Laurentiana
1000 livres québécois! Patrimoine littéraire, bibliophilie, carnet de lecture. 131 000 pages vues en 2024. « Laurentiana » se dit des livres ou brochures relatifs au Québec, au Bas-Canada et à la Nouvelle-France.
11 novembre 2025
Aperçu des contes
Joseph-Ferdinand Morissette
- Un revenant — Depuis 50 ans, un vieillard est condamné à revenir sur terre à la veille
du jour de l’An.
Joséphine Marchand (Josette)
- Hier et demain — Qui dépose les cadeaux de Noël?
Est-ce vraiment Santa Claus?
Robertine Barry (Françoise) - Le baiser de Madeleine — En ce
jour de l’An, parents et amis défilent pendant toute la journée. Madeleine, elle, attend son beau Pierre.
Honoré Beaugrand - La
chasse-galerie — Un soir du jour de l’An 1858, en
haut de la Gatineau, huit bûcherons font un pacte avec Satan.
Louis Fréchette - Ouise — Pauvre petit Jésus tout dépenaillé dans sa crèche de
fortune!
Ernest Choquette - Le
docteur Santa Claus — Un médecin a compris que le meilleur
remède n’est pas nécessairement un médicament…
Wilfrid Larose - Entre deux
quadrilles — Comment gâter son enfant quand
tout va mal.
Anne-Marie Gleason
(Madeleine) - Nuit de Noël — Quand
il ne reste que les mystères de la religion…
Laure Conan - Le premier arbre de Noël — Le petit Jésus sait récompenser
les généreux.
Éva Circé (Colombine) - Le
dîner des rois — Quand on est parents, on oublie facilement les
manquements des enfants.
Marc Sauvalle - Le Noël de
Pietro — Même les cœurs durs ont besoin
d’un peu de beauté.
Sylva Clapin - La savane — Il allait oublier sa famille.
Henriette Dessaules
(Fadette) - Son Noël — Mourir quand on n’a pas connu la
vie.
Georgina Lefaivre (Ginevra) - L’amoureux de Mlle Amélie — L’amour survit aux rides.
Gabrielle St-Pierre Dugal
(Payse) – Conte des temps messianiques — Quand l’enfant prodigue revient…
Louis-Joseph Doucet - Le
renard du Père Durand — C’est ainsi qu’on crée des légendes… et des contes
de Noël.
Damase Potvin - Dans la
brume — Heureusement le clocher pointe
haut dans le ciel.
Blanche Lamontagne - Les
deux compagnes — Quand St-Pierre voit arriver ces
deux-là, il est un peu décontenancé.
Louis Dantin - L’invitée — Qui est cette jeune femme qui hante la nuit?
Germaine Guèvremont - Un
petit Noël — Il y a des requêtes qui ne se
refusent pas.
24 octobre 2025
Contes de Noël d'antan au Québec
(J’ai le plaisir de vous présenter mon dernier livre. Il est sorti en octobre aux éditions GID. Il s’inscrit tout à fait dans le prolongement de Laurentiana.)
Des milliers de contes de Noël ont été publiés au Québec, la
plupart dans des journaux et des périodiques. Et, contrairement à ce qu’on
pourrait penser, ils s’adressaient aux adultes. Quand le temps des fêtes approchait,
toutes les publications s’arrachaient ces récits, afin de servir à leur
lectorat une édition spéciale ou, à tout le moins, un supplément de Noël.
Quelques-uns seulement étaient repris en livre.
J’ai retenu 24 contes publiés entre 1884 et 1950, abordant
tous les thèmes qui nourrissaient ce genre littéraire : la féerie d’une
nuit de Noël, l’émerveillement des enfants devant la crèche, leur joie à la vue
des étrennes, le bonheur retrouvé des laissés-pour-compte, les vertus
consolatrices de la religion, l’attendrissement des puissants face à la misère
ambiante, l’éveil à la tendresse et aux sentiments amoureux, etc. Chaque conte
est précédé d’une courte biographie de l’auteur ou de l’autrice et d’une brève
présentation. Un avant-propos et une conclusion nous aident à cerner
l’importance que ces contes ont eue au fil du temps.
Ce recueil est aussi l’occasion de raviver le souvenir de 12
auteurs et 12 autrices qui ont brillé en leur temps : Robertine Barry,
Honoré Beaugrand, Ernest Choquette, Éva Circé, Sylva Clapin, Laure Conan,
Gaëtane de Montreuil, Louis Dantin, Henriette Dessaules, Louis-Joseph Doucet,
Anna Duval, Louis Fréchette, Anne-Marie Gleason, Germaine Guèvremont, Philippe
La Ferrière, Albert Laberge, Blanche Lamontagne, Wilfrid Larose, Georgina
Lefaivre, Joséphine Marchand, Joseph-Ferdinand Morissette, Damase Potvin, Marc
Sauvalle et Gabrielle St-Pierre.
