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13 janvier 2017

Jules Faubert. Le roi du papier

Ubald Paquin, Jules Faubert. Le roi du papier, Montréal, Pierre R. Bisaillon, 1923, 171 pages.

Jules Faubert a 32 ans et beaucoup d’ambition : « Il veut contrôler au pays la production du bois, surtout du bois à papier, en être le Roi. » Déçu par Pauline Dubois qui l’a trompé (elle a embrassé un ami d’enfance!), il s’est lancé corps et âme dans les affaires. L’auteur explique ainsi ses motivations : « L’orgueil, cet orgueil qui était sien, orgueil unique et démesuré en était une, des moins avouables. D’autres venaient après: la hantise d’être quelqu'un, d’égaler, lui, Canadien français, dans le domaine de l’argent, ses compatriotes d’autres langues ; un amour de sa race sans ostentation, sans jactance, qui le faisait souffrir du préjugé de notre infériorité commerciale; un besoin d’action, d’action violente qui le faisait presque se pâmer d’aise dans l’accomplissement de choses difficiles ; une force impatiente de se dépenser ; le pouvoir de créer quelque chose d’utile à la collectivité avec l’argent irrésistible, de développer le niveau moral et intellectuel des siens parce que sa fortune qu’il veut immense lui permettra des dons onéreux... »

Ce qu’il ignore ou feint d’ignorer, c’est que Pauline Dubois est toujours amoureuse de lui. Il la revoit à l’occasion, la fréquente, puis s’en éloigne, trop occupé par ses affaires. Faubert crée une compagnie, rachète des petits concurrents, installe une usine de bois de sciage près d’Amos en Abitibi et, finalement, attaque son principal rival, un industriel anglophone. Il achète même « un journal libre dans un pays où la majorité de la presse est vénale » pour influencer les décideurs. Il finit par écraser tout le monde, même les grévistes qui veulent le défier, en les menaçant de ses poings et de son fusil. 

Le voilà « roi du papier ». On l’honore. Mais au sommet, il découvre la solitude et se rend compte que tout cela est vide de sens... sans Pauline Dubois. Il la demande en mariage de façon cavalière et elle lui dit non. Tout son monde s’écroule : il prend de mauvaises décisions, se met à dos ses collaborateurs, et ses concurrents en profitent pour l’attaquer. La banqueroute l’attend. C’est ce moment que choisit Pauline Dubois pour lui avouer son amour. Ragaillardi, il lui promet de reconquérir son empire. 

L’intrigue amoureuse est convenue : mésententes et obstacles séparent les amoureux qui finissent par se retrouver dans un « happy end ». L’intrigue financière est plus porteuse de sens. On n’a pas souvent vu, dans un roman, un Canadien français devenir un magnat de la finance au nez des Anglais. Paquin explique avec assez de détails les tactiques commerciales mais aussi boursières et politiques, employées par Faubert pour devenir le « roi du papier ». Ce qui est plus gênant, c’est la dimension temporelle de l’aventure. Il me semble que l’action se passe en accéléré : en tout au plus trois ans, il a liquidé tous ses concurrents. Et en quelques mois, il a fait banqueroute. 

Comme dans tous les romans de cette époque (plusieurs dénoncent le matérialisme ambiant), l’argent ne va pas de soi. « Il a mauvaise odeur, il est source de corruption », semblent-ils tous nous dire. À l'image de ses concurrents, Faubert est obligé d’employer des moyens malhonnêtes pour parvenir à ses fins. Et, au final, les belles motivations initiales (réalisation personnelle, nationalisme, solidarité…) volent en éclat. Son désir de puissance est ramené à une histoire d'amour : « Il aime Pauline Dubois. Il l’aime par toutes les fibres de son être physique et moral. Elle est l'unique objet de son ambition. S’il a voulu être « quelqu’un » c’est pour elle. » Au diable la conscience sociale! Avec Pauline Dubois, Faubert a trouvé un moyen de purifier sa quête de puissance, de « blanchir » sa richesse. Peut-être pourra-t-il redevenir un « roi du papier » plus légitime.


Extrait

     « Puisque Pauline Dubois est indispensable au bonheur de sa vie, il n’y a qu’une chose à faire: l’épouser. Dans l’ordre du sentiment il apporte la même tactique qu’aux affaires: « Droit au but et sans tarder. » Les Américains appellent cette catégorie de gens des « go getter ».
     Le lendemain il se présente chez la jeune fille. Sans préambule romantique ou romanesque, il lui confie, sûr de la réponse:
     — Pauline je vous aime. Voulez-vous de moi. Fixez une date pour notre mariage.
   Cette demande ne constitue qu’une simple formalité. S’il le voulait, il pourrait la prendre, l’emmener avec lui, la garder comme sa chose. La jeune fille l’aime. Il en a eu les preuves, irréfutables.
     Mais à quoi obéit-elle?
    Elle le regarde et voit sur toute sa figure un reflet de bonheur où nulle trace d’inquiétude ne se montre.
     Est-ce par un besoin de faire souffrir l’être aimé ou par une conception soudaine de l’amour qui se change en cruauté, cruauté qui en est souvent le fond? Est-ce la tigresse qui dort en toute femme qui se réveille? L’être primitif a-t-il pris le dessus, celui dont la loi suprême est celle du talion? Veut-elle simplement par un retour des choses, lui faire souffrir ce qu’elle a souffert elle-même?
    Est-ce sadisme, cruauté, vengeance?
    Elle ne le sait pas elle-même. »

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