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7 juillet 2009

Fleurs des ondes

Gaétane de Montreuil (Georgina Bélanger), Fleur des ondes, Québec, Presses de l’Action Sociale Ltée, 1924. 147 p.
(Édition corrigée et augmentée.) (1re édition : Compagnie d'imprimerie commerciale, Québec, 1912)


L’action de ce roman historique a pour cadre les voyages que Samuel de Champlain fera vers la Nouvelle-France entre 1611 et 1614. D’ailleurs, dans une introduction intitulée « Considérations générales sur la politique de Champlain », l’auteure présente le contexte socio-historique dans lequel s’insère la venue de Champlain au Canada. En outre, une partie du journal de Champlain est reproduite en annexe (p. 137-147).

Le roman proprement dit débute par un long prologue qui nous présente les frères Olivier et Samuel de Savigny, des seigneurs terriens originaires du Poitou. Un jour, Samuel s’éprend d’une belle Espagnole qu’il épouse. Il apprend, quelque temps plus tard, que celle-ci a usurpé ses titres de noblesse de façon crapuleuse. Découverte, elle en meurt de honte (eh oui!). Samuel, désespéré, quitte le Poitou sans préciser sa destination, laissant toutes ses possessions à son frère Olivier.

En 1611, quand Champlain débarque à Québec, il est accompagné de Philippe de Savigny, le fils d’Olivier. Champlain hiverne à Québec, repart le printemps venu, et revient dans la colonie en 1613. Les Algonquins, à qui il avait donné rendez-vous, ne s’y trouvant pas, il décide d’aller les rejoindre dans leur pays, quelque part en Outaouais. Il est accueilli en héros. Avant de les quitter, Champlain leur confie deux jeunes hommes, dont Philippe de Savigny. Ils vivront avec les Autochtones, apprendront leur langue, s’en feront des amis. Lors d’une sortie, les deux Français sont enlevés par des Iroquois. On allait les torturer quand l’apparition miraculeuse d’une jeune fille les sauve d'une mort certaine : « Elle avait le teint doré des filles de la forêt, des cheveux châtain clair et des yeux bleus. Au lieu de la simple jupe courte dont se vêtaient les femmes autochtones, elle portait une longue tunique d'étoffe ornementée à profusion d'écaillés de poissons, luisantes comme des paillettes. Ses pieds étaient chaussés de mocassins brodés, attachés par des lanières de cuir peint, et ses poignets nus étaient sans bracelets. Toute la bande restait immobile comme dans l'attente d'un oracle. » Fleur des ondes, c’est son nom, détache les deux jeunes Français, les amène dans sa grotte et leur conte son histoire, dont je vous présente un extrait.