Chose sûre, ces récits nous offrent un plaisir de lecture et
l’occasion de nous retremper dans une bienfaisante naïveté, un sentiment
souvent bien enfoui dans la mer des tracasseries de l’âge adulte.
Vous pouvez vous procurer le livre en librairie ou
directement aux éditions GID (frais d’envoi de 10$ - gratuit pour un achat de deux livres) :
https://leseditionsgid.com/contes-de-noel-dantan-au-quebec.html?v=2351
Partagez s’il vous plaît. Demandez à votre bibliothèque de l'acquérir. Si les ventes sont satisfaisantes, un second tome sera offert l’automne prochain. Il suffit de COPIER COLLER le lien ci-dessus.
5 octobre 2025
L’amélanchier
Jacques Ferron, L’amélanchier, Montréal, éditions du jour, 1970, 157 p. (Coll. Les romanciers du jour 56)
« Je me nomme Tinamer de Portanqueu. Je ne suis pas fille de nomades ou de rabouins. Mon enfance fut fantasque mais sédentaire de sorte qu’elle subsiste autant par ma mémoire que par la topographie des lieux où je l’ai passée, en moi et hors de moi. Je ne saurais me dissocier de ces lieux sans perdre une part de moi-même. « Ah! disait mon père, je plains les enfants qui ont grandi en haute mer. » Fin causeur et fils de cultivateur, il se nommait Léon, Léon de Portanqueu, esquire, et ma mère, ma douce et tendre mère, Etna. Je suis leur fille unique. »
L’enjeu qui porte le récit est donné dès le premier paragraphe. Tinamer (anagramme de Martine, fille de Ferron) déclame son nom et son ascendance; elle annonce que son enfance sera l’objet du récit; elle insiste sur ses liens forts avec les lieux (nomades, rabouins, sédentaire); elle précise les moyens qui lui permettent de « vaincre le temps » (la mémoire et la topographie); elle insiste sur l’interrelation des mondes intérieur et extérieur (« en moi et hors de moi ») et, finalement, elle désigne ses parents en insistant sur l’apport de chacun en regard de l’enfant qu’elle a été.
Ainsi commence la quête de Tinamer. Elle a maintenant vingt ans, se sent un peu perdue; depuis la disparition de ses parents, elle essaie de comprendre ce qu’elle est devenue; elle se lance dans la recherche du temps perdu : « Mon enfance, je décrirai pour le plaisir de me la rappeler, tel un conte devenu réalité, encore incertaine entre les deux. Je le ferai aussi pour mon orientement, étant donné que je dois vivre, que je suis déjà en dérive… »
Sa petite enfance a été marquée par la relation quasi fusionnelle avec son père, un père fantasque qui l’amène avec lui dans un imaginaire qui tient du conte. Et qui s’amuse à prolonger l’imaginaire de cette enfant solitaire, pour qui les arbres sont plus que des arbres, pour qui les marcheurs sont des personnages de conte, pour qui les morts continuent de fréquenter les lieux où ils ont vécu. On comprendra plus tard ce qui contraint le père à se réfugier dans cet univers bienveillant : il travaille comme gardien dans un institut psychiatrique pour enfants et il tolère difficilement le traitement inhumain dont sont victimes les enfants. Plus largement il critique une société qui s’arrange pour ne pas voir ce qui devrait être dénoncé, une société qui repose sur des rapports hiérarchiques dont les plus faibles sont les victimes.
Pour Léon, le monde est double : le « bon côté des choses », ce sont la chaleur d’un foyer, la vie de famille, la nature, l’imaginaire; le « mauvais côté des choses », ce sont les relations de pouvoir, le milieu de travail, Papa Boss, le principe de réalité.
L’univers de Tinamer bascule lorsqu’elle commence l’école, lorsqu’elle pénètre dans « le mauvais côté des choses ». Elle découvre la vraie vie, ses règles sociales, les amis et se rapproche de sa mère. Elle rejette le monde factice que son père lui avait créé et même, elle lui en veut de lui avoir enseigné de telles sornettes. Elle efface pour ainsi dire cette partie lumineuse de son enfance.
Ferron raconte comment se forge l’identité mais, peut-être plus encore, décrit le besoin de s’ancrer. « Nul n’est une île », dit le cliché. Nous appartenons à une famille (avec ses ascendants), à des groupes d’amis, à une époque, à un lieu, à une paroisse ou à une ville, à une région, à un pays, à un milieu de travail. Tous ces éléments contribuent à la construction du moi, à l’édification de notre imaginaire. L’enfance joue un rôle majeur : « Les adultes, vilains comédiens jouant toujours le même rôle, ne comprennent pas que l’enfance est avant tout une aventure intellectuelle où seules importent la conquête et la sauvegarde de l'identité, que celle-ci reste longtemps précaire et que, tout bien considéré, cette aventure est la plus dramatique de l'existence. » Cependant, comme en témoigne le récit de la Tinamer de 20 ans, à tous moments dans la vie, la question de l’identité resurgit, à la lumière d’événements nouveaux, et doit être, peut-être pas redéfinie, mais ajustée.
