Michelle LeNormand, Couleur du temps, Édition du Devoir, Montréal, 1919, 142 pages.
Couleur du temps est constitué de 46
courts textes de 2 à 4 pages, dans la même veine que ceux d’Autour de la maison, publié trois ans plus tôt. L’auteure a
vieilli et ce n’est plus le regard enfantin mais celui d’une jeune adulte qui s’exprime.
Plusieurs de ces textes ont d’abord paru dans Le Nouvelliste et Le Devoir.
D’ailleurs, souvent, dans ses « billets », LeNormand interpelle son
public.
La
plupart ne sont pas des récits, mais plutôt des instantanés, des portraits, de
courtes réflexions, des descriptions allégoriques. Elle revisite son passé (Feuille sèche, En relisant votre journal, La
poupée, En ressassant le passé, La mort d’une robe…), observe son
entourage (La commère, La petite fille au turban, Le «docteur», La mauvaise tricoteuse…), s’inquiète quand même un peu du futur (Sa clairvoyante, Morale prosaïque, Anxiété)
et s’analyse (L’imagination, En vacances, L’attente déçue, Qui me donnera,
Girouette…)
On
découvre une jeune femme entière mais qui doit continuellement se contenir à
cause de la pression sociale qui pèse sur les jeunes filles, comme en témoigne
ce texte non sans humour : « La jeune fille bien est cultivée et doit s’y entendre un peu en littérature ; elle
lit les auteurs à la mode, auteurs sérieux ou légers, qu’importe, pourvu qu’ils
soient des auteurs dont les noms se prononcent dans les salons bien, et dont on
discute souvent les œuvres : et cette jeune fille demi-mesure doit être à demi
en mesure de donner son mot, son appréciation. Il est nécessaire d’être au
courant, même si le livre n’a pas été écrit pour les enfants de son âge ; car
la jeune fille bien n’est pas une oie blanche ; il convient qu’elle ait
certaines connaissances, qu’elle soit renseignée ; et puisqu’il ne faut pas
qu’elle ait trop de religion, il serait niais qu’elle eût trop d’innocence,
qu’elle eût un cœur frais, facile à scandaliser, ou plutôt à blesser. Elle est
d’une nature délicate cependant, et elle parlera volontiers de son idéalisme.
Tout cela se voit d’ailleurs à sa façon un peu précieuse de parler, à ses
manières, aux gestes de ses doigts pâles ; cela se voit à sa toilette. Mais
elle manque de grâce ; si ses robes sont exactement suivant les derniers
modèles, elle les porte avec une certaine maladresse ; elle est tirée à quatre
épingles, guindée. Elle ne se froisserait pas pour une terre, c’est évident.» (Une jeune fille bien)
À
l’occasion, elle jette un regard bienveillant sur les vieilles gens, les
vieilles maisons, sur la campagne, ce qui la rapproche des tenants du terroir. « Que
le neuf dans cette campagne fasse défaut, elle s’en moque et n’y perd rien. Ses
vieilles maisons ne sont-elles pas toutes habillées fraîchement, embellies de
blanc, ou de galeries à colonnes qui les parent, sans jurer avec leur
ancienneté ? Ce sont des vieilles bien élevées, aux physionomies accueillantes.
Ce sont des vieilles qui ont grand air ! » (Chez vous, chez nous)
Le passage
du temps me semble le motif le plus présent dans le recueil, que ce soit en
observant une tante, ses grands-parents ou ses amies : « C’est ainsi
toujours : on ne peut pas garder autour de soi et cultiver toutes les fleurs
d’amitié qui s’ouvrent et s’épanouissent sur la grand’route de la vie. À mesure
que l’on marche, on abandonne les bouquets déjà respirés pour se pencher vers
des fleurs plus fraîches, vers des yeux nouveaux. »
Il y
a une moraliste (Paroles vives, Mauvais silences) chez LeNormand. Et
une idéaliste. Le temps a le pouvoir de conjurer tous les malheurs. Sa
recherche de la justice, de la beauté est largement inspirée de la morale
religieuse de l’époque : « Ne sommes-nous pas tous des enfants qu’une
main divine dirige, à travers tous les événements, et soutient quand il le
faut? » (Saint-Antoine)
Ajoutez
quelques touches humoristiques (Psychologie
dentaire) et un certain goût de la crânerie et vous avez un portrait, probablement assez
juste, de la jeune bourgeoise des années 20.