23 novembre 2018

Amour moderne

Laëtitia Filion, Amour moderne, Beauceville, Chez l’auteure, 1939, 143 p.

Pierrette des Orties est une jeune bourgeoise orpheline qui vit avec sa mère sur la Grande Allée à Québec. Bientôt elle va se marier avec Charles, de milieu plus modeste, un arpenteur souvent parti au loin. Pierrette n’est pas très sure de son amour pour Charles, qui est aussi un ami d’enfance. Pendant une de ses absences, elle rencontre un Américain francophone, Guy de Morais, et tombe amoureuse de lui sans se l’avouer. Au retour de Charles, qu’elle est venue accueillir à la gare, cette vérité lui saute aux yeux. Elle est si perturbée qu’elle cause un accident sur le chemin du retour. Gravement blessée, surtout au plan psychologique, elle tarde à renouer avec la vie. Le mariage est repoussé et bientôt annulé. Guérie, elle reprend sa vie mondaine et renoue avec Morais et quand ce dernier la demande en mariage elle accepte. Ce bonheur est brusquement interrompu quand sa mère fait faillite. De Morais, mis au courant, ne donne plus signe de vie. Pierrette décide de prendre en main la situation familiale précaire : elle déménage avec sa mère dans un appartement, loue la maison et trouve un travail. Charles réapparaît dans sa vie. Mais, par orgueil et ayant le sentiment que cet amour serait à jamais ombragé par ce qui s’est passé entre eux, elle le repousse. En épilogue, on apprend qu’elle est rentrée chez les sœurs et Charles, à la trappe d’Oka.

C’est un roman sentimental dont la structure n’est pas originale : un triangle amoureux fondé sur l’opposition entre les riches et les modestes. La fin est particulièrement décevante. Cette jeune femme, qui ne pensait qu’aux mondanités, vivant aux crochets de sa mère,  par la force des circonstances, devenait une jeune femme capable de gérer sa vie, et tout cela va mourir dans une fin vieille comme le monde, comme s’il n’y avait pas de vie possible pour les femmes en dehors des hommes. Plus encore, tout le monde plaint cette pauvre Pierrette qui doit travailler et « gagner sa vie ». On est vraiment en 1939! Autre aspect qui laisse à désirer : l’auto-analyse de Pierrette, ses tergiversations sont trop répétitives.

Extrait

Comme Pierrette se taisait, il continua :

—Ah c’est pour cela que tu me repousses! C’est de crainte de voir les gens critiquer ta manière de faire, c’est parce que tu n’aurais pas extérieurement le beau rôle. Mais tu le sais bien, nous laisserons la ville, nous irons loin, très loin, aussi loin que tu voudras, afin qu'aucun de ces bruits ne viennent frapper ton oreille, et gâcher le bonheur que je veux te donner. Nous chercherons un lieu pour cacher notre vie où personne ne saura rien de nos relations antérieures; il ne viendra à la connaissance de personne non plus que tu m’as accepté en mariage un jour où ta dot était minime.

—Ah! je le sais Charlie, je ne doute pas une minute de ton bon coeur, loin de moi l’idée de te faire injure. Tu cacherais à tous ce secret que moi je ne saurais jamais oublier. Jamais tu ne me ferais le moindre reproche ni de ma pauvreté, ni de ma conduite passée, tu mettrais même tout en oeuvre pour me faire oublier mes torts envers toi. Raison de plus de t’admirer, de te dire que je sais t’apprécier. Mais tout cela ne change rien à ma décision.

Puis sur un ton différent :

—Si je suis femme c’est pour savoir ce que c’est que d’aimer. Dans ma naïveté j’ai pu croire le contraire, combien j'ai souffert pour en faire la triste et bienheureuse expérience, nul ne le saura jamais. Puis il n’y a pas que moi qui sois en jeu. Vous-même, comment pourriez-vous aimer une femme qui au lieu de vous donner son coeur à jamais, l’a donné un instant à un autre? Comment pourriez-vous chasser de votre esprit les soupçons qui, en justice, pourraient l’effleurer? Comment pourrai-je être heureuse quand un regard de vous, un simple mot, me paraîtraient des allusions à mon malheureux passé que je suis impuissante à abolir? Notre vie ne serait qu’un long malentendu! Oh Charlie, je vous en prie, éloignez-vous. Tout, tout nous sépare.

Elle s’était dressée en prononçant ces dernières paroles. (p. 141)

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