Le sommeil ne venait pas tout de suite.
Les petits enfants sont si excités, quand ils attendent des étrennes! On
chuchotait, on riait. On se relevait et l’on se rendait à la tête de
l’escalier; on cherchait à surprendre quelque bruit révélateur, son de flûte ou
de tambour! On se remettait au lit avec l’arrière-pensée qu’on ne dormirait
peut-être pas quand saint Nicolas passerait; alors on verrait si ce serait
maman ou tante Estelle!
Finalement, les anges nous prenaient dans
leurs bras et les rêves venaient! À minuit, maman nous appelait, le jour de
l’an était arrivé. On décrochait le bas rempli, et l’on descendait vers
la salle à manger, où étaient les jouets. Tout le monde s’embrassait: « Bonne
année, maman, bonne année, papa, bonne année, tante Estelle, bonne année, Toto,
bonne année, Marie, bonne année, Pierre. »
Pendant
une heure, on s’amusait avec le carrosse, la poupée, le piano aux sons grêles
et faux, le tambour, le jeu de blocs, et l’on poussait sans cesse des cris
d’enthousiasme ! Il fallait bien pourtant remonter se coucher, mais à quatre
heures on était déjà relevés, et à cinq heures, emmitouflés dans les fourrures
de lapin blanc, on s’en allait vers l’église. Oh ! ce n’était pas la plus
fervente des messes, mais maman nous avait accoutumés à offrir au petit Jésus
toute notre année, dès minuit. Alors, le bon Dieu devait, en faveur de cela,
pardonner les distractions et les sourires heureux que nous échangions entre
nous durant le saint sacrifice !
Au retour,
on jouait tout de suite, et on jouerait ainsi toute la journée avec les jouets
que demain on abandonnerait un peu...
L’avant-midi,
commençait la procession des petits enfants du « côteau », qui
venaient chercher leurs étrennes. Ils avaient de grandes poches de grosse
toile, ils les tenaient ouvertes avec leurs deux mains, et on y jetait
pêle-mêle sacs de bonbons et fruits. Maman leur donnait des beignes et des
tourtières. Ils étaient aussi joyeux que nous, plus heureux peut-être, parce
que la fête était plus extraordinaire, et que les privations de l’année les
rendaient moins difficiles, les chers petits pauvres.
Tous les quêteux
du village défilaient, jusqu’à ce Johnny, qui était toujours ivre et dormait
dans toutes les rues et dans tous les parterres, en été ! Il arrivait l’œil
déjà mouillé, la jambe un peu molle; bon diable, il se mettait à genoux pour
faire ses souhaits, appelant papa et maman: « Mon bon monsieur, ma bonne
dame », et finissant ses vœux démonstratifs en disant: « J’chus
saoul, mais j’chus pas mauvais; j’veux cinq cennes comme étrennes, pour me
payer la traite. » On avait beau le combler de manger, il continuait à
supplier à genoux. Le manger, voyez-vous, pour lui, ça ne valait rien; il lui
fallait le boire qui réchauffe et endort ! Pauvre misérable, qui nous faisait
rire et me ferait pleurer, maintenant, de pitié pour sa vie d’abruti.
Le jour de
l’an passait comme un rêve; il venait tant de monde ! On voyait presque tous
les hommes de la paroisse; on s’amusait... et on engloutissait friandise sur
friandise ...
Le soir
tombé, les petits enfants un peu repus, beaucoup fatigués, ne se faisaient pas
trop prier pour monter se coucher. On était las, en vérité, d’avoir manié les
mêmes jouets neufs toute la grande journée !...
Pourtant,
je me rappelle avoir été triste, parce que c’était si loin l’autre jour de
l’an, et les autres surprises ! Petite fille insatiable qui a toujours
ardemment désiré voir ce qui s’en vient, et qui, aujourd’hui, grande personne,
ne se garde pas d’avoir hâte, hâte sans cesse, hâte à la Résurrection future,
même !
(Michelle
LeNormand, Autour de la maison, 1918,
p. 101-104)
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