1 mai 2020

Gouttes d’eau

Jeanne Grisé, Gouttes d’eau, Prose et poésie, Saint-Jean, Ateliers du Canada-français, 1929, 128 p. (Préface de Georges Bilodeau, ptre)
Jeanne Grisé (1903-1997) a écrit beaucoup de billets pour des journaux, tels Le Canada françaisLa PatrieL’Action catholiqueLe bulletin des agriculteurs, etc. Elle a publié plusieurs « livres de conseils pratiques », des articles, donné des conférences, souvent sous le pseudonyme d’Alice Ber. 
Elle commence en 1928 à écrire des chroniques dans le Canada français sous le nom de Goutte d’eau. L’année suivante, elle publie Gouttes d’eau, un recueil qui regroupe une centaine de courts textes et 16 poèmes. Certains se retrouvent et dans le journal et dans son recueil.
Les textes les plus anciens sont datés de 1922. Plusieurs sont des méditations sur la nature, l’amitié, l’amour, le passage du temps; d’autres racontent le quotidien d’une jeune fille, ses plaisirs, ses liens familiaux, ses amitiés, les lieux qu’elle habite dont sa chambre, l’environnement de la Yamaska, un voyage au Saguenay et un autre en Abitibi, les moments clé de l’année; quelques-uns ont une portée sociale, comme l’abandon des campagnes; d’autres enfin sont des textes de circonstances probablement lus lors d’un anniversaire, un jubilé d’argent ou d’or.
Gouttes d’eau appartient à ce qu’on appelle aujourd’hui la littérature intime. On comprend que la plupart des textes sont d’abord nés dans le journal de l’autrice. Il faut souligner sa facilité à dégager du quotidien le plus plat des métaphores et des symboles pour parler de la vie avec finesse. Disons-le, c’est bien écrit et un charme se dégage de ce subtil mélange de tristesse et d’enchantement.

BAnQ
L’OMBRE
L’ombre a parfois des mines hypocrites, elle avance en sournoise et vole à la lumière tout ce terrain où pourtant semblait régner une puissance invincible. Et l’empire croule, ne laissant que murailles grises, sombres fleurs, passants en deuil. Je n’aime pas cette ombre arrachant tout au soleil, effaçant la gaieté, chassant le jour... Non, car elle cherche à s’infiltrer même en les replis de l’âme...
Mais l’ombre a parfois des gestes doux et caressants elle s’étend comme un voile sur les êtres et les choses... je trouve à ce manteau léger, un prisme de raison. L’imagination est souvent lumière vive, aveuglante, il faut la tamiser d’un abat-jour, qu’importe s’il est gris, quand ses plis sont soyeux!
J’aime à voir les choses sous cette ombre enveloppante... j’aime pour mon rêve, une écharpe tissée de fils pris à la réflexion... qu’importe s’ils sont gris, quand ils sont soyeux !

Voir aussi Médailles de cire sur Laurentiana

La préface de Georges Bilodeau a de quoi faire sursauter : 
« N’y cherchons pas la prétention, l’affectation, le pédantisme qu’une certaine catégorie de femmes modernes veulent mettre à la mode. Il n’y a rien de l’ambitieuse qui ambitionne la tribune ou le prétoire. N’y cherchons pas même une moraliste qui dicte ses leçons ou une savante qui étale son savoir dans les sciences naturelles ou philosophiques. / L’auteur de “Gouttes d’eau” n’est qu’une jeune fille, mais cette jeune fille a le bon esprit de comprendre que ce qui charme chez la femme, ce sont les qualités qui lui sont propres, qu’elle ne partage avec personne. Si elle eût visé au grand genre, elle se fût trompée. Ce qui est charmant chez la femme ce ne sont pas les diamants et les colliers, mais c’est le goût, l’élégance, c’est le mot cordial qui dit moins que l’inflexion qui. l’accompagne, c’est le sourire dont elle encadre même ses souffrances, c’est l’oubli d’elle-même qui distribue le bonheur autour d’elle. Qu’elle soit intelligente, instruite, savante même, c’est un lustre ajouté à ses autres qualités naturelles. Mais personne ne l’estimera autant que lorsqu’il verra transparaître dans ses paroles et dans ses actes la modestie et la douceur.



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