Claude Grenier, Les poubelles-mangeoires célestes, Montréal, Éd. du cri, 1970, n. p. (Illustrations : Marie-Andrée et Mario Bodet)
Le recueil de Grenier s’inscrit dans la mouvance révolutionnaire des années 1960. Le discours qu’il développe me semble très articulé. En fait, il décrit son cheminement, de l’engagement au nihilisme révolutionnaire.
Au départ, le poète doit lutter contre lui-même : il est si facile de se taire, de « faire semblant de vivre, épauler ceux qui ne parlent plus, ceux qui se taisent ». Mû par la colère et une certaine violence, il rêve d’en découdre avec les « grippe-cerveaux » : « je me mettrai bientôt des mots de sang au bout des poings, je les brandirai bien haut et bang! » Le poète déplore que sa révolte l’isole. Même son amoureuse semble l’avoir abandonné ou trahi : « ils ont fondu sur ELLE. et c'est ainsi qu'ELLE a quitté, pâle Opale, l'Ovale pour aller renaître... pas très loin de moi, métamorphosée par les maléfiques grippe-cerveaux. »
Dans la seconde partie intitulée « Le cri », l’auteur affirme qu’il est trop tard pour intervenir et que la bataille est déjà perdue : « pauvres fous! nous cherchions encore sous nos visages crayeux les mots et les gestes du changement, les mots et les gestes de l'identité librement reconnue. pauvres fous! // fini le temps des mots! / il faut passer à autre chose ».
Les « grippe-cerveaux » ont déjà mis au pas la société, ce que symbolise les « poubelles-mangeoires » : « mais ses poubelles multicolores continuent de s'entasser. / ses poubelles scintillantes montrent leurs tripes fleuries et leurs fleurs farcies. / la ville ne bascule plus et tout va bien pour les pauvres petites bêtes à gestes qui vivent accroupies autour des poubelles-mangeoires-célestes. / tout va bien pour les pauvres petites bêtes à gestes qui fouillent et grignotent dans les poubelles. » Le citoyen repu, il est facile de le manipuler, de lui faire gober n’importe quoi : « Quelqu’un regarde partout dans ma tête. / quelqu’un qui joue de la clef dans mes serrures ».
Pour terminer son recueil, Grenier règle ses comptes avec le milieu artistique : il passe à tabac les « criticateurs-à-poulx », les « épouvantails des salons littéracrétinaires », les « poétiartistes du fleuve et de la terre, du pain de ménage et du sirop d’érable ». On comprend que pour lui, artiste et engagé sont des mots indissociables.
Il termine par un cri de guerre, cri de désespoir, comme s’il n’y avait plus rien à changer et que la seule solution était de tout reprendre à zéro : « DÉTRUIRE! DÉTRUIRE! LES GALÉRIENS EN ONT ASSEZ »
Grenier s’inscrit dans une certaine contre-culture bien que son discours soit très policé. Il dénonce davantage le mode de vie de ses concitoyens que les structures sociales. Son écriture se déploie souvent par accumulation, les vers s’étirent et deviennent des phrases. Il use d’une assez grande liberté dans la mise en page, mais n’utilise pas le joual, et ne profère pas de grossièretés, comme Vanier. Les références à la sexualité et à la drogue sont accessoires. À quelques mois d’Octobre 70, il est à se demander si Grenier a été arrêté. Je n’ai pas la réponse.

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