Hector Bernier, Ce que disait la flamme, Québec, L’Événement, 1913, 451 pages.
Jean Fontaine, fils d’un riche industriel de Québec, vient de terminer sa médecine. Épris d’idéal, il rêve de faire œuvre patriotique, d’œuvrer auprès des classes populaires. Il se désole du fait que sa sœur Yvonne, dont il est si près, s'est éprise d’un dandy prétentieux et superficiel.
Un soir, comme son père est absent, il reçoit à sa place la fille d’un de ses ouvriers, Lucille Bertrand. Elle est venue demander un congé pour son père très malade. Séduit par la jeune fille, Jean lui promet de rendre visite au malade, ce qu’il fait quelques jours plus tard.
Entre-temps, il essaie de communiquer sa flamme nationaliste à sa sœur et à son père. Il avertit celle-ci qu’elle court au malheur si elle épouse son dandy. « L’homme qui ne peut aimer sa race n’aura jamais au cœur les autres grands amours… Comme ceux-ci, l'amour de la race est un besoin de pitié souveraine et de dévouement... J'ai bien peur que Lucien, railleur intarissable des traditions canadiennes-françaises, ne te rende malheureuse. Comment peut-il aimer vraiment, l'homme qui renie l'amour?», lui dit-il bien sentencieusement. Et voici le rêve qu’il essaie de faire partager à son père : « Il faut que ton or serve à ta race!... il faudrait organiser un vaste élan de la race! Oui, mon père, une coalition des fortunes canadiennes-françaises pour vivifier la sympathie, l'union entre les classes... Comme il y a des sociétés pour le bien réciproque de leurs membres, j'ai la vision de sociétés qui prodigueraient à notre race la force et l'amour... Ce n'est pas de l'utopie, c'est de l'action, par le dévouement, par la convergence des initiatives et des cœurs...On s'efforcerait de mieux connaître l'ouvrier, le campagnard, on finirait par les aimer... On multiplierait les moyens d'exterminer la pauvreté, de mettre les vices en déroute. Graduellement, l'envie cesserait de ronger les humbles, l'arrogance tomberait des fronts plus élevés... Un flot d'amour emporterait la race vers l'avenir… »
Quant à lui, après bien des réticences, conscient des remous que sa décision créera dans son milieu, il se décide à laisser parler ses sentiments et se lance à la conquête de la jeune fille du milieu ouvrier. Or, il se trouve que le père de celle-ci est un ancien associé de son père, alors que les deux hommes étaient jeunes. Leur association s’était mal terminée.
Sa sœur se marie et est malheureuse : son mari est un parfait insignifiant, jouisseur, fat, querelleur. Quant à Jean, il se coupe de sa famille et épouse Lucile. Ce faisant, il renonce à son grand rêve d’ouvrir un laboratoire et de devenir une personnalité connue qui ferait honneur à sa « race ». Il pratique la médecine dans le milieu ouvrier et contribue ainsi à rallumer la flamme nationale chez les démunis.
Le roman se termine ainsi : le père, veuf depuis longtemps, est seul avec sa fille malheureuse en ménage. Tous les deux se sentent de plus en plus touchés par la flamme patriotique. « Tous deux ainsi se laissent pénétrer par l'éloquence de la flamme. Elle ne se lasse pas de rire et de chanter, la flamme allègre et bonne. Elle est large, elle est forte, elle verse des lueurs de rêve, de mystère et de clarté profonde. Comme elle est ancienne, la flamme canadienne-française, comme elle vibre de puissance et d'héroïsme! Sur les plaines d'Abraham, elle veille, elle est plus grande, elle est plus radieuse, parce que l'âme des braves l'attise, parce qu'elle est immortelle. »
Assommant! C’est long, c’est long, ça n’en finit plus. Les spécialistes s’entendent pour dire que le roman psychologique commence avec Angéline de Montbrun, puis qu’il faut attendre les années 1940 avant que le genre revienne en force. C'est qu’ils n’ont pas lu Ce que disait la flamme. L’analyse psychologique fait au moins les trois quarts du roman, sinon plus. Par exemple, entre le moment où Jean Fontaine est annoncé à la demeure des Bertrand et le moment où il salue Lucile, il s’est écoulé 12 pages! Parfois, entre deux répliques : 3 ou 4 pages! Bref, le roman compte 450 pages bien tassées alors que 150 auraient suffi.
