Jacques Godbout, C’est la chaude loi des hommes, Montréal, L’Hexagone, 1960, 69 p.
Comme titre, Godbout reprend le premier vers d’un célèbre poème de Paul Éluard intitulé « Bonne justice ». Ce poème fait partie de Pouvoir de dire, publié en 1951.
Le recueil de Godbout compte deux parties : la première est précédée des deux premières strophes du poème d’Éluard et la seconde, de la troisième.
On est en 1960. La « grande noirceur » ne s’est pas encore éclaircie et la guerre froide menace la planète. Il faut lire le désenchantement de la première partie du recueil en tenant compte de ce contexte. Dans le poème « La dernière », le poète décrit un monde d’après-guerre, où l’homme a disparu : « l’atome l’hydrogène sur nos lèvres / Et nous sommes de dernières générations / Chaque jour l’ultime geste / Et nous sommes sans audace // Il n’y aura plus de mémoire / Personne ne saura / Notre tendresse notre fureur douce. » Comme Éluard l’écrit dans « Bonne justice », l’homme doit se « garder intact malgré les guerres et la misère ». Godbout, dans la même veine, énumère un certain nombre d’obstacles qui rapetissent la vie : la misère des villes, l’argent, les pontifes politiques et religieux, l’éducation. Il ajoute que la poésie semble dérisoire devant l’ampleur du défi : « Poètes de mes deux soyons grossiers : / La poésie ne paye pas à mort la poésie / Je disais aussi : / Que nous mangions du dictionnaire cependant / Que d’autres dégustent le fromage »
Le ton change dans la seconde partie. Il s’agit davantage d’une quête : comment se créer un monde qui soit habitable ou comme le dit Éluard « changer l’eau en lumière, le rêve en réalité et les ennemis en frères » ? L’amour sera la pierre d’assise sur laquelle doit reposer le futur : « Pour nous, l’amour fera le pont, / Le pont des enfants heureux le pont des femmes libres le pont des balles dans la rue le pont couvert de la tendresse le pont de métal qui désobéit au saison le pont de bois aussi vermoulu comme tradition, / Aimer, aimer ». Le poète ne s’illusionne pas pour autant : comment y arriver dans ce pays où « mille enfants attendent le pont », dans ce pays qui « regarde encore / D’un œil ensommeillé / L’Ordre qui se trémousse » ? On a l’impression qu’il s’en remet au temps. En attendant, il rêve d’un espace de vie tout simple où l’on peut être libre et heureux :
LES PASSANTS
Très peu de pain
Une grande maison
Des murs blancs
Que nous peindrons
Et à chaque fenêtre
Nous prendrons quelque chose : ici un rideau
Là une arbalète ici un melon
Là si l’on ose
Notre bonheur
espérant
Ne pas faire peur aux passants
Cette poésie est très ancrée dans son époque. Il n’est pas toujours aisé de saisir la portée de certains vers. On a parfois l’impression de lire un texte quelque peu décousu, comme si l’auteur se permettait des détours qui nous laissent sur le côté. Godbout est davantage un romancier, un cinéeste et un essayiste qu’un poète.
Jacques Godbout sur Laurentiana
§ C’est la chaude loi des hommes
Le poème d’Éluard
BONNE JUSTICE
C'est la chaude loi des hommes
Du raisin ils font du vin
Du charbon ils font du feu
Des baisers ils font des hommes
C'est la dure loi des hommes
Se garder intact malgré
Les guerres et la misère
Malgré les dangers de mort
C'est la douce loi des hommes
De changer l'eau en lumière
Le rêve en réalité
Et les ennemis en frères
Une loi vieille et nouvelle
Qui va se perfectionnant
Du fond du cœur de l'enfant
Jusqu'à la raison suprême.
(Pouvoir de dire, 1951)