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9 novembre 2018

Moisson de souvenirs

Andrée Jarret (pseudo de Cécile Beauregard), Moisson de souvenirs, Montréal, Le Devoir, 1919, 158 pages.

On sait très peu de choses sur Cécile Beauregard. Pourtant, entre 1918 et 1928, elle a publié six livres : Le médaillon fatal (1924), L'expiatrice (1925), Le secret de l'orpheline (1928) et les trois que j'ai blogués (voir ci-dessous). On la perd de vue en 1928. Que lui est-il arrivé? Est-ce l'effondrement des éditions Garand qui l'a obligée à renoncer? C’est un peu ce qui m’a motivé à lire Moisson de souvenirs, de prime abord, une autobiographie. 

Le nom des personnes a été changé, apprend-on dans l’épilogue. C’est facile à comprendre : si on se fie à ce qui est raconté dans Moisson de souvenirs, elle devait être au début de la vingtaine et toutes ces personnes dont elle parle sont bien vivantes. Le récit, jamais daté, commence à la fin du 19e siècle et se termine pendant la première guerre mondiale.  Peu d’événements historiques permettent de nous situer : il y a seulement la guerre et le congrès eucharistique de Montréal en 1910.

L’action se déroule dans quatre lieux : Lowell Mass., Montréal, Maricourt et Saint-Claude dans les Cantons-de-l’Est.

Le récit comprend trois parties : l’enfance, l’adolescence et la jeunesse. 

Son enfance et son adolescence, Marcelle (c’est son nom d’emprunt) les passe dans des couvents dans les Cantons-de-l’Est (Saint-Claude et Maricourt). Pourquoi en ces lieux? Parce que sa famille en est originaire. Là vivent encore ses oncles et ses grands-parents qui veillent sur elle et ses frères et sœurs. Elle est pensionnaire parce que ses parents, eux, vivent à Lowell, Mass. On ne saura rien de cette vie américaine. Et ses parents finissent par déménager à Montréal, alors qu’elle a 12 ans. 

Plus ou moins bonne élève, elle se présente comme une petite fille très sensible, rêveuse, plutôt solitaire. Et il lui faudra un certain temps avant d’apprécier la vie du couvent. On s’étonne toujours de certaines règles qu’on appliquait dans l’éducation des enfants, aussi bien au couvent qu’à la maison : il faut détruire toute forme de vanité, d’amour-propre chez les enfants, quitte à les humilier si nécessaire. Les enfants doivent rentrer dans le rang et surtout, ne pas afficher une personnalité qui le différencie. C’est grâce à Sœur Saint-Blaise, qui a deviné ses dons artistiques, qu’elle finira par s’attacher à sa vie de couventine. 

Bien entendu, devenue adolescente, les soeurs essaieront de l’attirer dans la vie religieuse, ce qu’elle refusera nettement pour une bonne raison : depuis toujours elle est amoureuse de son cousin germain, Jean. Sortie du couvent un peu avant d’avoir obtenu son diplôme, elle demeure chez ses parents, en attendant Jean qu’elle voit rarement. Elle dessine, publie ses dessins dans des revues et aide sa mère à s’occuper de la famille nombreuse. Par moments, elle semble quelque peu dépressive. Jean, qui partage ses sentiments, et qu’elle attend depuis si longtemps, finit par lui faire faux bond : il rentre chez les prêtres. On croit comprendre que c’est la grand-mère toute puissante qui l’a fortement influencé. Et cette même grand-mère va convaincre Marcelle d’entrer chez les sœurs. Fiction tout cela?  

Cette vie de jeune fille, au début du XXe siècle, peut sembler assez convenue. Rien d’extraordinaire n’arrive. C’est le quotidien d’une écolière, parfois en butte contre un professeur ou d’autres écolières. Et il faut bien admettre que le récit traîne souvent en longueur. Pourtant, je me répète, il me semble qu’il y avait une Gabrielle Roy en herbe chez Cécile Beauregard. Et ceci apparaît dans certaines observations qui dénotent beaucoup de finesse, pour une assez jeune auteure.  C’est souvent le cas quand il s’agit de dresser le portrait ou l’état d’âme d’un personnage. Le regard se porte au-delà des apparences et de la psychologie facile.

Deux extraits

« La porte fermée, pour tout de bon, cette fois, Jean tourna sur lui-même et s’enfuit étourdiment. Alors, stupide, j’eus tout à coup l’impression cruelle, profonde, de n’être pas chez moi. L’abandon, l’humiliant oubli, la solitude et la détresse du cœur, toutes les pauvres misères humaines fondirent sur mon petit cœur de huit ans qui n’y entendait rien. Je sentis une chaleur à la figure et les larmes me montaient aux yeux, quand la voix mélodieuse de Jean m’appela :
— Viens jouer Marcelle ! 

***

« Décidément en verve, il demanda ensuite à Lydia, si elle pouvait accompagner Adeste fideles. Sur la réponse négative de la petite qui rougissait, il prit sa place au piano et s’accompagna lui-même. Religieusement, avec une charité grave et tendre, il chanta les belles syllabes latines, laissant se déployer sans entraves, toute la vivante richesse de sa voix à laquelle se mêlaient humblement, les notes veloutées du piano. En tournant le dos, il semblait nous avoir oubliées, et la tête légèrement renversée en arrière, il tenait ses paupières presque closes, comme s’il eût été en face du Tabernacle.
J’avais pu considérer ma sensibilité comme à jamais anéantie, mais, raidie de toutes mes forces contre moi-même, éperdue et avalant des sanglots, je n’en croyais plus rien. Jean m’avait tout rendu. »

À lire sur Wikisource

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