LIVRES À VENDRE

13 février 2007

Originaux et Détraqués

Louis Fréchette, Originaux et Détraqués, Montréal, Louis Patenaude, 1892, 360 pages. (Préface-dédicace de l'auteur)

« La société serait bien plate, et son aspect bien monotone, si elle n’était pas un peu accidentée et comme bigarrée par ces excentriques personnages… » Fréchette présente douze personnages, tous plus insolites les uns que les autres, certains drôles, d’autres pathétiques. Dans l’avant-propos, il admet qu’il a parfois « ajouté quelque peu » à la bizarrerie de ses personnages : « que le fond soit d'une nuance plus ou moins conforme à la vérité absolue, que nous importe, après tout? » Voici un aperçu de la galerie :


Oneille : Bedeau et barbier, il est reconnu pour ses traits d’esprit. Même l’Évêque est l'objet de ses moqueries. Original.

Grelot : Il a eu le malheur de traiter de « Grelot » un homme qui s’était assis sur son chapeau. Le surnom lui est resté. Il s’irrita tant et tant qu’il devint le souffre-douleur de la ville. Il en vint à frapper les gens. Détraqué.

Drapeau : Son nom est prédestiné. Il a hérité de ses ancêtres une haine maladive des Anglais. Détraqué.

Chouinard : Ce vagabond voyage de Gaspé à Québec et a développé un petit commerce : il livre en main propre des lettres. Original.

Cotton : Il vit en ermite sur les montagnes de Saint-Pascal de Kamouraska. Original.

Dupil : Espèce de mendiant originaire de la Beauce, ayant subi beaucoup de malheurs personnels. Il se met dans des colères terribles lorsqu’on l’appelle « père », ce dont les gamins ne se privent pas. Autre souffre-douleur. Détraqué.

Grosperrin : Un poète qui donne des spectacles. Original.


Cardinal : Chef des huissiers du parlement, il s’efforce de bien parler, mais il a tout faux. Original.

Marcel Aubin : Bohème. Espèce d’humoriste qui parle en vers. Original.

Dominique : Chaloupier. Quand vient l’automne, une folie mystique s’empare de lui. Au printemps, il retrouve son « bon sens ». Détraqué.

Burns : Le roi des emprunteurs. Ce type a fait de l’emprunt un art. Il aborde n’importe qui et il essaie de lui soutirer, ne serait-ce que quelques sous. Original.

George Lévesque : Tenancier d’un hôtel à Rivière-Ouelle. il est atteint de logorrhée verbale. Il parsème ses phrases d’insultes et de jurons. Original/détraqué.

La phrase est longue, très travaillée, louvoie, comme si elle s’efforçait de saisir l’esprit original de ces hurluberlus. « Le visiteur qui, de 1850 à 1864, entrait dans l’ancien parlement de Québec, était sûr de rencontrer, soit dans un couloir, soit dans un autre, un petit homme, vif, allègre, grisonnant, un peu chauve, toujours découvert, attentif, d’une politesse exquise, l’air d’un homme qui fait les honneurs de chez soi. » (Cardinal) Pourtant, comme on le voit, tout cela coule de source, est débarrassé d’apparats. Voyez encore comment il décrit le Lévis de son enfance : « C’est à peine si tu trouverais, au haut de la falaise qui domine le Saint-Laurent, un petit coin de roc où t’asseoir pour jouir encore une fois du spectacle, toujours grandiose et toujours beau, du soleil sombrant derrière le gigantesque arête du rocher de Québec, et pour écouter s’endormir le grand fleuve, avec ses bruits et ses rumeurs, dans le calme de la nuit tombante. » Les scènes sont courtes, les dialogues sont vifs, la plupart du temps très pittoresques, ne serait-ce parce que Fréchette est très sensible au langage de ces personnages.

Tous ces excentriques, mêmes les détraqués, sont décrits avec sympathie. Pour Fréchette, tout comme les gens talentueux, ces marginaux mettent du piquant dans la vie quotidienne. L’auteur est très sensible à leur intégration sociale. Il les décrit dans l’espace public. « La même population, au même moment, sans passion ni méchanceté, saluant par des exclamations enthousiastes un jeune étranger (le prince de Galles), beau, heureux, fêté, choyé, tout-puissant, et poursuivant de ses avanies un pauvre vieillard privé de raison (Grelot), déshérité de tout, pliant sous le fardeau des tristesses du monde, - mourant de faim peut-être ! » Malgré cette citation, il me semble que cette société pré-freudienne, qui ignorait la rectitude linguistique contemporaine, s’accommodait plutôt bien de l’altérité.
****½

Jugement ancien
Originaux et Détraqués (1892) - Les types populaires qu'y représente l’auteur sont d'un comique achevé, mais au point de vue littéraire, ces récits canadiens n'en sont pas moins détestables. M. Barbeau déclare que « nous n'avons nulle part ce langage artificiel et farci, mais comique et original que Fréchette, Le Moine et leurs disciples mettent dans la bouche de leurs habitants » ; peut-être aussi ce langage incorrect […] a-t-il nui à notre réputation. Quelque justifiées que soient ces assertions, elles n'empêcheront pas Fréchette d'être encore lu, parce que ce qui plaît le plus, c'est la vie, et dans les contes de Fréchette, les personnages sont pris sur le vif ; de plus, ils font rire. (Sœurs de Sainte-Anne, Précis d’histoire littéraire, Lachine, 1928)


Lire Originaux et Détraqués

Louis Fréchette sur Laurentiana

2 commentaires:

  1. Il n'y a pas de figure féminine dans ce roman ?

    RépondreEffacer
  2. Très bonne observation. Cela m'avait échappé. Que faisait-on des femmes qui présentaient des "troubles" de comportement? Serait-ce Fréchette qui, gentleman, n'a pas osé traiter des cas féminins, pour satisfaire à une étiquette de son époque? Enfermait-on plus facilement les femmes? Les cachait-on? Je n'ai pas la réponse...

    RépondreEffacer