19 mars 2007

L'Erreur de Pierre Giroir

Joseph Cloutier, L’Erreur de Pierre Giroir, Québec, Le Soleil, 1925, 249 p.

Cap Saint-Ignace, 1904. L’essentiel de l'histoire est présenté dans un flash-back. Le docteur Alfred Giroir, en convalescence chez un parent, est aux prises avec des problèmes de consommation de cannabis (Eh oui! Nous sommes bien dans un roman du terroir). Il raconte au docteur de Cap-Saint-Ignace, le narrateur du prologue, ce qui l’a amené là.

Il nait, il y a une trentaine d’années, à L’Islet, dans une famille de fermiers qui compte dix enfants. Il est fils unique, donc l’héritier présumé du bien ancestral. Par contre, sa mère a d’autres projets pour lui : comme il a une santé fragile, elle veut en faire un prêtre. Aidée du curé de la paroisse, elle finit par faire consentir son mari, Pierre Giroir. C’est là son erreur! Dorénavant, seul sur sa terre, sans but, frappé par de mauvaises années de récolte, il s’endette. Un cousin venu des États-Unis le convainc que lui et ses filles trouveraient facilement du travail dans les manufactures, qu’ils pourraient refaire leur santé économique et revenir sur la terre paternelle au bout de quelques années. Ils abandonnent Alfred à son séminaire et partent aux États-Unis au moment où une crise frappe ce pays ; ils n’y connaissent que des déboires, les filles perdent leurs belles joues de campagnardes et la mère décède.

Quant à Pierre, il ne réalise pas le grand rêve de sa mère. Il est peu disposé pour la prêtrise : depuis sa plus tendre enfance, il est amoureux de sa cousine Bella. Or celle-ci, lors d’un voyage sur le fleuve, voyant les siens au bord du naufrage, a promis de rentrer chez les religieuses si Dieu leur laisse la vie. Elle ne peut donc répondre aux sentiments de son cousin. Désespéré, il fréquente les tripots et les lupanars avant de découvrir les pouvoirs hallucinogènes du cannabis (vous avez bien lu). Il réussit quand même à passer ses études de médecine (entre deux joints!) et à trouver une place dans un petit village près de Québec. Il ramène des États ce qui lui reste de famille. Mais il sombre de plus en plus dans la drogue, si bien qu’il doit abandonner sa pratique. Ici se termine le flash back.

La fin? Il attrape la tuberculose et le bon docteur de Cap-Saint-Ignace fait en sorte qu’il finisse ses jours dans l’hôpital où travaille sa bien-aimée Bella, devenue mère Saint-Arthur. Juste avant sa mort, une de ses sœurs lui rend visite. Quand il apprend que son neveu se fera peut-être prêtre, il explose littéralement, intimant à sa sœur l'ordre de l’en empêcher car, il en est convaincu, la terre ne pardonne pas de telles défections.

Roman qui n’arrive pas à trouver son genre. Cloutier emploie le cadre du roman du terroir, mais certains chapitres donnent dans le roman sentimental, un autre dans le récit ethnologique (le chapitre 9 : la coutume du « pain bénit »), un autre dans le récit d’aventures (le presque naufrage : 21 pages pour rendre plausible le fait que Bella ait donné sa vie à Dieu). Récit stagnant, descriptions qui n’en finissent plus, digressions qui allongent artificiellement le récit. Mélo facile. Misogynie : la mère et Bella sont la cause de tous les maux. La terre plus puissante que la religion… L’amour humain plus puissant que l’amour de Dieu… Certains curés ont dû tiquer en lisant de telles lignes… **

Extrait
Alors, comme si quelque chose se fut brisé en lui, il devint tout autre. On aurait dit qu'une douleur sourde le déchirait au cœur ou que tout le souvenir de son passé s'était soudain réveillé en lui. Plusieurs instants il garda le silence, semblant absorbé par une véhémente pensée, pendant qu'un pli lourd barrait son front. Puis soudain, d'un ton presque solennel, enfonçant pour ainsi dire son regard perçant, aigu comme une lame, dans les yeux de son beau-frère:
— Charles! prends garde, dit-il. Oui, prends bien garde! La terre se venge, tu sais, elle se venge terriblement et toujours. Ah! pour celui qui l'aime et lui est fidèle, c'est la plus aimante, la plus vibrante et la plus prodigue des amies. Elle enveloppe l'objet de son amour de ses plus brûlantes caresses, pour lui, elle se fait belle, parfumée, elle se couvre de fleurs, et se pare comme une divinité. On dirait qu'elle s'acharne à attacher à elle son amant par les liens les plus tendres et les plus charmants. Pour lui, elle se consume lentement; pour lui, elle laisse déchirer son sein afin de le combler des trésors et des richesses qu'elle recèle.
Elle prodigue tout à son amant: la santé, la vigueur, l'air pur, la liberté au milieu des fleurs les plus magnifiques et les plus odorantes; et pour compenser les mornes tristesses des automnes, elle remplit ses greniers de riches moissons.
Mais, malheur, mille fois malheur à celui qui la trahit! Autant elle a aimé, autant elle va haïr. Non, non, à celui-là, elle ne pardonne pas. Comme une tigresse ivre de carnage, elle poursuivra sa victime toujours et partout. Vengeresse implacable, nul ne peut lui échapper où qu'il se cache. Oui, malheur à lui! Elle lui enlève tout: joie, santé, bonheur. Elle suce le sang de ses veines, obscurcit son cerveau et dessèche ses poumons. Elle tue ses enfants ou en fait des dégénérés et des parias. Que dis-je, elle imprime à tous les descendants de ceux que sa vengeance poursuit, les stigmates de la déchéance et de l'hébétement. (p. 239-240)

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