LIVRES À VENDRE

14 décembre 2015

Pour saluer Miron 2015 : Courtepointes

Il y a dix-neuf ans aujourd'hui, Gaston Miron s'en allait «amironner» dans d'autres pays. Juste pour rappel, un poème publié dans Courtepointes



DANS MES ARPENTS D'YEUX

Enfin je peux te regarder face à face
dans le plus végétal maintien de l’espace
terre tour à tour taciturne et tourmenteuse
terre tout à la fois en chaleur et frileuse
pour qu’un jour enfin je repose
dans ton envolée la plus basse...

1961
Sainte-Agathe-des-Monts


Gaston Miron sur Laurentiana

11 décembre 2015

Théâtre en plein air

Gilles Hénault, Théâtre en plein air, Montréal, Cahiers de la file indienne, 1946, 41 pages. (Avec six illustrations de Charles Daudelin)

« Les comédiens fantômes jouent à se croire vivants. »

En quoi le théâtre en plein air est-il différent du théâtre traditionnel?  En abolissant les murs, l’aspect factice de la représentation, - le jeu et le costume d’emprunt des personnages, les accessoires, le décor - apparaît sous son vrai jour.

Cette quête d’un monde dégagé de ses artifices surgit dès le second poème, « Visages sans nom », dans lequel le mot « vrai » est répété huit fois : «  Visages vrais paysages / Vrais ciels des fronts / Vraies fleurs des joues, vraie terre / des bouches amères et pleines d’ombre, / Vraies rivières des rires jaillissants / Et vraies rives des yeux / au bord des cavernes du rêve ». Tout se passe comme si les humains se livraient à des jeux sans authenticité, coupés qu’ils sont de leur identité, acquis qu’ils sont à toutes les influences extérieures : « Bêtes, bêtes ridicules et curieuses / Bêtes furieuses avec vos têtes mêlées / Vos têtes trouées où le son et la forme / et la couleur et l’odeur insidieuse / tiennent leurs conciliabules vagues. » Ce que le poète souhaite, c’est une action responsable, vraie pour tout dire, libre en quelque sorte : « Tant mieux si le vent et le temps / nous font un visage que désertent les charmes / et si nous n’avons pas cet éternel sourire / de la statue qui pense une seule chose / avec l’immuable consentement de la mort et de la pierre. »

Le discours est toujours le même dans « La belle au bel amour dormant ». L’amant se perd dans l’image qu’il se crée de son amoureuse : « Parce qu’il te voyait, dormante, à la mesure de son désir / Et que te voilà dressée simple et nue / à la porte d’un Eden insoupçonné ». Et c’est toujours la même quête, dans la « Chanson du grand échanson » : «  l’aveugle », le « paralytique » compte sur la femme pour remonter aux sources de son être. « J’évoque si fort ta figure endormie / Que je ferai sourdre au matin / Une fraîcheur nouvelle à tes paupières de pierre  / Par laquelle ma joie refleurira / Aux coraux de ta stable jeunesse / Visage par qui le monde m’est rendu. »

Le problème est posé différemment dans « Dame de vieil âge » (l’âge permet de s'affranchir des masques) et dans « Portrait d’une Balinaise » (le primitif garant de l’authenticité : « Et tu ne peux faire que ta bouche fermée ne profère / les chants de ta race »), mais au fond c’est encore la même quête. En somme, tout se passe comme si le monde n’était qu’une vaste comédie où chacun tenait un rôle qui le dénaturait, ce que dit assez bien le poème « Vivre nu » : « Vivre nu sur les plages du temps! / Et que s’écoule inlassablement le sable / au sablier de la mer! […] Vivre nu sur les plages du temps / Car la liberté est d’eau vive / Et le ciel est un miroir de solitude. »

Cette image de la liberté au cœur d’un paysage marin nous amène à la seconde partie du recueil, « Proses postiches », composée de quatre poèmes en prose. Les tensions réalité/apparence et vrai/factice sont toujours au centre des poèmes. Toute parole est en quelque sorte une trahison pour celui qui la dit : « Si tu dis qu’elles [phrases] sont bizarres, c’est que la voix l’est aussi, c’est qu’il n’est rien de plus bizarre que la parole humaine et que les mots sont nouveaux chaque fois qu’on les profère. » (Les insulaires) Dans un monde où les cris ne sont pas entendus, où les relations humaines ne sont que quiproquos, « on se demande avec angoisse quelle force refera l’unité de ces âmes déchirées et divergentes » (Théâtre en plein air). Il est assez clair que, pour Hénault, il faut retourner aux questions essentielles, en quelque sorte aux origines : « N’avons-nous pas joué dans des sources souterraines aux eaux encore pleines du reflet des chevelures barbares et que nous prenions pour les ailes emportées d’étranges oiseaux préhistoriques. Ces soirs, nous avons miré notre face dans la première aurore, et nous avons failli mourir d’avoir reconnu notre essence dans les fruits et les fleurs de la première argile. » 

« Le Voyageur », dernier poème du recueil, reprend sur le mode ironique la démarche de l’humain prisonnier de sa condition absurde. Ce voyageur artificiel a beau courir à tous vents, il ne trouvera rien au bout de sa route : « Pendant que l’aube se lève enfin, et que les mares fument attisées par le vent du sud, il s’arrête, plein de la nausée du vol des vautours voraces, en équilibre sur le bout du monde et trempant un orteil dans la merde. / Il est arrivé, mais il ne sait pas où. Bien sûr, c’est un cimetière d’éléphants et pour la première fois le soleil se lève à l’Ouest. / Il n’a qu’un mot plat pour décrire ce spectacle — zut alors, dit-il, alors, ça serait-y que le soleil serait gaucher! »

