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23 février 2024

Dans un gant de fer (2 t.)

Claire Martin, Dans un gant de fer, Montréal, Cercle du livre de France, 1965, 2 tomes, 235 p., 208 p.

Le récit autobiographique de Claire Martin compte deux parties, chacune dans un tome différent.  

Tome 1 : La joue gauche

Le père de Claire Martin était un pervers narcissique. En sus, un violent. Tout le monde devait se plier à ses horaires, à ses idées, à ses diktats qui concernaient même la nourriture. Il battait sa femme et ses enfants violemment pour un oui ou un non. Et quand il n’y avait pas de raison, il s’en trouvait. Il était ingénieur et disparaissait par moments pour le plus grand plaisir de la famille. Pour son bien-être ou la réalisation de ses rêves, toutes les dépenses étaient justifiées; pour les autres, ce n’était que gaspillage.  Heureusement Claire avait une mère et surtout des grands-parents maternels qui lui prodiguaient beaucoup d’amour.

Comme toutes ses sœurs, dès le primaire, elle rentre au pensionnat, un couvent tenu par des religieuses, ce qui à première vue lui plaît. Mais comme elle est une enfant qu’on ne peut casser, les sévices corporels et les humiliations reprennent. Certaines religieuses n’ont rien à envier au père. Et malgré le puritanisme du milieu, on comprend qu’il existe des personnalités déviantes, qui se défoulent dans les couvents à défaut de mieux, et qui se servent de la religion pour apaiser leur conscience. Dans un second pensionnat, trois ans plus tard, les choses sont tout au plus un peu mieux. Sa mère, longtemps malade, finit par mourir.

 Tome 2 - La joue droite

Après le décès de la mère, si faire se peut, le père est encore plus violent. La terreur règne dans la maison mais, dans son dos, les enfants forment un clan solidaire. À défaut de défier le père, ils passent outre aux interdits quand il n’est pas là. Ils continuent de communiquer avec les grands-parents maternels et un oncle (ce qui leur est défendu), ils fument, ils organisent même des séances de danse à la maison. À l’école, Claire continue de se faire des ennemis et, finalement, elle est renvoyée sans avoir obtenu son diplôme de dixième année. L’arrivée d’une belle-mère n’y change rien. Claire a développé une telle rancoeur face aux hommes qu’elle ne tient guère à se faire un copain. Le récit se termine par le mariage de sa sœur. Elle comprend que c’est sa seule voie d’évasion.

Le père est un monstre. Un pervers narcissique à qui les règles de l’époque permettaient de pratiquer ses vices sans être inquiété. Il exerce un contrôle de tous les instants au nom de la morale, morale que lui-même bafoue. Un sadique égoïste qui contrôle sa femme et ses enfants par la violence et le dénigrement, qui s’attribue tous les mérites. Il joue ses enfants les uns contre les autres et récompense la délation. Aujourd’hui, il serait en prison. Le comportement du père, criminel dans son cas, ne sort pas des limbes. Sans être universel, ce modèle éducatif, en plus civilisé, était plus répandu qu’on le pense. À preuve, on le retrouve (sévices corporelles, humiliation) dans le pensionnat à ceci près que certaines religieuses compensent pour celles qui sont presque aussi pires que le père. (On ose à peine imaginer ce que devaient vivre les Autochtones.)

Cette autobiographie était nécessaire. Cependant, Claire Martin n’en finit plus d’enfoncer le même clou et son récit devient répétitif. Au bout de 200 pages, on a compris que le père est un salaud. On regrette qu’elle n’ait pas resserré le récit de son enfance-adolescence et qu’elle ne soit pas allée plus loin dans le temps. Comment survit-on à une telle enfance-adolescence? Comment Claire Montreuil (son vrai nom) est-elle devenue Claire Martin?

Le discours féministe qu’elle tient et la misogynie à saveur religieuse de l’époque ne sont pas exagérés. Sa vie de femme était toute tracée : couture-cuisine-sois-belle-tais-toi-et-enfante. Et surtout, ne t’avise pas d’aguicher un homme! Le poids de la vertu, toi seule tu dois le porter! Sans remettre en cause ce paradigme, on aurait aimé en savoir plus sur ses frères : ont-ils aussi fréquenté des pensionnats? La violence et les dénigrements du père s’exprimaient de quelle façon ?

Finalement, la « sainte famille canadienne-française » et la religion sortent on ne peut plus meurtries de ce témoignage.

Extrait

Nées trop tôt dans une société où les femmes se mariaient ou n’existaient pas, que de filles laides, à cette époque, prenaient le chemin du couvent où on les engluait dans la bêtise la plus plate et où leurs talents, souvent réels, ne leur servaient qu’à développer une bonne technique de la gifle ou du coup de poing. Nous ignorions que ces violences sont les soupapes de la sexualité contrariée. C’est dommage. La sexualité des sœurs, c’est ça qui nous aurait fait rire. […]

Elle s’était levée, comme j’entendais dire en mon jeune âge, « le gros bout le premier » et elle se mit tout de suite à houspiller celle-ci et celle-là. Nous n’avions pas offert, et elle avec nous, notre journée à Dieu depuis dix minutes que, déjà, les coups pleuvaient. Puis sa rage se cristallisa sur une petite Leblond après qui elle se mit à courir le poing levé, la petite trottant devant. Au bout du dortoir, il fallut bien s’arrêter. Mais il y avait là un escalier qui ouvrait une gueule tentatrice. La grosse sœur n’y put résister. Elle y précipita la petite Leblond qui, avec une magnifique présence d’esprit, se mit à crier des injures de choix. C’était d’un dramatique inouï et nous prenions toutes un plaisir extrême à entendre la sœur se faire appeler « grosse vache », si bien que nous pensions peu à l’infortune de notre compagne dont c’était le corps, pourtant, qui faisait ces affreux bruits de chute derrière les cris.

— Que se passe-t-il ici ? tonna une voix venue des profondeurs.

Arrivée au bout de sa dégringolade, l’enfant était tombée dans les bras de la Supérieure et c’était la grosse voix asthmatique de l’autorité que nous entendions sans parvenir à y croire, tellement c’était inespéré. (t. 1, p. 214-215)

Claire Martin sur Laurentiana
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Doux-amer

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