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6 juin 2010

Armand Durand

Rosanna Eleanor Mullins (Leprohon), Armand Durand ou La promesse accomplie, Montréal, Librairie Beauchemin, 1892(?), 307 pages. (Traduction : J. – A. Genand) (1re édition : Armand Durand; or A promise fulfilled, Montreal, 1868); (1re édition en français : J. B. Rolland et fils, 1869)

Q
uand sa mère meurt, Paul Durand, qui a atteint la trentaine, doit se trouver une femme. Son choix se porte sur Geneviève Audet, une jeune gouvernante, fraichement arrivée de France. Cette jeune fille fragile n’a rien d’une femme de paysan, capable de tenir maison et plus encore de faire fructifier les produits de la ferme. Malgré toutes ses limites, Durand l’aime follement. Elle lui donne un enfant, Armand, et meurt quelque temps après. Durand, malgré sa peine, convole en noces de nouveau pour le bien de son enfant. Cette fois, il épouse l’anti-Geneviève, une vieille fille du nom d’Eulalie Messier. Elle ne vit que très peu de temps, elle aussi, juste assez pour lui donner un second fils, baptisé comme son père, Paul. C’est une tante qui vient tenir maison et s’occuper des deux garçons.

Arrivés à l’adolescence, les deux garçons déménagent leurs pénates en ville pour parfaire leurs études. Armand, raffiné et intellectuel, connaît beaucoup de succès et se lance dans la carrière d’avocat. Paul se contente de terminer ses études, pressé de reprendre la terre paternelle. Armand reste donc en ville, en stage chez un avoué, et habite chez Madame Martel. Il fréquente quelque peu la haute société. Il s’amourache d’une jeune fille insolente, Gertrude de Beaumanoir, laquelle est déjà fiancée à un de ses anciens confrères de classe, Victor de Montenay. Armand doit renoncer à son amour pour Gertrude.

Chez sa logeuse habite Délima, une jeune couturière dont la beauté n’a d’égale que la douceur. Elle joue si bien ses cartes qu’Armand finit par l’épouser, plus pour se caser que par amour. Une fois sa proie hameçonnée, la jeune couturière se transforme en marâtre. Aiguillonnée par madame Martel, elle n’arrête jamais de tourmenter l’apprenti-avocat pour des questions d’argent. Elle voudrait qu’il sollicite son frère ou sa tante, qui sont riches, ce à quoi il se refuse. Finalement, le jeune couple déménage à Québec et se raccommode quelque peu. La santé de Délima périclite. Elle meurt en mettant au monde un enfant mort-né. Quelques années passent, Armand est devenu avocat et a hérité de sa tante à son décès. Lors du mariage d’un ami, Armand retrouve Gertrude de Beaumanoir, toujours célibataire. Rapidement les deux se marient.

Armand Durand fut d’abord publié en anglais en roman feuilleton. Vous l’aurez sans doute compris, à la lumière du résumé, on est en présence d’un mélodrame. Pour intéresser le lecteur à son personnage, Rosanna Leprohon (1829–79) utilise des ficelles plutôt grossières : le pauvre Armand est la victime impuissante de ses compagnons de classe, de son frère Paul, puis de sa femme. On comprend mal comment il se fait que ce jeune homme, si dépourvu, puisse devenir un brillant avocat. On comprend tout aussi mal les raisons qui poussent la coriace Gertrude de Beaumanoir vers ce faiblard d’Armand. Il faut croire que les « mystères de l’amour » sont, comme les voies de Dieu, impénétrables. Ceci étant dit, il suffit d’abattre ses défenses critiques, de se transformer en lecteur naïf et le roman a tout pour plaire.

On peut voir une photo de l’auteure dans La Vie littéraire au Québec, Vol. 3 (Maurice Lemire, Aurélien Boivin)

Lire le roman sur le site de la BANQ
Extrait (le début du roman)
Au nombre des premiers colons français qui s'étaient établis dans la seigneurie de ... — nous l'appellerons Alonville — située sur les bords du St-Laurent, se trouvait une famille du nom de Durand. La vaste et riche ferme qui lui avait été transmise de père en fils par succession régulière lui avait toujours permis de tenir convenablement sa position comme première famille du district. C'était une race d'hommes robustes et beaux, industrieux et économes, mais d'une économie qui n'atteignait jamais les limites de la parcimonie.

Par sa grande et droite stature, par ses cheveux et ses yeux d'un noir de jais, par son visage bronzé et ses traits réguliers, Paul Durand était un excellent échantillon des représentants mâles de cette famille. Contrairement à la plupart de ses compatriotes qui d'ordinaire se marient très jeunes, du moins dans les districts ruraux, Paul était arrivé à la trentaine avant de se décider à prendre femme, non pas qu'il fût indifférent au bonheur conjugal, mais parce que son père étant mort avant que lui même eût atteint l'âge de virilité, sa mère avait continué à vivre avec lui sous le toit paternel, conduisant à la fois sa bourse et son ménage d'une main judicieuse mais un peu arbitraire. Françoise, sa sœur unique, s'était mariée, à seize ans, avec un respectable marchand de la campagne qui demeurait dans un village voisin et auquel elle avait apporté, non seulement une jolie figure, mais encore une dot confortable : de sorte que madame Durand pouvait, en toute liberté, veiller sur son fils et se consacrer entièrement à lui.

C'était une bien belle propriété que celle à l'administration de laquelle présidait cette excellente dame ; nous ne pouvons résister à la tentation d'en faire la description. La maison, maçonnerie brute, était construite substantiellement quoique avec une certaine irrégularité ; un grand orme en ombrageait la façade, et tout autour des dépendances et des clôtures d'une blancheur éclatante. Régulièrement tous les ans ces haies étaient blanchies à la chaux, ce qui donnait un nouvel air de propreté à cette ferme si bien tenue et si bien montée. A une extrémité de la bâtisse s'étendait le jardin, bizarre mélange de légumes et de fleurs, où de superbes roses flanquaient des couches d'oignons, et où des carrés de betteraves et de carottes étaient bordés de pensées, de marguerites et d'œillets. Dans un coin, commodément placé au milieu d'un véritable champ de fleurs de toutes couleurs et de toutes sortes, s'élevait une espèce d'abri sous lequel étaient rangées avec une symétrie parfaite huit ou dix ruches. Mais à quoi bon une plus longue description? Tous ceux qui ont voyagé sur les rives de notre noble Saint-Laurent et même sur celles du pittoresque Richelieu ont dû voir un grand nombre de ces résidences. (Pages 5-7)
Rosanna Leprohon sur Laurentiana

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