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7 septembre 2007

Jean Rivard, le défricheur

Antoine Gérin-Lajoie, Jean Rivard, le défricheur, Montréal, J. B. Rolland, 1874, 205 pages. (Jean Rivard, le défricheur est d’abord paru dans Les Soirées canadiennes en 1862.) (Cette édition revue et corrigée est la première en livre)

Grandpré, 1843. Lorsque son père meurt, Jean Rivard, qui n'a que 19 ans, doit prendre une décision. Il est l'aîné d'une famille de 12 enfants! Que va-t-il devenir? Continuer ses études et pratiquer une profession libérale? Il vaut mieux ne pas y penser. Il n'a pas l'argent et, de toute façon, toutes les places sont occupées. Il oublie donc ses rêves de devenir avocat et, suivant les bons conseils de Monsieur le curé, il décide d’embrasser la noble profession d’agriculteur. Sans argent, comment y parvenir? Il quitte sa famille, son amoureuse et sa paroisse du nord du Saint-Laurent et vient choisir une terre en bois debout, en pleine forêt, quelque part dans les Cantons-de-l'Est (Bristol). Il engage un copain pour le seconder dans la dure tâche qui l'attend. Les deux, durant la première année, abattent des arbres. Au bout d'un an, déjà ils peuvent ensemencer quelques arpents. Rivard achète une vache et des bœufs. Et l'abattage recommence. Il trouve preneur pour les cendres de ses abatis, il entaille une petite sucrerie, bref il progresse beaucoup la deuxième année. L'année suivante, il peut se construire une maison et épouser sa bien-aimée. Entre-temps, d'autres colons sont venus s'établir autour de lui et, bientôt, une route est construite, une église et une paroisse sont érigées, une municipalité prend place. Il est marguillier, maire, juge de paix dans ce qui est devenu Rivardville.

Extrait 1
« C’est là qu’on reconnaît la grande utilité d’une paire de bœufs. Ces animaux peuvent être regardés comme les meilleurs amis du défricheur: aussi Jean Rivard disait-il souvent en plaisantant que si jamais il se faisait peindre, il voulait être représenté guidant deux bœufs de sa main gauche et tenant une hache dans sa main droite.
Le défricheur qui n’a pas les moyens de se procurer cette aide est bien forcé de s’en passer, mais il est privé d’un immense avantage. Ces animaux sont de beaucoup préférables aux chevaux pour les opérations de défrichement. Le cheval, ce fier animal « qui creuse du pied la terre et s’élance avec orgueil, » ne souffre pas d’obstacle; il se cabre, se précipite, s’agite jusqu’à ce qu’il rompe sa chaîne; le bœuf, toujours patient, avance avec lenteur, recule au besoin, se jette d’un côté ou de l’autre, à la voix de son maître; qu’il fasse un faux pas, qu’il tombe, qu’il roule au milieu des troncs d’arbres, il se relèvera calme, impassible, comme si rien n’était arrivé, et reprendra l’effort interrompu un instant par sa chute. » (p. 82)

Extrait 2
Je n'ai pas besoin de vous répéter tout ce qu'on a dit sur la noblesse et l'utilité de cette profession. Mais consultez un moment les savants qui se sont occupés de rechercher les causes de la prospérité des nations, et vous verrez que tous s'accordent à dire que l'agriculture est la première source d'une richesse durable; qu'elle offre plus d'avantages que tous les autres emplois; qu'elle favorise le développement de l'intelligence plus que toute autre industrie; que c'est elle qui donne naissance aux manufactures de toutes sortes; enfin qu'elle est la mère de la prospérité nationale, et pour les particuliers la seule occupation réellement indépendante. L'agriculteur qui vit de son travail peut dire avec raison : «Il ne connaît que Dieu pour maître.» Ah! s'il m'était donné de pouvoir me faire entendre de ces centaines de jeunes gens qui chaque année quittent nos campagnes pour se lancer dans les carrières professionnelles, commerciales, ou industrielles, ou pour aller chercher fortune à l'étranger, je leur dirais : ô jeunes gens, mes amis, pourquoi désertez-vous? Pourquoi quitter nos belles campagnes, nos superbes forêts, notre belle patrie pour aller ailleurs chercher une fortune que vous n'y trouverez pas? Le commerce, l'industrie, vous offrent, dites-vous, des gages plus élevés, mais est-il rien d'aussi solide que la richesse agricole? Un cultivateur intelligent voit chaque jour augmenter sa richesse, sans craindre de la voir s'écrouler subitement; il ne vit pas en proie aux soucis dévorants; sa vie paisible, simple, frugale lui procure une heureuse vieillesse. (p. 14)


Il va de soi que Jean Rivard n'est pas un livre «à mettre entre toutes les mains». L'auteur en est bien conscient d'ailleurs. Voici le message qu'il adresse, dans l'avant-propos, à ses lecteurs et lectrices :

Extrait 3
« Jeunes et belles citadines qui ne rêvez que modes, bals et conquêtes amoureuses ; jeunes élégants qui parcourez, joyeux et sans soucis, le cercle des plaisirs mondains, il va sans dire que cette histoire n'est pas pour vous.
Le titre même, j'en suis sûr, vous fera bâiller d'ennui.
En effet, « Jean Rivard»... quel nom commun ! que pouvait-on imaginer de plus vulgaire ? Passe encore pour Rivard, si au lieu de Jean c'était Arthur, ou Alfred, ou Oscar, ou quelque petit nom tiré de la mythologie ou d'une langue étrangère.
Puis un défricheur... est-ce bien chez lui qu'on trouvera le type de la grâce et de la galanterie ?
Mais, que voulez-vous ? Ce n'est pas un roman que j'écris, et si quelqu'un est à la recherche d'aventures merveilleuses, duels, meurtres, suicides, ou d'intrigues d'amour tant soit peu compliquées, je lui conseille amicalement de s'adresser ailleurs. On ne trouvera dans ce récit que l'histoire simple et vraie d'un jeune homme sans fortune, né dans une condition modeste, qui sut s'élever par son mérite, à l'indépendance de fortune et aux premiers honneurs de son pays.
Hâtons-nous toutefois de dire, mesdames, de peur de vous laisser dans l'erreur, que Jean Rivard était, en dépit de son nom de baptême, d'une nature éminemment poétique, et d'une tournure à plaire aux plus dédaigneuses de votre sexe.» (p. 1-2)


(Suite : Jean Rivard, économiste)

Lire le roman

Jean Rivard dans Le Foyer canadien

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