17 mai 2014

Médailles de cire


Jeanne Grisé, Médailles de cire, Montréal, Granger frères, 1933, 156 pages. (Préface d’Alfred Desrochers)

La préface de Desrochers est peut-être ce qu’il y a de plus intéressant dans ce livre. Non pas pour ses idées pénétrantes, mais parce qu’elle nous renseigne sur la conception poétique de l’époque et peut-être même sur la place qu’on réservait à la poésie. Desrochers attribue une note de 8/10 à Jeanne Grisé. S’il avoue d’emblée qu’il ne s’agit pas là de « l’œuvre la plus transcendante de [s]a génération », il ne qualifie pas moins d’« honnêtes » son inspiration et sa facture. Pour lui, tous les grands thèmes y sont : « l’amour avec son cortège de joies et de peines, l’amitié, la vie familiale, la nature ». Il apprécie que l’auteure ne soit pas de  ceux « qui se proposent d’étayer l’autel avec la pioche de démolisseur du vers libre. » Il met toutefois en garde le lecteur : « Vous ne trouverez pas d’innovations fulgurantes dans ces vers. » Il conclut ainsi : « On n’élève peut-être pas ainsi le niveau général de l’humanité, mais on ne l’abaisse pas non plus. Et l’on égaye les loisirs d’honnêtes gens qui sont nos contemporains. »

Le titre est une contrefaçon de « Médailles d’argile » d’Henri Régnier. Bien que ce ne soit pas indiqué dans la table des matières, ce recueil compte cinq parties : « L’avers », « Le revers », « Médailles incuses », « En exergue » et « Romance ». Les termes « avers, revers, incuses » sont empruntés à la numismatique.

Dans le poème liminaire, Grisé use de l’habituelle humilité des auteurs de l’époque : « Si j’avais eu l’audace ou le naïf orgueil / De songer à la gloire en faisant ce recueil, / De mon piètre succès, Lecteur, tu pourrais rire ; // Mais je t’offre des vers écrits d’abord pour moi / Sans grand projets, et dont je pense, comme toi, / Que ce sont simplement des médailles de cire. »

Dans Avers, on découvre une jeune femme déçue qui arrive difficilement à oublier un amour qui ne s’est pas concrétisé : « Il est aussi des cœurs effacés et craintifs / Qu’un amour ignoré garde à jamais captif… » Et bien entendu, ce sont les questionnements sans fin : « Toute lampe est éteinte et le soir est venu / Je demande au passé : Pourquoi l’ai-je connu ? » Rien ne change dans la seconde partie intitulée Le revers. C’est toujours le même amour déçu, sauf que la jeune femme semble y voir plus clair : elle comprend que l’amour qu’elle voue à son amoureux ne sera jamais partagé. En fait, elle commence à douter sérieusement de sa sincérité : « J’entends encore tes mots et je revois tes yeux, / Tout mon cœur, obsédé, se demande, anxieux, / Si le mensonge est dans tes phrases actuelles… » Dans Médailles incluses, la rupture est consommée. Ne restent que la solitude et le chagrin : « Je pleure. Nul espoir n’éclaire ma détresse. / Aucun souffle ne vient rasséréner mon front. / Le souvenir est accablant et la tristesse / De ce soir automnal ceint mes tempes de plomb. » On est toujours sur le même sujet dans En exergue, mais les poèmes sont d’inspiration religieuse. Dans le poème intitulé « Prière », la poète remercie Dieu pour tout ce qu’il lui a donné, mais regrette qu’il ne lui a pas permis d’atteindre « l’horizon infini des amours ». Les poèmes de la dernière partie, Romance, font figure de conclusion. L’autrice a pris du recul, elle réfléchit sur le bonheur, la maternité, la sincérité, la « marche de la vie », la construction du moi.

Selon Desrochers, Grisé-Allard aborde « l’amour avec son cortège de joies et de peines, l’amitié, la vie familiale, la nature… » En réalité, c’est un recueil qui décrit un revers amoureux. Tous les autres thèmes sont liés à celui de l’amour. La poète confie ses états d’âme et ses pensées intimes sans sombrer dans le grand mélodrame romantique. Toute cette poésie est mesurée, simple mais sentie. 

Du point de vue formelle, Médailles de cire est très conventionnelle. On y lit plusieurs sonnets, des poèmes de tercets ou de quatrains, les vers sont souvent dodécasyllabiques et la rime toujours au rendez-vous.

Étonnant que ce recueil ait connu quatre éditions.

2 commentaires:

  1. Hummm.. Est-ce qu'on tient compte du fait que les poétesses se faisaient rares à l'époque? Juste le fait d'être publiée était un exploit pour une femme non? Fallait quand même pas s'attendre à ce que sa pensée soit complètement libre et originale... on se calme...une chose à la fois, je me dis...;-)

    RépondreEffacer
  2. Madame Arcand,
    Je sais bien que dans beaucoup de domaines, on faisait peu de place aux femmes. Mais en littérature, j'en suis moins sûr. Je ne dis pas que tout est parfait, mais simplement que la littérature a beaucoup mieux servi les femmes que la politique ou le social ou... J'ai une liste des poètes féminines entre 1933 et 1947. Ça peut être un début pour étudier plus à fond la question.

    http://laurentiana.blogspot.ca/p/poesie-des-femmes-1933-1947-corpus-1933.html

    RépondreEffacer