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2 novembre 2009

Poèmes

J
ean Aubert Loranger, Poèmes, Montréal, L. Ad. Morissette, 1922, 112 pages.


Poèmes, le second recueil de Loranger, est entièrement écrit en vers libres. Le poète, qui avait participé à l’aventure du Nigog et fait brièvement partie de l’École littéraire de Montréal, nous offre un recueil qui aurait dû faire date à son époque. Tel ne fut pas le cas. Le recueil contient quatre parties.

Marines
Les motifs liés au « voyage naval » fourmillent dans « Marines » : port, paquebot, fleuve, mer, phares, sémaphores, misaine… Le thème principal, c’est celui du départ. Un départ, longtemps désiré, mais jamais réalisé. Déjà le titre du premier poème, « Ébauche d’un départ définitif », rejoint bien la thématique de cette section. Le ton est plutôt celui du regret : « Ô le beau rêve effondré / Que broient des meules d’angoisse / Dans les phares, ces moulins / Dont tournent les ailes / Lumineuses dans la nuit. » Le désir de partir, l’appel du large est toujours aussi vif : « Jamais repu d’avenir, / Je sens de nouveau monter, / Avec le flux de ses eaux ; / L’ancienne peine inutile / D’un grand désir d’évasion. » En dehors du voyage, le monde semble figé, stérile : « Et c’est bien en vain, que tu greffes / Sur la marche irrémédiable / De la nuit vers le crépuscule, / Le renoncement de tes gestes. » Pourtant le poète finit par se résigner à la solitude réconfortante de la nuit : « Si l’ombre fait surgir en toi, / Comme le feu d’un projecteur, / Une connaissance plus grande / Encore de la solitude, / Que peux-tu espérer de l’aube ? »

Moments
Loranger avait découvert certaines formes poétiques orientales dans un numéro de La Nouvelle Revue française. Dans cette partie, il utilise le haïku (tercet, 5-7-5 syllabes) et le tanka (quintil, 5-7-5-7-7 syllabes) : ce sont de petits poèmes très codifiés, souvent inspirés par « l'évanescence des choses » (Wikipedia).

Si la forme est différente, la thématique est la même. À la tension entre rester ou partir se greffent celles du soir et du matin, de l’immobilité et de l’action. « Il ne se peut pas, que j’aie / Attendu l’aurore en vain. / Il faut qu’il y ait pour moi, / Le commencement aussi, / De quelque chose… » Le poète vit retranché dans sa chambre, se contentant d’écouter le monde extérieur : « La nuit referme ses portes, / Et tous les clochers / Relèvent, au loin, les distances. / J’écoute mon cœur / Battre au centre de ma chair. » On comprend qu’il voudrait davantage se mêler au monde : « Je voudrais être passeur ; / Ne plus fuir la vie / Mais l’accepter franchement, / Comme on donne aux rames / La chaleureuse poignée de mains. »

Le retour de l’enfant prodigue
La dernière partie commence par un long et pathétique appel à l’autre : « La nuit s’infiltre dans mon âme / Où vient de s’éteindre l’espoir, / Et tant ressemble au vent ma plainte / Que les chiens n’ont pas aboyé. // Ouvrez-moi la porte, et me faites / Une aumône de la clarté / Où gît le bonheur sous vos lampes. » La réponse ne vient pas et c’est l’enlisement : « Que m’importe l’horizon, / Et qu’il recule toujours / Devant celui qui s’y voue. // Maintenant que je demeure, / La distance la plus grande / C’est ce que mon œil mesure. » Oubliés les ports; partis les voiliers. Les velléités de départ se sont évanouies et, avec « ses espoirs pulvérisés », l'enfant prodigue rentre au bercail qu'il n'avait quitté qu'en rêve. Ce repli sur soi annonce Garneau.

Divers
Cette partie ne contient que cinq poèmes : deux évoquent la même thématique de l’enlisement, mais en utilisant d’autres motifs : la musique, Montréal, le parc, l’amour. Le recueil se termine par un certain nombre d’ « images de poèmes irréalisés », comme si même sa poésie finissait par s’enliser. À titre d’exemple : « Une horloge grand-père, / Ô ce cercueil debout / Et fermé sur le temps. »

Jean-Aubert Loranger (1896 - 1942) 
La poésie de Loranger, inspirée des courants d'avant-garde français, trop moderne, n’est pas bien reçue dans les années 1920. Dans Poètes de l’Amérique française, Dantin salue l'audace de Loranger, mais il met en doute la valeur de sa poésie. Camille Roy, dans son Manuel, ne le cite même pas. Seul Dugas soutient sans réserve son œuvre dans Littérature canadienne : « Rien n'est moins local que cette poésie. On la dirait exilée de celui qui lui donne l'existence; elle ne se rattache, en aucune façon à un fleuve, une montagne, un endroit déterminé. Son champ, c'est l'âme. Émotions du dehors, visages et reflets : ce sont richesses dont elle se pare. Elle établit un lien plus étroit entre cette connaissance de l'univers et nous; elle fait corps avec lui. » Au début des années 1970, on redécouvre Loranger et on lui rend sa place dans l’histoire littéraire. On dit, avec raison quant à moi, qu’il est le « jalon manquant » entre Nelligan et Garneau. Poèmes se lit encore très bien aujourd’hui.

Loranger utilise le vers libre et un riche symbolisme, il développe une vision de la vie originale, il réussit à se démarquer de ses contemporains, son recueil forme un tout, bref voilà un poète de qualité. Il n’a que 26 ans et Poèmes sera son dernier recueil. Après, il se consacrera au terroir (
Le Village) et à la littérature populaire (Joe Folcu). 
On trouve certains articles universitaires très éclairants sur le net : Robert Giroux, Pierre Nepveu, Luc Bonenfant.

Jean Aubert Loranger sur Laurentiana

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