C’est un beau livre (magnifiques illustrations de Daudelin) et un recueil de poésie, cohérent, plein de sens, typique de cette époque où le haut lyrisme et une certaine posture romantique étaient  les attributs de la grande poésie. Quand on considère sa date de publication, on saisit mieux son importance : avant 1946, il y avait Nelligan et son oeuvre (1904), Les Atmosphères de Loranger (1920), À l’ombre de l’Orford de Desrochers (1930), Regards et Jeux dans l’espace de Garneau (1937) et Les Iles de la nuit de Grandbois (1944). Il me semble que Hénault fait le pont, plus que Paul-Marie Lapointe ou Roland Giguère, entre Grandbois et Miron.

Voir aussi Totem
Voir Vincent-Charles Lambert, L’Histoire de Gilles Hénault




4 décembre 2015

Le voyage d'Arlequin

Éloi de Grandmont, Le voyage d'Arlequin, Montréal, Les Cahiers de la file indienne, 1946, 37 pages (illustré de 5 encres à pleine page d’Alfred Pellan).

En 1946, les maisons d’édition consacrées à la poésie n’existent pas. Pour publier, il faut faire appel à un éditeur généraliste et, le plus souvent, assumer les frais d’édition et de distribution du recueil. C’est dans ce contexte qu’Éloi de Grandmont et Gilles Hénault fondent « Les cahiers de la file indienne ». Comme les deux ont fréquenté Pellan et les automatistes, ils adhèrent, du moins par l’esprit, à l’esthétique surréaliste.

La maison d’édition va publier cinq recueils de poésie et une pièce de théâtre : Le voyage d’Arlequin (1946) d’Éloi de Grandmont, Théâtre en plein air  (1946) de Gilles Hénault, Les sables du rêve (1946) de Thérèse Renaud, Les équilibres illusoires (1948) de Pierre Yve Le Baron, L’Ogre (1948) de Jacques Ferron et  Modo pouliotico de d’André Pouliot (1957). Seulement les trois premiers feront l’objet d’une collaboration entre écrivain et artiste (dans l’ordre : Pellan, Daudelin et Mousseau). Le Baron illustrera lui-même son recueil tandis que la pièce de Ferron et le recueil de Pouliot ne seront pas illustrés.

Le Voyage d'Arlequin fait partie des Livres québécois remarquables du XXe siècle selon Claude Corbo. Il est vrai que les dessins de Pellan, en lien avec le contenu du livre, sont parmi les plus beaux de l’édition littéraire au Québec. C’est peut-être un peu moins vrai pour ce qui est du contenu poétique du recueil. Même si on sent le passage du surréalisme à l’occasion, on constate surtout que la plupart des poèmes sont composés de quatrains, parfois rimés, parfois constitués de vers d’égale longueur (isométriques), toujours avec une majuscule au début.

En choisissant la figure d’Arlequin, le poète inscrit son recueil sous le signe de la légèreté et de la fantaisie. La libération ne passe pas dans ce recueil par un rejet rageur d’une morale sclérosée comme on le verra chez quelques poètes des années 50, mais plutôt par la recherche d’un bonheur simple, affranchi de toutes contraintes : « Ah! N’avoir jamais de répit et / Et toujours essouffler la joie ». Ou encore plus parlant : « Mes mains sont si pleines de roses / Que j’improvise le bonheur ».  Ce qui ne veut pas dire que le poète ne déplore pas une certaine vie rapetissée : « Et, souvent sur les portes ouvertes / Nous marchons, battus, dans nos dos ronds ». Comme on le lit dans le dernier extrait, plutôt qu’une situation clérico-sociale, c’est un état d’esprit qui empêche l’individu de s’affranchir, de mordre dans le bonheur : « La danse, plus jamais, n’achève / Son geste à peine commencé. / Et j’écoute les pas du rêve / Marchant sur un thème passé. »

Le recueil s’assombrit peut-être légèrement dans les derniers poèmes. Il évoque la guerre (« Ciel vidé d’ombre et encombré / De nouveaux astres aux clameurs / De fer-blanc »), la solitude (« Plus personne à sa voix / Ne retrouve son corps ») et une certaine fragilité du bonheur : « Maison sans portes ni fenêtres, / Maison du vent et des passants. »

Un procédé que De Grammont explore à fond consiste à adjoindre un verbe « animé » à un objet inanimé, par exemple dans le poème II : « La fenêtre a baissé les yeux »; « Le dessin découvre la feuille » ; « Le paysage ne dort pas ». Mais ce processus de métaphorisation n’est pas, ici,  assez audacieux pour qu’on puisse vraiment se sentir dans un recueil surréaliste.

Sur Éloi de Grandmont : Marie-Christine Lalande, Nuit blanche, magazine littéraire, n° 90, 2003, p. 38-41
Sur Le Voyage d’Arlequin : Livres québécois remarquables du XXe siècle

D'autres illustrations de Pellan : Les Iles de la nuit d’Alain Grandbois