Michel Garneau, La plus belle île, Montréal, éditions Parti Pris no 26, 1975, 63 pages.
Souvent les critiques — et Garneau lui-même, si je me rappelle bien — ont tendance à minimiser la poésie qui précède Les petits chevals amoureux. Il est vrai qu’il y a des « facilités » et certaines redites dans La plus belle île, que cette poésie manque souvent d’économie, que le langage n’est pas toujours très recherché. Et pourtant, on lit Garneau et on finit par être subjugué. Il y a un courage chez cet auteur dont peu peuvent se vanter. En ces temps où il fallait chanter le pays, dénoncer toutes les aliénations, se marginaliser par la contreculture, il choisit de nous parler de la nécessité de l’amour et du bonheur dans nos vies.
Comme il le fait souvent, Garneau commence par défendre sa façon de faire. « j'écris pour voir liés les mots sur le clair papier des livres / dans l'amitié des vivants et des morts en cette rencontre privilégiée // je n'écris pas contre la faim la misère la guerre la bêtise / l'injustice et la lâcheté j'écris dedans et dedans / j'écris pour le plaisir par sensualité ».
On lit d’abord une série de poèmes sur différents lieux qui l’ont marqué. Il faudrait citer au complet celui intitulé « Sainte-Dorothée » qui décrit la fin de son enfance.
l'avenue des aventures que m'était la rivière
c'était aussi frontières d'un monde à la mesure
de mes limites à l'image de maison de doux murs
à colombages clairs à table mise de main de mère
un monde de douillette haute comme un pont
sur le ruisseau du sommeil
sous le toit couvant de la pluie le bruit
d'immenses et fines ailes
quand dehors luisait le jardin replet de secrets
et de surprises sédentaires parmi les fleurs vivaces
Beaucoup d’autres lieux font l’objet d’un poème, des lieux marquants, dont une image, un souvenir, une sensation… lui sont restés en mémoire. Entre autres, il a retenu « la grande plaine de varechs » de Percé, les « filles en sourire » de Baie-Saint-Paul, « une grange aux foins sorciers » à l’Ile-aux-coudres, les « paysages infirmes » de Trois-Rivières, le fleuve « par-dessus les arbres » à Pointe-au-Père, le « plus bête niveau vivant » à Rimouski, la « seule route pour tant de paysages » à Baie-Comeau…
Mais l’île auquel le titre fait référence, c’est nulle autre que Montréal : « maintenant la plus belle île / est celle de ma ville / de ma ville à faire à défaire et à refaire ».
Dans la seconde moitié du recueil, Garneau offre à son amoureuse un long (et souvent très beau) chant d’amour. Il dit et redit son attachement (« je suis heureux à cause d’une femme »), mais surtout il essaie de comprendre le bonheur que lui procure cette relation amoureuse. « je prends tout de nous puisque tout s'échange / semis semences bras embrassés mains amoureuses / dans un jardin où farouchent les fleurs du choix / et la fleur de la sérénité possible / et la rose cardinale de nos corps / libres vents liés par la justesse des gestes ». Pour parler d’un sujet aussi rabâché, il lui faut trouver une langue qui soit authentique : « il me faut o merveille inventorier un amour / en suivant le cercle pur du seul vrai langage ».
Dans la version remaniée du recueil, dans ses Poésies complètes (Ed. Guérin, 1988), avec raison, il a coupé certains passages, en a déplacé quelques-uns et il en a condensé d’autres. Et la « tu » est devenue une « elle ». Comme extrait, je présente le dernier poème du recueil, dans sa version remaniée.
aujourd'hui c'est jour de la parole
pour la toucher pour la toucher
quand tout sera dit
nous aurons du silence jusque dans les gestes
je la coucherai dans l'herbe bleue de ma mémoire
elle me couchera dans l'herbe bleue de sa mémoire
nous aurons pleuré déjà notre fin
avec de l'engoulevent dans la voix
et tout un fleuve dans l'âme
avec toutes ces choses
qui ne sont que des liens
vous le savez
et nous portons au coeur dejà
comme fleur à l'oreille
l'absolu drame de se perdre