Ferron trace un lien entre l’identité de l’individu et celle d’un pays : « Un pays, c’est plus qu’un pays et beaucoup moins, c’est le secret de la première enfance; une longue peine antérieure y reprend souffle, l’effort collectif s’y regroupe dans un frêle individu… »
Et l’amélanchier dans tout cela? Une balise, un signal, un marqueur qui monte la garde à l’orée des bois : « Dès le premier printemps, avant toute feuillaison, même la sienne, il tendait une échelle aux fleurs blanches du sous-bois, à elles seulement; quand elles y étaient montées, il devenait une grande girandole, un merveilleux bouquet de vocalises, au milieu d’ailes muettes et furtives, qui annonçaient le retour des oiseaux. » « Durant une petite semaine, on ne voyait ni n’entendait que l’amélanchier, puis il s’éteignait dans la verdure, plus un son, parti l’arbre solo, phare devenu inutile. Le bois se mettait à bruire de mille voix en sourdine; puis le loriot chantait et mon père disait à propos de l’amélanchier qu’il s’était retiré: « Laissons-lui la paix: il prépare sa rentrée d'automne. » L’été se passait et que trouvions-nous? Quelques baies noires rabougries, laissées par les oiseaux, et un amélanchier content d’avoir écoulé son stock de minuscules poires pourpres avant notre retour, premier à avoir ouvert la saison, premier à la fermer… »
Roman intelligent, poétique, naïf et savant, inventif et déroutant, conte et documentaire, le meilleur de Ferron. En 1970, on avait Le torrent, Une saison dans la vie d’Emmanuel, L’Avalée des avalés et Jimmy. L’amélanchier conclut, on ne peut mieux, le cycle sur la fragilité de l’enfance de ses prédécesseurs.
Sur Ferron :
Jacques Ferron, écrivain québécois (1921-1985)
Jacques Ferron sur Laurentiana
L'Ogre
Tante Élise ou le prix de l'amour
La Sortie
Le Dodu
Le Licou
Contes du pays incertain
Contes anglais et autres
La barbe de François Hertel
Cotnoir
La nuit
Papa Boss
L’amélanchier
Les roses sauvages
Le Saint-Élias
Anatole Parenteau et Jacques Ferron
Le parti rhinocéros programmé
1 octobre 2025
Le cœur de la baleine bleue
Jacques Poulin, Le cœur de la baleine bleue, Montréal, Éd. du jour, 1970, 201 p. (Coll. Les romanciers du jour R66)
Noël,
le narrateur, vient de subir une transplantation cardiaque réalisée par le
docteur Grondin (Opération à ses tout débuts en 1970 : Pierre Grondin et
Gilles Lepage ont effectué la première greffe cardiaque au Canada en 1968.)
Il se
cherche, comme si cette opération avait non seulement remodelé son corps mais
aussi altéré sa personnalité et son talent d’écrivain. Est-ce le fait qu’on lui
a greffé le cœur d’une jeune fille?
Élise,
sa compagne, semble éprouver un peu de difficultés avec ses changements de
comportement. Ils s’éloignent l’un de l’autre de plus en plus. Elle s’amourache
du voisin, un joueur de hockey, et finit par le quitter. Lui, il s’attache à une
jeune fille qui « ressemble à un garçon » et qu’on surnomme « la baleine
bleue » à cause de ses ronflements quand elle dort. À la fin du roman, elle
l’emmène avec elle à Saint-Nicolas, là où vit Simon, un caléchier qui s’occupe
d’elle. Les deux l’abandonnent sur place.
Ce
roman tient à la fois du récit réaliste et du conte. Le réalisme, on le lit d’abord
dans le motif de la transplantation cardiaque et l’omniprésence de la ville de
Québec (ses rues, ses librairies, ses restaurants, ses monuments). Noël habite
le vieux Québec, près du Château, avec vue sur le fleuve, la traverse Québec-Lévis,
les Laurentides et l’Île-d’Orléans au loin. Autre élément réaliste : avec son voisin
Bill, il partage des échanges sur le hockey de cette époque, plus précisément
sur les As de Québec, équipe de ligue américaine et filiale des Flyers de
Philadelphie.