« Comme aujourd'hui, les sauvages étaient réunis pour faire le procès d'un prisonnier ; déjà, la victime entonnait son chant de mort, et les femmes commençaient la danse funèbre, lorsque, tout à coup, le ciel se noircit ; de gros nuages s'y déroulèrent, comme des paquets d'ombre ; le vent s'éleva, poussant des rouleaux d'écume sur le fleuve et soulevant les vagues avec furie. L'une d'elle, venue de fort loin, déferla sur le rivage, et les sauvages virent avec épouvante qu'elle y avait apporté un homme aux cheveux de soleil et aux yeux de firmament. Celui qui arrivait de si tragique façon, c'était mon père. Un malheur immérité lui ayant rendu pénible le séjour dans son pays, il s'embarqua sur un vaisseau pécheur, espérant trouver, dans la rude vie des couleurs de mer, l'oubli de son chagrin. Hélas ! ni le tumulte des éléments, ni le calme serein de la nature, rie purent jamais guérir le mal qu'il portait en lui. Un jour, s'étant aventuré seul dans une petite barque, il fut emporté par les flots déchaînés, balloté pendant des heures, et enfin jeté épuisé au bas de cette falaise. Les sauvages de ces régions n'avaient encore jamais vu de blancs : comme ils sont très superstitieux, cette fantastique entrée en scène les remplit de terreur et de vénération. Toute sa vie, ils ont redouté mon père comme un génie qu'il fallait se rendre favorable par des offrandes et des sacrifices.
[…]
Mon père courbait la tête sous l'écrasement du désespoir, lorsqu'un filet d'air lui effleura le visage, semblant sortir du rocher même. Il examina la place plus attentivement, et constata que c'était l'entrée d'une grotte, mal fermée par un quartier de roc. Rassemblant toutes ses forces pour le déplacer, il pénétra à l'intérieur, et s'aperçut qu'il avait trouvé un abri sûr contre les rigueurs du climat et les bêtes dangereuses. Mais d'autres ennemis aussi terribles lui restaient à craindre : la faim, dont il commençait à ressentir les atteintes, et les indigènes qui pouvaient fort bien, le premier moment de frayeur passé, revenir et le massacrer. Les naturels ne lui voulaient point de mal, cependant ; il n'en douta plus le lendemain, en trouvant, auprès de son gîte, une pièce de chevreuil, du gibier, une petite provision de maïs et quelques échantillons des industries locales. On le traitait en ami. Ainsi pensa mon père, qui se nourrit quelque temps des mystérieuses offrandes. Il se serait même accommodé fort bien de cette vie frugale, n'eût été la torturante pensée de ne plus revoir sa patrie et d'être à jamais séparé d'un frère qu'il adorait. […]
Cela durait depuis plusieurs jours, lorsqu'un matin, les sauvages, en grand nombre, s'approchèrent de sa retraite. Croyant à une démarche hostile, et se demandant si toutes les attentions dont il avait été l'objet ne visaient qu'à endormir sa méfiance, le délaissé eut cette horrible pensée qu'on l'avait gardé comme un morceau de choix pour un festin solennel. Il était possible qu'on ne l'eût pas surveillé plus étroitement, vu son impuissance à s'échapper. Lorsque la troupe fut parvenue à une centaine de pas, elle se rangea en ordre, et les plus vieux s'avancèrent vers mon père qui se tenait à l'entrée de la grotte, dissimulant dans la manche de son habit la seule arme qu'il possédât : un poignard. Le chef —- toujours reconnaissable à son costume et aux plumes qui ornent sa tête conduisant une jeune fille par la main, fit un long discours, dont mon père devina plutôt le sens à la musique de l'orateur ; plus tard, il apprit que celle enfant était une orpheline de qualité, fille d'un chef illustre par sa bravoure et sa sagesse. La nation venait solennellement l'offrir au Démon des Mers, puisqu'il s'était montré favorable en acceptant leurs présents. Mon père était libre, cette enfant de la forêt paraissait douce et bonne : il l'épousa. . . Et c'est dans cette caverne que je suis née, du mariage de Lueur d'Aurore avec celui que les Iroquois ont toujours appelé le Démon des Mers, et qui fut en France le comte Samuel de Savigny. »


Philippe de Savigny, amoureux de sa cousine, la ramène à l’Habitation, à Québec, où ils passent un an, en attendant Champlain. Ils rentrent en Europe en 1614. Philippe qui veut l'épouser doit convaincre sa mère qui refuse cette union avec une sauvagesse. Finalement, grâce à l’intervention de Champlain, la comtesse cède.

C’est un court roman d’inspiration romantique. La part historique est bien mince, vous en conviendrez. Ce roman a quand même le mérite de nous rappeler que Champlain fit de nombreux va-et-vient entre la Nouvelle-France et l’Europe, s’acharnant à trouver du financement pour soutenir son œuvre. On croit parfois à tort qu’il s’est installé à demeure dans l’Habitation en 1608. Un autre aspect mérite qu’on s’y attarde : Champlain tissa des liens avec les Autochtones. Il avait promis aux Hurons de combattre les Iroquois à leurs côtés. On pourrait voir dans ce pacte d’amitié une ouverture de l’Européen face à l’Autochtone mais, en participant aux conflits entre les différentes nations autochtones, les Français déséquilibrèrent les forces et probablement accentuèrent le déclin des nations autochtones.

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