Serge Deyglun, Né en trompette, Montréal, Éditions de Malte, 1950, 62 pages (Couverture : Normand Hudon; préface : Éloi de Grandmont).
On a dit, dans les journaux de l’époque, qu’il fallait voir plus qu’un calembour dans le titre : la trompette de Deyglun est celle des musiciens de jazz, plus précisément du be-bop. On a aussi répété que Deyglun improvisait sur un thème et ne revenait pas en arrière pour corriger, enrichir. Le premier texte, qui met en scène un trompettiste noir, semble confirmer ces hypothèses.
« Né en trompette », c’est 50 petits poèmes en prose qui ne font pas plus d’une page. On dit « poèmes », bien que certains textes n’aient rien de poétique : ils ressemblent à ce que les journaux de l’époque appelaient des « billets », comme Lozeau, Monique, Lisette… en écrivaient autour des années 20. Dans la préface, Éloi de Grandmont fait un rapprochement avec Paul Fort, dont la poésie était toute simple. Ne chicotons pas trop sur la nature du texte, surtout avec l’élasticité que les genres ont acquis depuis cinquante ans.
S’il est difficile de classer ce petit volume, il l’est tout autant d’en cerner le contenu. Chaque billet-poème est facile. De là à tirer une synthèse du recueil, c’est autre chose. La plupart des textes racontent une expérience vécue, signifiante ou pas. Le « je » de l’auteur est bien présent. Vont servir de point de départ la musique, les relations amoureuses, la nature, la ville. Il ne faut pas y chercher des messages autres qu’un sentiment de solitude… Ce qui réunit plusieurs textes, c’est une certaine fantaisie verbale. On trouve quelques calembours mais surtout des associations d’idées et des chûtes qui peuvent surprendre. Deyglun veut nous amener là où on ne l’attend pas.
NUIT DU FAUNE
J’ai bu des cocktails de rosée. Mon corps s’est dissous dans le brouillard et j’ai rampé dans les roseaux.
J’étais ivre de fumée et j’ai chanté avec les grenouilles.
Je me suis appuyé sur les quenouilles embrumées et c’était bon de voir que ces réverbères pliaient avec moi.
Je suis le faune de l’étang. Je m’enduis de lune et je vais, sur les rayons, « magasiner » de l’amour et des étoiles. J’ai donné des baisers... j’ai fait mourir la rose tant ce baiser était profond. J’ai créé et détruit en même temps.
Je glane les parfums au rythme des criquets. Tiens ! mon Broadway s’allume. Les panneaux-réclame des mouches à feu annoncent l’amour. J’entre dans un bar : « Aux Lucioles Assoiffées ». Je bois et je danse. Un « ouaouaron » joue de la contrebasse sur un nénuphar sans fleur ; un autre, aux tambours des champignons, prend un air détaché.
J’ai glissé sur la ville, j’ai éteint les panneaux et je me suis dissous dans le brouillard.
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