Roman à thèse détestable. Et la thèse ne peut être plus simple : pour le Canadien français, seule la voie patriotique existe. Et l’auteur ne cesse de nous marteler la même idée : la race, la race, la race… Bien entendu, il utilise le mot comme on le faisait au début du siècle, dans le sens de « peuple ». C’est inférieur à son premier roman, Au large de l’écueil. **
Extrait
…il faut que notre race veille et se défende contre elle-même. Les races fières d'elles-mêmes seules ont le droit de vivre... Nous sommes nous-mêmes: le serons-nous toujours ? A doses subtiles, le génie anglais s'infiltre... les Anglais ne crient pas, ils ne se vantent pas, ils sourient à nos querelles, à nos haines, à notre destruction les uns par les autres. Sûrs d'eux-mêmes, ils attendent... Si notre indolence continue, nous sommes perdus. Je ne vois du salut qu'en la renaissance de l'orgueil national et qu'en sa vitalité! Orgueil de nos traditions, orgueil de notre histoire, orgueil de notre survivance, orgueil de notre mission canadienne!... Je n'ai pas de haine contre les Anglais, je les admire et je crois en eux, mais j'ai l'amour de ma race et je crois en elle!... Il est fort bon d'insister auprès des Anglais pour la plénitude de nos droits, mais ne faudrait-il pas surtout lancer nos forces au cœur de la race, pour le nourrir, le fortifier, l'élargir, le faire battre hautement!... Accumulons de la valeur, de l'intelligence, de la noblesse, de la foi, de la beauté, soyons une race qui mérite d'être canadienne! L'admiration, entre les races comme entre les individus, fait éclore l'amour... Les préjugés, restes de barbarie lugubre en un siècle affamé de lumière, il faut qu'ils meurent! Et c'est l'amour qui les tuera! Et c'est l'amour qui nous sauvera par les Anglais eux-mêmes! Nous n'avons, pour les attendrir, que nos cœurs français de Canadiens! Hélas, ils ne veulent pas les laisser battre sur leurs cœurs anglais de Canadiens!... Oh! le jour où certains d'entre eux, nos défenseurs auprès de leurs frères, trouveront enfin les mots qui balayent les haines! Ces défenseurs, nous les aurons, si nous en sommes dignes! Vingt siècles de christianisme seront-ils impuissants à faire jaillir un peuple de frères en Dieu?... Les Anglais n'étrangleront pas une race dont la voix chante avec extase leurs fleuves et leurs montagnes, parce que l'âme du Canada lui-même en serait déchirée! Ils n'éteindront pas une race dont le cerveau inonde leur patrie de clartés sublimes, parce qu'elle en serait elle-même obscurcie. Ils ne tariront pas le sang d'une race qui, à travers les veines de leur Canada, roulera de la puissance et de l'immortalité, lorsqu'ils auront peur d'entendre un long sanglot fraternel! Ils ne frapperont pas au cœur une race dont le Canada vivra au point de n'en pouvoir être affaibli sans beaucoup en mourir!... (p. 250-252)
Joseph-Hector Bernier
Jean Fontaine, fils d’un riche industriel de Québec, vient de terminer sa médecine. Épris d’idéal, il rêve de faire œuvre patriotique, d’œuvrer auprès des classes populaires. Il se désole du fait que sa sœur Yvonne, dont il est si près, s'est éprise d’un dandy prétentieux et superficiel.
Un soir, comme son père est absent, il reçoit à sa place la fille d’un de ses ouvriers, Lucille Bertrand. Elle est venue demander un congé pour son père très malade. Séduit par la jeune fille, Jean lui promet de rendre visite au malade, ce qu’il fait quelques jours plus tard.
Entre-temps, il essaie de communiquer sa flamme nationaliste à sa sœur et à son père. Il avertit celle-ci qu’elle court au malheur si elle épouse son dandy. « L’homme qui ne peut aimer sa race n’aura jamais au cœur les autres grands amours… Comme ceux-ci, l'amour de la race est un besoin de pitié souveraine et de dévouement... J'ai bien peur que Lucien, railleur intarissable des traditions canadiennes-françaises, ne te rende malheureuse. Comment peut-il aimer vraiment, l'homme qui renie l'amour?», lui dit-il bien sentencieusement. Et voici le rêve qu’il essaie de faire partager à son père : « Il faut que ton or serve à ta race!... il faudrait organiser un vaste élan de la race! Oui, mon père, une coalition des fortunes canadiennes-françaises pour vivifier la sympathie, l'union entre les classes... Comme il y a des sociétés pour le bien réciproque de leurs membres, j'ai la vision de sociétés qui prodigueraient à notre race la force et l'amour... Ce n'est pas de l'utopie, c'est de l'action, par le dévouement, par la convergence des initiatives et des cœurs...On s'efforcerait de mieux connaître l'ouvrier, le campagnard, on finirait par les aimer... On multiplierait les moyens d'exterminer la pauvreté, de mettre les vices en déroute. Graduellement, l'envie cesserait de ronger les humbles, l'arrogance tomberait des fronts plus élevés... Un flot d'amour emporterait la race vers l'avenir… »
Quant à lui, après bien des réticences, conscient des remous que sa décision créera dans son milieu, il se décide à laisser parler ses sentiments et se lance à la conquête de la jeune fille du milieu ouvrier. Or, il se trouve que le père de celle-ci est un ancien associé de son père, alors que les deux hommes étaient jeunes. Leur association s’était mal terminée.
Sa sœur se marie et est malheureuse : son mari est un parfait insignifiant, jouisseur, fat, querelleur. Quant à Jean, il se coupe de sa famille et épouse Lucile. Ce faisant, il renonce à son grand rêve d’ouvrir un laboratoire et de devenir une personnalité connue qui ferait honneur à sa « race ». Il pratique la médecine dans le milieu ouvrier et contribue ainsi à rallumer la flamme nationale chez les démunis.