La
place du conte n’est pas moindre : on découvre petit à petit que la jeune
fille surnommée « Charlie la baleine bleue » n’est rien d’autre que
celle qui lui a légué son cœur et cette immense douceur qui le submerge. Elle
aime beaucoup les oiseaux comme si elle en était un. Pour Noël, elle est comme
l’oiseau que St-Denis Garneau décrit dans « Cage d’oiseau » (« la
mort qui fait son nid »). Cette jeune fille ne semble pas avoir de genre
et, tout comme elle, Noël semble avoir perdu en partie le sien dans l’opération.
Les deux entretiennent une relation qui, en d’autres circonstances, pourrait
sembler trouble.
Ce livre porte aussi sur le travail
d’écrivain, les aléas de l’inspiration, le mélange du réel et de l’imaginaire.
Chose curieuse, Noël ne réussira pas à terminer le roman (dont Jimmy est le
héros) qu’il est en train d’écrire, comme s’il ne pouvait pas écrire avec le
cœur d’une autre, comme s’il ne reconnaissait plus ce que lui suggère son
imaginaire. « J’avais appris qu’une histoire se repliait parfois sur
elle-même, comme un chat qui se couche et s’endort, et qu’il fallait attendre ;
brusquement surgissaient, dans les espaces intérieurs, des éclaircies, des
échappées de lumière, de la même manière que dans une forêt obscure le
promeneur solitaire débouche sur une clairière ensoleillée. Alors j’apercevais
quelques images fugitives, les fragments d’un décor : une grappe de maison
serrées autour d’une église semblable à un bateau, une plage rocheuse déchirée
par une longue pêche d’anguilles couverte d’algues et de mousse, un essaim de
religieuses en blanc sur un rocher, comme un banc de goélands. »
Enfin, ce
roman aborde de façon poétique le thème de la mort. « — Bien sûr, mais la
mort c’est la dernière étape de la douceur. La mort, c’est la douceur absolue.
C’est le calme, le repos. C’est
l’absence de mouvement et la paix. » Le caléchier Simon, qui prend soin de
Charlie et qui apparaît à la toute fin, n’est pas sans évoquer le charretier de
la mort. Et Jimmy, le personnage de son roman, et le polichinelle qui traîne
dans la maison de Simon, Noël lui-même.
Extrait (la fin du roman)
« Elle fait un petit signe de la main,
puis je la vois disparaître avec Simon derrière les arbres. Le Chanoine les suit. C’est vrai qu’on entend le
fleuve ; la marée a sans doute commencé de remonter. J’ai l’impression d’être
en retard. J’avais oublié de dire à la vieille Marie de ne pas cesser d’écrire
: quand on arrête, ça fait du tort à tous les autres. J’aurais voulu dire aussi
à la Baleine bleue que j’aimais bien son cœur.
Je me lève avec difficulté. Je vais chercher
Jimmy sur le piano, je l’allonge sur le lit. Puis je soulève le couvercle d’une
caisse et je prends une grenade.
J’enlève la goupille. Je glisse ma main, serrée sur la grenade, sous mon vieux chandail gris. Je
me couche de côté, la tête penchée, les genoux relevés et l’autre main entre
les jambes. Les nausées ont
disparu et je me sens bien. J’ai une chanson dans la tête mais je ne trouve pas
le titre. Non, c’est plutôt comme le chant d’un oiseau. Un oiseau en liberté. »
Jacques Poulin sur Laurentiana
Jimmy
Mon cheval pour un royaume
28 septembre 2025
Paupières
Cécile Cloutier, Paupières, Montréal, Librairie Déom, 1970, 93 p. (Coll. Poésie canadienne no 25)
On
reconnaît l’autrice, son style, ses poèmes laconiques. Ce qui était à l’état d’ébauche
dans Cuivres et soies, devient ici un peu la règle, à savoir que le
langage est aussi important que le contenu.
Le
recueil présente un mélange :
· d’instantanées (Une aile d’insecte / Se brise / Quelque part);
· d’états d’âme (Je suis seule / Comme un pin / sur une îles);
· de sensations (Il y eut le chamois chaud de mes baisers);
La ligne de force de tous ces courts poèmes, c’est la relation amoureuse, une relation qui lui confère le sentiment de permanence qu’elle semblait chercher dans ses deux premiers recueils :
Et tu vins
Beau comme une porte ouverte
Et le rêve du fruit
Dans l’Hiver d’un pommier
Avec des paroles d’étain chaud
L’algèbre de tes
doigts
Sur mon corps
Et bientôt
La satisfaction du pluriel
Qui t’attend en moi
Tu fais
Chanter
Mon corps
En cris de flammes
Sous le langage de tes gestes
Une communication de
l’autrice à la Rencontre des poètes en 1958 termine le recueil.
« Un poème tend toujours la main et n’est qu’en apparence une évasion. Il
veut rejoindre l’autre à la racine de son émotion, dans son instant de
vérité. »
Cécile Cloutier sur Laurentiana
Cuivre et soies
Mains de sable
.jpeg)
.jpg)




