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18 janvier 2019

Drames de la vie réelle

Georges Isidore Barthe, Drames de la vie réelle, J. A. Chenevert, Sorel, 1896, 91 pages.

Nous sommes en 183… Julie, l’héroïne orpheline de ce récit, a quitté « une des plus pittoresques paroisses du bas du fleuve » (on peut penser que c’est Kamouraska), s’est rendue par diligence à Sorel, pour consulter son père spirituel, le Grand Vicaire de Sorel. Lors d’une visite précédente, avant son mariage avec un jeune médecin de sa paroisse, elle avait déjà séjourné chez son bienfaiteur. À ce moment, un vieux médecin irlandais, ami du Grand Vicaire, s’était épris d’elle. « Nous l’avons dit, notre héroïne était belle, de ces beautés attrayantes et sympathiques à tous, dont sont douées, disons-le, en l’honneur national, la plupart de nos jeunes Canadiennes-françaises, mais elle était faible de santé, ainsi que nous l’avons constaté ; notre médecin devenu amoureux, dissimulé par calcul, n’en était pas moins expert dans son art ; vieux garçon, il avait consacré ses veillées à l’étude de sa belle profession, facilitée, du reste, par une nombreuse clientèle, joignant ainsi la théorie à la pratique. Mais comme on n’est jamais sans défaut, il calmait ou plutôt débrouillait les ennuis de sa vie sédentaire par un usage peu modéré de l’opium, ce qui explique, en partie, ses lubies amoureuses. » Le mari de Julie avait découvert un poème que l’Irlandais lui avait écrit – ce qu’elle ignorait – et il était devenu jaloux maladif – ce qu’elle ne comprenait pas. C’était donc la raison qui l’avait emmenée à Sorel pour consulter son parent adoptif.

En apprenant la nouvelle qu'elle est mariée, le vieux médecin perd la tête, se rend dans la paroisse de Julie et  assassine le mari. Barthe ne nous explique pas davantage ce qui l’incite à commettre un tel acte. Il revient à Sorel, croyant que personne ne l'a vu. On a tôt fait de rassembler des faits qui l’accusent. Chose étonnante, c’est le grand vicaire, en quelque sorte un ami, qui lui conseille de fuir aux États-Unis pour échapper à la justice. Il réussit à semer ses poursuivants et se réfugie en Nouvelle-Orléans, où il mourra dans le malheur. Quant à Julie, après quelques années de deuil, elle épousera un notaire.

Vous aurez reconnu l’intrigue de départ du roman Kamouraska d’Anne Hébert (elle l’a précisé dans une note au début de son roman).

Barthe affirme que son récit est « des plus authentiques ». Authentique peut-être, mais décousu, mal ficelé, certainement. « Mon roman est, en outre, pour ainsi dire historique… En me relisant, je constate que j’ai laissé courir ma plume et que mon travail tient plutôt de la chronique rétrospective ou du genre mémoire que du roman. » Le livre compte une centaine de pages bien serrées. L’histoire que je viens de résumer pourrait tenir dans 25 pages. Et le reste? Ce sont des digressions de toutes sortes. « Pour nous conformer au titre de ce roman — Drames de la vie réelle — nous allons suspendre le récit des douleurs qui ont saturé l’âme de notre héroïne sans toutefois, ainsi qu’on le verra plus tard, brider son cœur, tant la jeunesse et le temps sont des palliatifs aux plus grands malheurs ! Mais n’anticipons pas… »

Comme une  inondation a lieu (c’est le dégel) au moment où Julie atteint Sorel, l’auteur nous relate toutes les inondations qui ont frappé l’endroit, dont la terrible de 1862 (dont on parlait aussi dans Le Survenant, si ma mémoire est bonne). On a droit au nom de tous ceux et celles qui ont perdu la vie, leur maison, leurs animaux, etc. L’auteur dit un mot sur tous les organismes de secours qui se sont formés suite au désastre. Il ajoute même le montant des pertes et celui des dons qui sont parvenus des paroisses avoisinantes. « Pour donner une idée à nos lecteurs de ce qui eut lieu, lors de ces débâcles du Richelieu, nous relatons, foi de romancier, ce qui s’est passé, aux dates ci-dessous, tel qu’on dit au Palais, sauf à retrouver notre vénérable Curé et ses compagnons et à reprendre notre récit relatif au drame dé notre héroïne. »


Autre objet d’une longue digression : on est en plein dans la Rébellion des patriotes. Barthe, lui-même un patriote, nous narre tous les épisodes qui ont secoué la région avant l'insurrection proprement dite. On a droit aux Résolutions signées par ceux-ci lors d’une assemble, Avec le nom des proposeurs et appuyeurs. « Nous profiterons du séjour de Julie chez notre excellent curé pour, en les accompagnant tous deux, raconter au lecteur attentif les choses extraordinaires dont Julie fut témoin avec son père d’adoption, l’un des acteurs, scènes qui se passèrent à Sorel, alors le bourg de William Henry. Le lecteur, bien que nous ne précisions point les dates pour le bon motif que nous ne voulons pas qu’on puisse retracer l’identité des descendants des personnages que nous faisons revivre dans notre roman, mais le lecteur, disons-nous, nous croira sans peine, lorsque nous lui dirons que toutes les aventures navrantes que nous avons à raconter datent d’avant 1837-38. »

C’est sans compter les intrusions d’auteur loufoques (Barthe reproche à des gens d’avoir vendu un terrain, de l’avoir déforesté,  etc.). Je pourrais en ajouter, et en ajouter encore. C’est mal écrit, mal raconté, pénible à lire pour tout dire... mais un objet de curiosité.

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