7 décembre 2025

Paysannerie. Conte des Rois

Cécile Chabot, Paysannerie. Conte des Rois, Montréal, Fides, 1944, 70 pages (Dessins de l’auteure)

C’est la fête des Rois. On est toujours à Sainte-Pétronille et Joseph est toujours aussi grognon. Il a assez durement morigéné le bedeau parce que celui-ci n’a pas trouvé de chameaux et de rois mages pour animer la crèche.  Peut-on concevoir une telle fête sans chameaux? Ce serait bien la première fois que l’enfant-Jésus serait privé d’un spectacle qui lui fait tant plaisir. Mais le sacristain, que même le curé considère comme un peu bizarre, n’a pas dit son dernier mot. En pleine messe des Rois, alors qu’on ne l’attendait plus, il entre dans l’église avec  un cheval — qui vaut bien un chameau —, et trois paysans de l’île, pour remplacer Gaspard, Melchior et Balthazar. En fait, l’un des paysans a cédé sa place à sa femme et à ses deux enfants. Et plutôt que l’or, l’encens et la myrrhe, ils ont apporté des produits de la ferme, des confections artisanales, des petits animaux domestiqués et même un esturgeon tiré du fleuve. Et tout ce beau monde — et même le cheval — au moment du Sanctus , de s’agenouiller devant l’Enfant-Jésus.

Ce que j’ai dit d’Imagerie, je pourrais le répéter ici, c’est charmant.  

En 1962, Chabot a réuni, sous le titre « Contes du ciel et de la terre », Imagerie et Paysannerie et leur a ajouté un troisième volet : Féérie. (voir la dernière image)

Cécile Chabot sur Laurentiana
Vitrail (1939)
En pleine terre  de Germaine Guèvremont.


 

 

6 décembre 2025

Imagerie. Conte de Noël

 Cécile Chabot, Imagerie. Conte de Noël, Montréal, Fides, 1944, 69 pages (Dessins de l’auteure)

Joseph et Marie quittent leur atelier de la rue Saint-Jean, à Québec, de façon un peu précipitée.  Comme toujours, Joseph s’inquiète. C’est à Sainte-Pétronille, sur l’île d’Orléans, qu’ils doivent se rendre cette année. Une crèche les attend. Ils n’ont pas de voiture et le périple s’annonce difficile, surtout pour Marie qui porte l’enfant Jésus. Leur voyage se complique un peu plus quand une tempête éclate et qu’ils se perdent. Se pourrait-il que Sainte-Pétronille ait une crèche vide la nuit de Noël?  Un bon Samaritain, qui revient du marché de Québec, finit par passer par là. Il les fait monter dans son berlot et les dépose juste devant l’église. Marie et Joseph prennent leur place dans la crèche. L’âne, le bœuf, les anges, les moutons et les bergers sont déjà installés. Joseph, fatigué, suit le conseil de Marie et décide de faire un roupillon. Quand il se réveille, il est presque minuit et Marie dort. Tous les personnages de la crèche se sont animés. Dans le berceau, l’enfant Jésus  le regarde et lui sourit. 

Cécile Chabot a vraiment réussi son pari, raconter une histoire vieille comme le monde en la renouvelant sans la dénaturer. Son petit conte de  Noël, qui mélange réalisme et féerie, elle  l’a enrichi d’illustrations qui allient sobriété et beauté. Bref, tout est du meilleur goût dans ce récit poétique, qui s’adresse tout autant aux enfants et qu’aux plus grands qui ont gardé un brin de leur âme d’enfant. 

Une seconde édition a été publiée en 1962 chez Beauchemin. Le poème a été mis en musique par Hector Gratton (voir ci-dessous).

Cécile Chabot sur Laurentiana
Cécile Chabot
Vitrail (1939)
Légende mystique (1942)
Paysannerie : conte des rois (1944)
Imagerie : contes de Noël (1944) 
En pleine terre  de Germaine Guèvremont.






Pub trouvée dans le livre
 
Radio-Monde 1943

28 novembre 2025

Chemin de desserte

André St-Germain, Chemin de desserte, S.l., S.e, 1973, 46 pages.