Le roman se termine ainsi : le père, veuf depuis longtemps, est seul avec sa fille malheureuse en ménage. Tous les deux se sentent de plus en plus touchés par la flamme patriotique. « Tous deux ainsi se laissent pénétrer par l'éloquence de la flamme. Elle ne se lasse pas de rire et de chanter, la flamme allègre et bonne. Elle est large, elle est forte, elle verse des lueurs de rêve, de mystère et de clarté profonde. Comme elle est ancienne, la flamme canadienne-française, comme elle vibre de puissance et d'héroïsme! Sur les plaines d'Abraham, elle veille, elle est plus grande, elle est plus radieuse, parce que l'âme des braves l'attise, parce qu'elle est immortelle. »
Assommant! C’est long, c’est long, ça n’en finit plus. Les spécialistes s’entendent pour dire que le roman psychologique commence avec Angéline de Montbrun, puis qu’il faut attendre les années 1940 avant que le genre revienne en force. C'est qu’ils n’ont pas lu Ce que disait la flamme. L’analyse psychologique fait au moins les trois quarts du roman, sinon plus. Par exemple, entre le moment où Jean Fontaine est annoncé à la demeure des Bertrand et le moment où il salue Lucile, il s’est écoulé 12 pages! Parfois, entre deux répliques : 3 ou 4 pages! Bref, le roman compte 450 pages bien tassées alors que 150 auraient suffi.
Roman à thèse détestable. Et la thèse ne peut être plus simple : pour le Canadien français, seule la voie patriotique existe. Et l’auteur ne cesse de nous marteler la même idée : la race, la race, la race… Bien entendu, il utilise le mot comme on le faisait au début du siècle, dans le sens de « peuple ». C’est inférieur à son premier roman, Au large de l’écueil. **
Extrait
…il faut que notre race veille et se défende contre elle-même. Les races fières d'elles-mêmes seules ont le droit de vivre... Nous sommes nous-mêmes: le serons-nous toujours ? A doses subtiles, le génie anglais s'infiltre... les Anglais ne crient pas, ils ne se vantent pas, ils sourient à nos querelles, à nos haines, à notre destruction les uns par les autres. Sûrs d'eux-mêmes, ils attendent... Si notre indolence continue, nous sommes perdus. Je ne vois du salut qu'en la renaissance de l'orgueil national et qu'en sa vitalité! Orgueil de nos traditions, orgueil de notre histoire, orgueil de notre survivance, orgueil de notre mission canadienne!... Je n'ai pas de haine contre les Anglais, je les admire et je crois en eux, mais j'ai l'amour de ma race et je crois en elle!... Il est fort bon d'insister auprès des Anglais pour la plénitude de nos droits, mais ne faudrait-il pas surtout lancer nos forces au cœur de la race, pour le nourrir, le fortifier, l'élargir, le faire battre hautement!... Accumulons de la valeur, de l'intelligence, de la noblesse, de la foi, de la beauté, soyons une race qui mérite d'être canadienne! L'admiration, entre les races comme entre les individus, fait éclore l'amour... Les préjugés, restes de barbarie lugubre en un siècle affamé de lumière, il faut qu'ils meurent! Et c'est l'amour qui les tuera! Et c'est l'amour qui nous sauvera par les Anglais eux-mêmes! Nous n'avons, pour les attendrir, que nos cœurs français de Canadiens! Hélas, ils ne veulent pas les laisser battre sur leurs cœurs anglais de Canadiens!... Oh! le jour où certains d'entre eux, nos défenseurs auprès de leurs frères, trouveront enfin les mots qui balayent les haines! Ces défenseurs, nous les aurons, si nous en sommes dignes! Vingt siècles de christianisme seront-ils impuissants à faire jaillir un peuple de frères en Dieu?... Les Anglais n'étrangleront pas une race dont la voix chante avec extase leurs fleuves et leurs montagnes, parce que l'âme du Canada lui-même en serait déchirée! Ils n'éteindront pas une race dont le cerveau inonde leur patrie de clartés sublimes, parce qu'elle en serait elle-même obscurcie. Ils ne tariront pas le sang d'une race qui, à travers les veines de leur Canada, roulera de la puissance et de l'immortalité, lorsqu'ils auront peur d'entendre un long sanglot fraternel! Ils ne frapperont pas au cœur une race dont le Canada vivra au point de n'en pouvoir être affaibli sans beaucoup en mourir!... (p. 250-252)
Joseph-Hector Bernier
Né le 12 juillet 1886 à Saint-Michel de Bellechasse où son père, Camille Bernier, était pilote sur le Saint-Laurent, Hector Bernier devint avocat. Passionné de littérature, il participa activement au premier congrès de la langue française à Québec, en 1912, dont il fut un des secrétaires et il a écrit et publié coup sur coup, deux romans à cette époque : Au large de l'écueil et Ce que disait la flamme. Il est décédé en 1947. (Madeleine Ducrocq-Poirier, Le Roman canadien de langue française)
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