Le grand Khan est le deuxième tome de la « Trilogie des Mongols » de Jean Basile. On retrouve les trois « J » qu’on avait rencontrés dans La jument des Mongols : Jérémie, Judith et Jonathan. Ils sont maintenant au début de la trentaine, ils vivent toujours à Montréal.
Jonathan est le narrateur. Il trace de lui-même un portrait assez dévastateur : « Je m’appelle Jonathan, six pieds deux pouces, presque aussi maigre qu’un cure-dent, rien qu’à me présenter je fais peur aux monstres, je ne suis pas un roseau pensant, grossier si j’ai mes élégances, je me propose nu, laid, égoïste, vaniteux, peut-être sans talent, je sens le fauve… »
Au début du roman, Jérémie épouse Anne, ce qui crée un choc pour ses deux amis qui ont l’impression d’être laissés en arrière, que leur jeunesse vient de foutre le camp. Quant à eux, Judith et Jonathan entretiennent des relations amoureuses qui ne vont nulle part. Elle s’est entichée d’Adolphe, un soi-disant jeune révolutionnaire, de 10 ans son cadet. Ils vivent dans des mondes séparés. Leur relation est tout sauf harmonieuse. Jonathan, lui, est aimé d’Adélaïde mais on ne peut pas dire que ce soit réciproque. Tous les deux sentent le besoin de faire quelque chose de leur vie mais n’y arrivent pas.
Le retour de Jérémie et d’Anne, enceinte, de leur voyage de noces à Paris est catastrophique. Jonathan, les attendant dans l’appartement de Jérémie, a endossé une robe de la défunte Armande, l’ancienne copine de Jérémie. C’est la rupture entre Jonathan et Jérémie.
Ils se revoient quelques mois plus tard quand Anne accouche d’un enfant gravement handicapé, « immobile dans un bocal plein d’alcool, mais vivant ». « C’est si facile de fermer un petit robinet », mais qui le fera? Jérémie en étant incapable, c’est Jonathan qui le fera.
Jonathan finit par se mettre à l’écriture de son roman et trouve un éditeur. Il a l’impression d’avoir trouvé sa voie. Quant à Judith, elle fait une tentative de suicide quand Adolphe lui annonce qu’il la quitte, ce que Jonathan ne prend pas trop au sérieux, ce qui provoque une rupture entre les deux.
Jean Basile écrit bien, même trop bien. Ses références culturelles sont impressionnantes (entre autres sur la musique classique). Il a un sens du détail comme peu d’écrivains le possède. Montréal, ses rues, ses édifices s’animent sous sa plume. Des morceaux de bravoure, il y en a à profusion. Le narrateur raconte par de menus détails des faits anodins ou nous sert de fines analyses sur lui et ses amis. Ses personnages sont complexes à souhait. Malheureusement, avec de telles qualités, on n’écrit pas forcément un bon roman. Le problème vient de ses personnages : ils errent, ils procrastinent en imaginant ce qu’ils devraient faire. Les phrases, les paragraphes n’en finissent plus, c’est un livre qui ne respire pas, « une bombe de glace explosant dans les airs en mille diamants de locutions, de paraphrases, d’allitérations cette gerbe grammaticale n’étant, somme toute, que des mots et des mots ». (Autocritique qu’on lit dans le roman)
Extrait (Commentaire de Jérémie sur le roman de Jonathan)
« Ces phrases longues, très, ce manque voulu de syntaxe et de ponctuation, ce mépris fréquent de la clarté ou de la logique, tout cela est bien nouveau. Bien séduisant aussi. Ces longues phrases coulent, on se sent charmé par elles jusqu’à ce que l’on bute sur une obscurité qui nous fait hésiter. Le tout est assez étrange, musical, avec une sorte d’acidité de temps en temps; tu es comme ces cuisinières qui savent mettre un peu de citron ou de cannelle dans une cuisine qui, à force de perfection, finirait par lasser. Tu n’as pas su résister de te livrer deux ou trois morceaux de bravoure. L’un tout au début de ton livre, les autres lorsque tu décris Montréal du haut de la montagne ou que tu parles de ta (ou de ma) bibliothèque. Ce style ample, coulé, au souffle large, ces descriptions minutieuses, les énumérations fréquentes donnent un ensemble proprement baroque et je te connais assez pour savoir qu’il est recherché. » (p. 254-255)
Jean Basile sur Laurentiana
Le grand Khan
Le voyage d’Irkoutsk
Raymond Martin, Interview de Jean Basile
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