Serge Deyglun, Ces filles de nulle part, Montréal, Atys, 1960, 125 pages.
Le recueil contient quatre nouvelles, dont trois portent le nom d’une femme. En 1949, Serge Deyglun s’est engagé comme marin et a navigué 18 mois aux Antilles. On peut supposer que ce périple est à la source de son recueil.
Cycle
Le narrateur erre, entre autres dans le port. Son regard se porte surtout sur la laideur de la ville. On comprend qu’il veut partir.
Esther
Esther est une prostituée, très attachante, rencontrée dans un port en Colombie lors d’un escale qui dure une semaine. Le narrateur fréquente les bars et surtout se paie tout un « trip » de marijuana, et une longue discussion avec une mite. « Et elle baissa les yeux avec une humilité qui me parut assez fausse. Je regrette de ne pas pouvoir renseigner le lecteur sur la véracité de cette humilité car, étant nouveau dans le monde de la quatrième dimension, je conserve encore, malgré moi, une conception "humaine" des choses et de sentiments. Il serait bon toutefois de vous apprendre que la mite est un animal aux dehors extrêmement honnêtes et propres. Une discussion avec un lépidoptère est chose très difficile. D'abord, la mite a la troublante et peu humaine habitude de vous regarder droit dans les yeux, ce à la longue, devient insupportable, Ensuite, elle a des yeux, dix fois plus volumineux que les vôtres, et s’il est vrai que les yeux sont "le miroir de l'âme", je comprends pourquoi certains contemporains l'enfouissent si profondément, la disent impalpable, et se hâtent d'en faire une chose sacrée. L'âme de la mite est trop évidente pour en être une, mais si cela est, je ne comprends pas mon animosité envers son regard. »
Cajua
Pour régler son problème d’alcool, un médecin a convaincu le narrateur d’accepter un poste en pleine jungle. La compagnie fait de l’exploitation forestière à Desterrada, en Amazonie. Sur le bateau qui l’amène à son poste, il rencontre Cajua, la jeune maîtresse cubaine du capitaine. Et il lui raconte plein d’anecdotes, parfois personnelles, parfois délirantes, ce qu’elle écoute patiemment.
Gréda
Récit assez surréaliste. Le narrateur, perdu dans un pays sans nom, rencontre Greda, une femme qui lui demande de cesser de parler et de regarder. De se contenter de regarder.
Les quatre récits sont étonnants, déroutants et parfois un peu confus. Il va de soi qu’on est loin du récit à la Maupassant. On trouve des relents du nouveau roman et de tous les mouvements artistiques de la première moitié du XXe siècle. Les narrateurs sont des êtres seuls qui se cherchent. Ils voyagent d’abord pour se dépouiller de tout ce qu’il traîne avec eux dans leur vie. Pour laver leur esprit. C’est l’époque de l’existentialisme et cela aussi est palpable chez Deyglun. Bien que ce ne soit pas le but, les récits de Deyglun illustrent le pouvoir colonial et le racisme qui l’accompagne.
Les trois derniers récits ont été réédités en 1971 aux éditions du Jour. Son ami Michel Garneau a signé la préface.
Extrait
« Cette nuit d'automne ou les panneaux-réclames ont écrit "cycle" m'a fait comprendre que je ne laisserais rien en arrière et que mes ennuis étaient déjà dans mes bagages, dans l'odeur de mes vêtements. Je ne crois pas en l'engagement. Cette tentative de justification me laisse froid. Je déteste le monde et tous les hommes. Je déteste encore plus leur conscience et cette ardeur épouvantable à être de mauvaise foi. Il n'y a pas d'ordre, rien de défini, aucune vérité antérieure aux hommes. C'est pourquoi je suis sceptique sur la qualité d'un engagement, quel qu’il soit. Dans l'état où sont les choses aujourd'hui, rien n'est valable et l'équilibre des peuples et de leurs systèmes n'existe pas. Ce voyage n'est pas une fuite, ce n'est pas non plus un compte rendu, non, seulement une autre chose inutile qui me rapproche de plus en plus de la seule chose à laquelle il nous est permis de croire: Le néant. »
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