Chemin de desserte se compose de deux suites poétiques, « Loterie » et « Jeu de corps ». La poésie de St-Germain est très élusive, toute en délicatesses, très lisse, limpide. Il aborde un sujet encore présent à son époque, mais qui appartient peut-être davantage aux années 1950. Dit simplement : comment s’affranchir de la morale religieuse et donner libre cours à ses désirs?

Qui sont ces mages qui apparaissent dès le premier vers et qui reviennent ici et là dans le recueil :

les mages ont donné le signal du départ

nous sommes partis à petits pas

à petits touchers du bout des doigts

ne pas froisser nos vertus nos pudeurs

de peur de croiser nos fers avec des étrangers

nous avons couru à grandes enjambées

à regards furtifs longs et significatifs

les cils rabattus sur nos désirs

les mains moites sur nos genoux

 

Les mages sont bien entendu les tenants de la morale qui enseignaient que le corps est à la source de tous les péchés.

Dans la seconde partie, St-Germain évoque le cheminement qui mène à la libération. Pour le poète, celui-ci est progressif et ne va pas sans une certaine culpabilité :

je tire à moi ce corps

je le caresse embrasse caresse embrasse

réchauffer la surface du front.      tracer

mon chemin de croix      petit enfant de choeur

pauvre petit enfant de chœur

 

Comme extrait, voici le dernier poème du recueil. La libération du désir est exprimée par la métaphore de l’eau :

nous rythmons nos corps au temps de la terre

nous valsons nous dégringolons

nos lèvres ouvrent le sable reflué

les grandes eaux coulent déboulent les rocs   

les grandes eaux nous entraînent

le ressac du ruisseau

la cataracte furieuse

l'humide amour nous coule sur le dos

nous sommes embrasés le rire superbe

des hommes ensorcelés par les fièvres des anses

le sas est ouvert

nous avons ensorcelé la mort

21 novembre 2025

Les poubelles mangeoires célestes

Claude Grenier, Les poubelles mangeoires célestes, Montréal, Éd. du cri, 1970, n. p.(Illustrations : Marie-Andrée et Mario Bodet)

Le recueil de Grenier s’inscrit dans la mouvance révolutionnaire des années 1960. Le discours qu’il développe me semble très articulé. En fait, il décrit son cheminement, de l’engagement au nihilisme révolutionnaire.

Au départ, le poète doit lutter contre lui-même : il est si facile de se taire, de « faire semblant de vivre, épauler ceux qui ne parlent plus, ceux qui se taisent ». Mû par la colère et une certaine violence, il rêve d’en découdre avec les « grippe-cerveaux » : « je me mettrai bientôt des mots de sang au bout des poings, je les brandirai bien haut et bang! » Le poète déplore que sa révolte l’isole. Même son amoureuse semble l’avoir abandonné ou trahi : « ils ont fondu sur ELLE. et c'est ainsi qu'ELLE a quitté, pâle Opale, l'Ovale pour aller renaître... pas très loin de moi, métamorphosée par les maléfiques grippe-cerveaux. »

Dans la seconde partie intitulée « Le cri », l’auteur affirme qu’il est trop tard pour intervenir et que la bataille est déjà perdue : « pauvres fous! nous cherchions encore sous nos visages crayeux les mots et les gestes du changement, les mots et les gestes de l'identité librement reconnue. pauvres fous! // fini le temps des mots! / il faut passer à autre chose ».

Les « grippe-cerveaux » ont déjà mis au pas la société, ce que symbolise les « poubelles-mangeoires » : « mais ses poubelles multicolores continuent de s'entasser. / ses poubelles scintillantes montrent leurs tripes fleuries et leurs fleurs farcies. / la ville ne bascule plus et tout va bien pour les pauvres petites bêtes à gestes qui vivent accroupies autour des poubelles-mangeoires-célestes. / tout va bien pour les pauvres petites bêtes à gestes qui fouillent et grignotent dans les poubelles. » Le citoyen repu, il est facile de le manipuler, de lui faire gober n’importe quoi : « Quelqu’un regarde partout dans ma tête. / quelqu’un qui joue de la clef dans mes serrures ».

