LIVRES À VENDRE

11 juillet 2010

Contes populaires

Paul Stevens, Contes populaires, Ottawa, G. E. Desbarats, 1867, 252 pages. (Préface de l’auteur)

Paul Stevens est né à Namur en 1830. Il serait arrivé au Canada en 1854. Il publie un recueil de fables en 1857 et ses Contes populaires en 1867. Le recueil, qui compte 16 contes inspirés de la tradition orale, aurait donné lieu à deux rééditions (1922; 1924)

La dédicace va ainsi : « Ce livre est respectueusement dédié peuple canadien. »

Préface de l'auteur
« Éclairer les esprits, ennoblir les cœurs, tels doivent être les deux buts de la littérature. Tous les charmes de l'art d'écrire, toutes les ressources d'une féconde imagination, tous les ornements ingénieux du langage, qui ne voilent nos pensées que pour les faire paraître plus belles, doivent être employés à rendre les hommes meilleurs. »

« Si maintenant nos humbles récits peuvent fournir une agréable récréation à la jeunesse, et dérider même parfois l'homme le plus grave ; s'ils peuvent contribuer, dans nos campagnes, à faire s'écouler joyeuses et instructives les longues heures de nos veillées d'hiver, nous n'aurons pas entrepris une œuvre inutile, et notre livre aura sa raison d'être. »

Pierre Cardon
Pierre Cardon avait tout pour être heureux. Un jour, il rencontre un ancien ami qui l’entraîne dans l’ivrognerie. Il perd son commerce; son fils et sa femme meurent; et il subit le même sort, seul, sur le bord d’une route, en plein hiver.

José le brocanteur
Récit en vers. José aime faire du troc. Au départ, avec ses cinquante écus, il achète un cheval, qu’il échange contre une vache, qu’il échange contre un cochon, etc.; à la fin il n’a plus rien.

Les trois diables
Le récit mélange deux motifs classiques : un cordonnier a droit à trois vœux et il s’en sert pour sauver sa femme qui a vendu son âme au diable.

Les deux voisins
Deux voisins ont des approches différentes : l’un dépense sans compter; l’autre fait des économies.

Pierriche
Pierriche est grognon. Il aime beaucoup sa femme, mais ne cesse de lui répéter qu’il se farcit toute la misère. Un jour, elle lui propose de changer de rôle. Pierriche vole d’une catastrophe à l’autre.

Jacquot le bucheux
Une paysanne prétend que, si elle avait été à la place d’Ève, elle n’aurait pas croqué la pomme. Le Seigneur, passant par là, décide de la mettre à l’épreuve.

Pierre Souci dit Va-de-Boncoeur
Pierre tente l’aventure de l’or en Californie. Il va de déboire en déboire, déménage à la Nouvelle-Orléans, ne s’en sort pas mieux, revient chez lui, dix ans plus tard, heureux de reprendre la terre paternelle. Contre l’émigration aux États-Unis.

Le père Mathurin
Le père Mathurin s’est « donné » à ses enfants. Ayant obtenu ce qu’ils voulaient, ces derniers le négligent. Pour les ramener à de meilleurs sentiments, il leur laisse croire qu’il a encore des trésors cachés.

Les trois vérités
Jean décide de quitter femme et enfant pour tenter d’améliorer leur sort. Il n’arrive pas à gagner l’argent, mais il rencontre un vieillard qui lui donne trois vérités qui lui permettront d’obtenir ce qu’il désirait.

Il ne faut jamais remettre au lendemain ce qu'on peut faire le jour même
Un paysan consulte un avocat sans raison valable. Celui-ci lui donne un conseil pour s’en débarrasser. Le paysan suit son conseil (Il ne faut jamais remettre au lendemain…), ce qui lui rapporte gros.

Crinoline
Les crinolines sont tellement à la mode qu’on vole les cerceaux des tonneliers.

Les trois souhaits
Un homme et une femme peuvent faire trois souhaits. Ils font le premier en étourdis et doivent gaspiller les deux autres pour effacer le premier.

Fortuné Bellehumeur
On est en décembre et il fait froid. Fortuné Bellehumeur, un vieux commerçant ratoureux, s’arrête dans un hôtel. Toutes les places sont prises. Fin finaud, il réussira à manger et à coucher dans une chambre pour presque rien.

La fortune de Sylvain
Récit en vers. Sylvain doit épouser la belle Louison, mais finit par épouser une châtelaine assez laide mais riche.

Télesphore le Bostonnais
Le jour de son mariage, la Mort vient quérir Télesphore. Il plaide si bien sa cause que la Mort lui laisse un délai.

Les trois frères
Ils sont trois frères; l’un part aux Indes; l’autre épouse une riche héritière et snobe le troisième, trop modeste à son goût. Quand l’aventurier revient des Indes, il ne dit mot sur sa fortune pour savoir à quel de ses frères il la léguera.

