un jour, il perd sa médaille d'honneur reçue à Chateauguay. On découvre ainsi son nom et son lieu de naissance. On communique avec ses anciens paroissiens. Après vingt-sept ans d’exil, Jean-Charles découvre que son frère avant de mourir l’a blanchi de tous soupçons. Il revient, triomphant, dans sa paroisse natale (Saint-R…). Il étudie pendant deux ans et devient finalement curé. Il meurt en professant la parole de Dieu (lire l’extrait).
Le Vieux Muet s’inscrit dans la volonté de présenter au grand public des romans à thèse qui visent à édifier les catholiques. La parole du prêtre est parole d’évangile, même quand il s’agit de politique. Caouette fait l’apologie des événements de Chateauguay mais critique l’action des Patriotes. À l’instar de l’Église, il prêche pour la cohabitation pacifique des deux nationalités : les drapeaux français et anglais flottent toujours ensemble!
Les événements historiques ne servent que de toile de fond, même si l’auteur se permet de citer in extenso les 12 résolutions que les Patriotes ont adoptées en 1837 et un large extrait de la lettre que Mgr Lartigue a adressée à ses coreligionnaires le 24 octobre pour contrer l’action des patriotes. Le roman n’a aucune qualité littéraire. L’auteur multiplie les petits événements anodins qui démontrent la haute valeur morale du héros. Les 400 pages du roman m’ont semblé très longues!ExtraitL'abbé Lormier, nous l'avons déjà dit, soit qu'il fût à l'autel, au confessionnal ou en chaire, édifiait toujours. Mais c'est surtout par la prédication qu'il touchait et convertissait les âmes.
Dans l'automne de 18... il prêchait, depuis huit jours, une neuvaine à Saint-Patrice. On était venu de partout pour l'entendre.
Dans la péroraison de ses trois derniers sermons, le prédicateur avait éprouvé de violentes palpitations du cœur. Mais ces accents plaintifs de l'organe souffrant n'était pas de nature à modérer le zèle brûlant qui animait ce saint prêtre. Et pour s'exciter à combattre avec plus d'ardeur encore le vice, l'impiété et les ennemis de la religion, il se répétait souvent ce vers de Racine:
«Le Dieu que nous servons est le Dieu des combats.»
Le neuvième jour, il prêcha sur la destinée de l'homme dans l'ordre surnaturel. Durant une heure il tint l'auditoire captif sous le charme de sa parole.
Puis, s'inspirant d'un grand prédicateur italien, le Père Ventura, il conclut ainsi son admirable sermon:
«La terre, songeons-y bien, est le lieu du combat; c'est au ciel qu'est le lieu du triomphe.
«La terre est le lieu du travail; c'est au ciel le lien du repos.
«La terre est le lieu du mérite; c'est au ciel le lieu de la récompense.
«La terre est le lieu de l'exil; c'est le ciel qui est notre véritable et éternelle patrie.
«Habitons donc dans le ciel par la foi, l'espérance, le désir, afin que nous ayons le bonheur d'y habiter un jour par nos personnes.»
- Ainsi soit-il! répondit une voix mélodieuse qui parut sortir du tabernacle...
L'abbé Lormier, étonné et ravi, se tourna vers l'autel; mais soudain il chancela et s'affaissa dans la chaire!
Il venait d'être foudroyé par une syncope du cœur...
Le héros de Châteauguay, devenu un soldat du Christ, était mort au champ d'honneur!
Lire le roman sur internet.
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