Pour terminer son recueil, Grenier règle ses comptes avec le milieu artistique : il passe à tabac les « criticateurs-à-poulx », les « épouvantails des salons littéracrétinaires », les « poétiartistes du fleuve et de la terre, du pain de ménage et du sirop d’érable ». On comprend que pour lui, artiste et engagé sont des mots indissociables.

Il termine par un cri de guerre, cri de désespoir, comme s’il n’y avait plus rien à changer et que la seule solution était de tout reprendre à zéro : « DÉTRUIRE! DÉTRUIRE! LES GALÉRIENS EN ONT ASSEZ »

Grenier s’inscrit dans une certaine contre-culture bien que son discours soit très policé. Il dénonce davantage le mode de vie de ses concitoyens que les structures sociales. Son écriture se déploie souvent par accumulation, les vers s’étirent et deviennent des phrases. Il use d’une assez grande liberté dans la mise en page, mais n’utilise pas le joual, et ne profère pas de grossièretés, comme Vanier. Les références à la sexualité et à la drogue sont accessoires. À quelques mois d’Octobre 70, il est à se demander si Grenier a été arrêté. Je n’ai pas la réponse.

18 novembre 2025

Kathmandou

 

Louise Beaugrand-Champagne, Kathmandou. Cappricio, Montréal, L’Estérel, 1968, 148 pages.

La narratrice, Alexandra Maréchal, décide de quitter son monastère dans l’Himalaya, où elle a passé un an, et de rentrer au pays. Elle raconte à son maître Babaji ce qui l’a menée au Népal.

Beaugrand-Champagne nous présente 12 courtes nouvelles, plus ou moins reliées entre elles, qui mettent en scène 12 hommes assez différents les uns des autres. Malheureusement, on n’apprendra à peu près rien du séjour d’Alexandra à Katmandou, de son évolution spirituelle (en ce sens le titre est trompeur). On comprend vite que le cadre initial sert surtout de prétexte pour parler des hommes et de leurs relations avec les femmes. Il semblerait que chacun des 12 hommes retenus représentent un signe astrologique. On découvre Benedict, le militaire impatient; Tom, le journaliste séducteur; Gérôme, le touche-à-tout irresponsable; Christophe, l’homme immature; Laurent, le gestionnaire débordé qui traite l’amour comme tout le reste; Victor, le manipulateur pervers; Bernard, le diplomate toujours en retrait; Simon, l’indépendant (et le grand amour de la narratrice); Serge, le fuyard; Charles, le penseur ascétique; Vincent, l’homme rationnel; Philippe, l’insaisissable.

Malgré la présence de la narratrice dans tous ces récits, on a l’impression que cette femme nous échappe. Elle court un peu partout, « jeune, dispersée », mondaine jusqu’au bout des ongles. Femme émancipée mais pas nécessairement libérée, elle semble presque toujours au service ou à la traîne des hommes (on est en 1968).

« Cappricio » est le sous-titre donné par l’autrice à son œuvre pour en souligner la forme libre. Les dialogues sont nombreux, les analyses ramenées à l’essentiel, le style vif mais sans recherche. Tout cela se lit encore très bien.

Extrait (prologue)

Depuis cinq jours, je porte le sari rouge.

Tu as compris, n'est-ce pas, Babaji, mon maître? Que je quitte le blanc des veuves, le monastère, l'Himalaya. Que je retourne à l'Occident. Tu as compris, n'est-ce pas, que je pars?

À Kathmandou j'ai trouvé la libération, Babaji; depuis un an, dans le calme de ton cloître, j'ai enfin pu réfléchir, méditer, peser chacune de tes sages paroles. J'ai revu, jour après jour, ma vie, cette vie frénétique et inutile que tu ne connais pas et que les thèmes éthérés de nos échanges n'ont certes pu t'apprendre.

Je cherchais un soleil à ma galaxie. Je ne trouvai que lunes, étoiles et comètes. J'abordai donc, une à une, toutes les constellations des cieux. Mais elles ne m'entendirent point.

Cette course sidérale, je te la livre aujourd’hui, Babaji, non pas que je te croie consumé par une curiosité sans bornes, mais pour que, si tu en avais le désir, tu saches par quelles voies je suis venue à toi et vers quoi je pars.