Contes fantastiques, contes réalistes, contes facétieux, contes religieux : Stevens nous offre un bel éventail. Le conteur, par ses intrusions d’auteur, est très présent dans le récit. Il s’adresse aux lecteurs, souligne à gros traits les mécanismes de la narration, se permet des digressions à teneur psychologique ou sociale. Comme le veut la tradition, beaucoup de ces contes sont très moralisateurs. La patrie, la famille, le travail, l’agriculture sont des valeurs qui se dégagent de ces contes. Je vous conseille de commencer par « Les trois diables » et « Pierriche ».

Ces contes, pour la plupart, se lisent encore très bien. L’écriture de Stevens est très fluide et l’auteur a beaucoup d’humour. Le seul reproche qu’on peut lui faire, c’est de citer les classiques à tous propos. On trouve ce recueil sur le site de la BANQ.
FORTUNÉ BELLEHUMEUR (extrait)
Nous sommes en 1777 — l'année même de l'établissement de l'imprimerie française à Montréal, — c'est-à-dire quatorze ans depuis la conquête de ce pays par les Anglais — et à la veille de la pleine lune de Décembre, en tirant vers Noël.
Voilà pour la date aussi exacte, aussi précise qu'a pu se la rappeler le héros même de ce récit, un aimable et vigoureux vieillard de quatre-vingts ans, qui n'avait jamais fait de philosophie, mais dont la mémoire et la science historique se passaient très bien des registres de la Chine et de beaucoup d'autres.
Voici maintenant pour la température ; car il est tout-à-fait important de ne rien omettre, même dans un conte.
Nous déclarons donc solennellement que la soirée où s'ouvre cette histoire, il fait un temps affreux, abominable, une horreur de temps ; il fait, en un mot, une de ces effroyables tempêtes de neige qui donneraient à croire que la fin du monde est proche.
Avec votre permission, lecteur, nous allons, à l'instant, vous crayonner en quelques lignes, le portrait — d'après nature — de l'acteur principal des scènes comiques, drolatiques et très-véridiques qui vont suivre.
Il s'appelait Fortuné-Désiré-Honoré Bellehumeur dit Sans Chagrin. 
D'une stature imposante, et carré à proportion, M. Fortuné Bellehumeur aurait figuré avec avantage au premier rang d'une de nos compagnies de milice. C'est assez dire qu'il était bel homme. Malheureusement l'ensemble de sa physionomie était quelque peu gâté par un nez pyramidal, gigantesque, impossible, couvrant une partie de son visage d'une ombre éternelle. Mais hâtons-nous de dire que ce léger défaut était racheté par un front large et élevé sur lequel croissait une forêt de cheveux longs et bien plantés, toujours soigneusement entretenus, et que M. Fortuné Bellehumeur se ramenait gracieusement au milieu du dos pour en former, suivant la mode d'alors, une queue invariablement ornée d'un ruban rose, avec une coquetterie toute féminine.
Je m'aperçois que je n'ai pas encore dit un seul mot des yeux de M. Fortuné, — ces deux miroirs de l'âme, suivant la psychologie.
M. Fortuné Bellehumeur avait les plus beaux yeux du monde, très vifs, pétillants d'esprit et de malice. Le fait est qu'il aurait pu en revendre au procureur le plus madré, le plus subtil et retors de son temps; ce qui, soit dît entre parenthèse, lui servait infiniment dans son commerce assez étendu de fourrures.
Ajouterais-je, chers lecteurs, que M. Bellehumeur était toujours mis avec une certaine recherche, quoiqu'il frisât la quarantaine ?
Mettons-lui, pour ce soir, un de ces habits à larges basques, avec des poches comme des gouffres, tels qu'en portent les marquis et les docteurs de comédie, une veste très longue, des culottes courtes en velours noir, une belle et bonne paire de grandes bottes, chaussure si propice pour un pareil temps, et vous pourrez-vous faire une idée assez exacte de ce qu'était, en l'an de grâce 1777, à la veille de la pleine lune de Décembre, M. Fortuné Bellehumeur.
Si ma mémoire n'est pas trop infidèle, je crois me rappeler qu'Horace a dit quelque part :

Pictoribus atque poetis
Quidlibet audendi atque mentiendi œqua potesfcas.
Ce qui, traduit en langue vulgaire, signifierait que les conteurs ont le droit d'aller aussi vite que le télégraphe.
Nous allons donc nous transporter, d'un trait de plume, à quinze ou vingt milles d'ici, entre St. Sulpice et Repentigny, au beau milieu du chemin du roi George III, le même qui fut forcé de reconnaître l'indépendance des États-Unis six ans plus tard, — c'est-à-dire en 1783, — et nous retrouverons, à quatre heures et quarante-sept minutes du soir, M. Bellehumeur dit Sans Chagrin en très mauvaise humeur, et pestant contre la neige, contre le vent, contre les chemins, contre sa jument et enfin contre lui-même. (p. 201-203)

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