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22 mars 2016

Anatole Parenteau et Jacques Ferron

La Voix des sillons, comme Ferron l’a bien vu, propose une réflexion sur le sentiment d’appartenance ou sur la notion de patrie. Rien de nouveau, allez-vous penser. Je n’en suis pas si sûr. Pas de drapeau, ni l’apologie d’un héros de notre histoire, ni idéologie de conservation... La notion de « patrie » apparaît davantage comme un lien sentimental, un sentiment forgé dans l’enfance, plutôt qu’un rempart pour protéger la nationalité canadienne-française.  Ce qui n’empêche pas Parenteau, comme plusieurs écrivains de l’époque, de décrire la ville comme l’antre du mal et et de glorifier l’« heure des vaches », les traditions de Noël… (voir l'extrait)

Parenteau emprunte aux Romantiques une certaine conception de l’écriture : un lyrisme à fleur de peau, un paroxysme des passions jamais loin du mélodrame, un goût pour les métaphores flamboyantes. Celles-ci (dans une moindre mesure, les périphrases) envahissent le récit. Par exemple, impossible pour lui de dire simplement qu’une semaine est passée. « Sept crépuscules avaient cherché refuge derrière les montagnes, et mon cœur plus que mes yeux sentaient le besoin de la revoir. » On pourrait multiplier les exemples. Dommage qu’Édouard Garand n’ait pas fait son travail d’éditeur : il aurait pu aider son jeune auteur à clarifier davantage l'enchaînement des événements et surtout à contenir sa propension  à métaphoriser les moindres détails.


Anatole Parenteau et Jacques Ferron : mise au point
Si le livre de Parenteau n’est pas complètement disparu dans les limbes littéraires, on le doit à Jacques Ferron qui, à deux reprises, cite La voix des sillons. Voyons ce qu’il en est de cette citation tirée de L’Amélanchier :

« Bien avant moi, Anatole Parenteau, cet écrivain-menuisier qui n'a fait qu'un livre, un livre naïf et baroque que mon père aimait bien, La Voix des sillons, un livre surtout touchant par le désarroi qu'il traduit, le terminait par ces mots : «La patrie c'est tout, la patrie c'est rien.» (Montréal, Éditions du jour, coll. Les Romanciers du jour R-56, page 156)

Soyons clair et précis. Anatole Parenteau a bien écrit : « La Patrie, c'est rien. » mais jamais : « La patrie c'est tout, la patrie c'est rien. » Ferron s’est permis d’interpréter un passage du texte. De plus, ce passage apparaît à la fin de la cinquième partie, et non à la fin du roman. Voici le passage auquel réfère Ferron dans L’Amélanchier.

LA PATRIE (Parenteau)
C’est un beau pays que le Canada, c’est un pays de guérets, et de familles nombreuses.
La Patrie, chers lecteurs, ce n’est pas seulement le pays qui nous vit naître, ce n’est pas le lieu où l’on a été baptisé, ni l’endroit où l’on a enterré ses vieux parents lorsque la mort les a ensevelis pour toujours. La Patrie, c’est le cœur, c’est toute la terre.
La Patrie, c’est une chaumière en bois non équarri, où vit à l’intérieur une joyeuse marmaille.
La Patrie, c’est l’humble sanctuaire au haut de la côte avec des bancs grossiers, don des cultivateurs d’alentour.
La Patrie, c’est un chemin d’hiver qui court à travers la campagne et qui raccourcit le chemin d’été ou chemin du roi.
La Patrie, c’est la longue rangée de peupliers verts qui sépare l’église du presbytère.
La Patrie ce sont les innombrables cerisiers où l'on cueille les cerises d’automne.
La Patrie, ce sont les lourds traîneaux dont l’on se sert pour la guignolée et les fourberies du mardi-gras.
La Patrie, c’est la grande huche rouge des ancêtres où l’on garde les aliments.
La Patrie, ce sont les fraises et les framboises que l’on mange en famille, mêlées à la crème épaisse du pays.
La Patrie, c’est le rouet antique qui file sans se lasser.
La Patrie, c’est la grise attelée au berlot.
La Patrie, ce sont les enfants qui vont nu-pieds à l’école, par des chemins rocailleux et des sentiers de terre-neuve.
La Patrie, ce sont les chantiers, et le flottage des billots.
La Patrie, c’est le cimetière natal où la fougère pousse haute entre les tombes.
La Patrie, c’est rien.  (La Voix des sillons, pages 126-127)

Là où Parenteau rejoint Ferron, c’est dans ce que ce dernier appelle l’ « orientation domo-centrique » : « Le point de départ, qui devient, après le départ, le point de retour, est demeuré longtemps le seul point fixe au monde » (Ferron). Dans L’Amélanchier, Ferron raconte comment se forge l’identité. Tinamer, au sortir de l’enfance, abandonne la vision du monde, physique et mentale, qu’elle avait partagée avec son père. À vingt ans, elle découvre qu’il est impossible d’évacuer le monde de la petite enfance. Qu’on le veuille ou non, on appartient à une famille, à un lieu, à une histoire, à un imaginaire… Il en va ainsi pour la « patrie » : « Un pays, c’est plus qu’un pays et beaucoup moins, c’est le secret de la première enfance; une longue peine antérieure y reprend souffle, l’effort collectif s’y regroupe dans un frêle individu… »

Il semble que Ferron ait voulu écrire une « historiette » sur Parenteau, intention qui est restée à l’état de brouillon. Dans le Fonds-Jacques-Ferron, on trouve ce jugement étonnant sur le roman de Parenteau : « Le livre le plus extraordinaire de notre littérature, La voix des sillons d’Anatole Parenteau, a été publié en 1932. Il exprime le sentiment d’exil que tout Canadien, aimant son pays, mais le connaissant pas, éprouve à domicile au Canada. Anatole Parenteau n’a jamais voyagé ; son héros parcourt le monde. » (« La voix des sillons », Fonds-Jacques-Ferron, 2.11.27, feuillet 4.)

Certains ont pu penser que Ferron donnait dans l’ironie quand il qualifie d’extraordinaire le roman de Parenteau. Mais je crois qu’il suffit de bien lire la définition du mot pour comprendre. « Extraordinaire : Qui sort de l’ordinaire, qui fait exception; Qui étonne par son aspect bizarre, singulier. » En ce sens, oui La Voix des sillons est un roman  extraordinaire. Ce roman ne ressemble en rien à ce qui a été écrit à l’époque. Parenteau nous plonge dans une aventure  rocambolesque, le héros devient au fil des pages un vagabond sans patrie (du moins, on le croit), qui défie les lois morales de l'époque (l'amour libre, le meurtre, le suicide), et la fin du roman ne vient pas rétablir l'ordre établi. L'auteur prend une certaine liberté avec les différentes ficelles qui attachent les épisodes entre eux dans un roman. Avec ce roman baroque, Parenteau se distingue des romanciers de l'époque qui, la plupart, s'inscrivaient dans le réalisme, ce qui devait plaire au conteur fantasque de L'Amélanchier.

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