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2 février 2024

La guerre, yes sir!

Roch Carrier, La guerre, yes sir!, Montréal, Éditions du jour, 1971, 124 p. (coll. Les romanciers du jour, 23) (1ère édition : 1968)

Lors d’une tempête de neige, un train entre en gare dans un petit village. Parmi les passagers, sept soldats anglais ramènent le corps du soldat Corriveau mort à la guerre. Cette arrivée déclenche une certaine crainte chez les habitants du petit village concerné, car il abrite son lot de déserteurs et de réfractaires qui craignent que la venue des Anglais soit un prétexte pour les débusquer. L’un d’eux va jusqu’à se couper la main. Sur le même train, descendent Bérubé, un soldat en permission, et son épouse, une prostituée qu’il a rencontrée à Montréal quelques jours auparavant.

Après une longue et pénible marche de la gare vers la maison du mort, la tombe étant portée sur les épaules, le cortège débarque chez le père Anthyme Corriveau et sa femme. Une veillée funèbre qui attire tout le village s’ensuit. On y discute de la guerre, de l’existence de Dieu tout en dévorant des tourtières, en buvant du cidre, en se racontant des histoires salaces et en marmonnant des prières. Les soldats anglais, rangés près du mur, observent la scène sans dire un mot. La soirée vire en foire d’empoigne entre Bérubé et un certain Arsène qui a eu le malheur de parler légèrement du rôle des soldats.  Devant un tel désordre, les Anglais outrés jettent tout le monde dehors. Henri, un déserteur terré dans un grenier, perd la tête, s’imagine que le cercueil de Corriveau le poursuit, saisit son fusil et se présente chez Corriveau. Il tire et tue un soldat anglais. Le lendemain matin, a lieu le service de Corriveau. Le curé y va d’un sermon culpabilisant au possible. On enterre Corriveau. Les soldats anglais repartent avec leur mort, Bérubé et la prostituée.

Ce roman constitue une violente charge contre la guerre dont les « petits » font les frais : « Corriveau est plutôt notre premier enfant que les gros nous arrachent. Les gros, moi, je leur chie dessus. Us sont tous semblables et je leur chie dessus. Ils sont tous semblables: les Allemands, les Anglais, les Français, les Russes, les Chinois, les Japons; ils se ressemblent tellement qu’ils doivent porter des costumes différents pour se distinguer avant de se lancer des grenades. Ils sont des gros qui veulent rester gros. Je chie sur tous les gros mais pas sur le bon Dieu, parce qu’il est plus gros que les gros. Mais il est un gros. C’est tous des gros. C’est pourquoi je pense que cette guerre, c’est la guerre des gros contre les petits. Corriveau est mort. Les petits meurent. Les gros sont éternels. »

C’est aussi une caricature cruelle de la société canadienne-française : on se retrouve en présence d’une bande de grossiers personnages qui noient leur insignifiance dans l’alcool et les blagues salaces, qui ferment les yeux sur les abus que l’un d’eux subit pendant la veillée, qui démontrent une certaine obséquiosité envers les Anglais. Le récit met en scène les deux solitudes, leurs différences, leur incompréhension. D’une part, le sentiment de supériorité des Anglais; de l’autre, le petit Canadien français complètement aliéné, qui préfère se fondre dans la médiocrité ambiante et faire de l’Anglais le bouc-émissaire de tous ses malheurs.

Mais l’aliénation est peut-être moins une question de langue ou d’origine ethnique et davantage le résultat d’une religion complètement négative qui condamne les gens d’avance : « Moi, votre Curé, à qui Dieu a donné le privilège de connaître, par la très sainte confession, les secrets de vos consciences intimes, je sais, Dieu me permet de savoir que plusieurs parmi vous, blasphémateurs, impudiques, fornicateurs, violateurs du sixième commandement de Dieu qui défend les fautes de la chair, ivrognes, et vous, femmes qui refusez les enfants que Dieu voudrait vous donner, femmes qui n’êtes pas heureuses des dix enfants que Dieu vous a confiés et qui refusez d’en avoir d’autres, femmes qui menacez par votre faiblesse l’avenir de notre race catholique sur ce continent, je sais que sans le Christ qui meurt tous les jours sur cet autel lorsque je célèbre la sainte messe, je sais que vous seriez damnées. »

Pourquoi faudrait-il changer quoi que ce soit si cette vie terrestre n’est qu’un long chemin vers la damnation?

Roch Carrier (né en 1937) est surtout connu pour La Guerre, yes Sir! (1968). Il ne craint ni la caricature ni les situations burlesques, si bien qu'on ne s'ennuie jamais dans ses oeuvres.

Extrait

Les bougies s’étaient éteintes sur le cercueil de Corriveau. Le salon n’était plus éclairé que par la lumière débordant de la cuisine. Une lumière jaune, comme graisseuse. Les soldats avaient assisté imperturbables au massacre d’Arsène. Ils avaient regardé d’un œil impassible cette fête sauvage noyée de rires épais, de cidre et de lourdes tourtières mais le dégoût leur serrait les lèvres.

Quelle sorte d’animaux étaient donc ces French Canadians ? Ils avaient des manières de pourceaux dans la porcherie. D’ailleurs, à bien les observer, à les regarder objectivement, les French Canadians ressemblaient à des pourceaux. Les Anglais longs et maigres examinaient le double menton des French Canadians, leur ventre gonflé, les seins des femmes gros et flasques, ils scrutaient les yeux des French Canadians flottant inertes dans la graisse blanche de leur visage, ils étaient de vrais porcs, ces French Canadians dont la civilisation consistait à boire, manger, péter, roter. Les soldats savaient depuis longtemps que les French Canadians étaient des porcs. « Donnez-leur à manger, donnez-leur où chier et nous aurons la paix dans le pays », disait-on. Ce soir, les soldats avaient sous les yeux la preuve que les French Canadians étaient des porcs. » (p. 90-91)

Roch Carrier sur Laurentiana
Les jeux incompris (1956)
Cherche tes mots cherche tes pas (1958)
Jolis Deuils (1964)

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