LIVRES À VENDRE

29 septembre 2023

La pêche très verte

Gilles Constantineau, La pêche très verte, Montréal, Chez l’auteur, 1954, 27 pages. (Préface de Roger Rolland et 5 lavis de Normand Hudon)

Le recueil, le fait d’un jeune homme de 21 ans, est très court : il ne contient que 15 poèmes. Pourtant, il se démarque de la plupart des recueils des années 1950. On n’épiloguera pas longuement sur le contenu, les poèmes parlent d’amour. Tout au plus affleurent quelques questionnements existentiels. Bref, rien de dramatique comme on le voit souvent chez les jeunes auteurs qui abordent ce thème. Chez Constantineau, tout est dans la manière. Il a du Jacques Prévert dans le nez. Le langage est très simple, souvent très près de l’oral, ce qui n’était pas si fréquent à l’époque. Il se permet de « poétiser » des sujets qui s’y prêtent peu, comme un dialogue entre un cheval et une vache. Humour et dérision sont ses alliés de prédilection. L’auteur veut bien nous faire comprendre qu’il ne se prend pas trop au sérieux. Par exemple, il termine par un pied-de-nez son poème sur l’échec amoureux : « Marie s’est donnée / à dix-huit maris / tous abandonnés / j’en pleure ou j’en ris / je ne suis pas né / ça fait peu de bruit / Ferdinand de Lesseps / le canal de Suez / l’amour les forceps / Seigneur j’accouchai d’écœurantes fadaises! »

Bref, ce petit recueil est rafraîchissant dans l’atmosphère un peu lourde des années 1950. Les illustrations de Normand Hudon, très modernes et humoristiques, contribuent à cette légèreté. Voici un des poèmes (sans titre, sans majuscule, sans ponctuation) dont Marie a été la muse.

j’irai pour voir
les yeux ta crinière un soleil
tes seins une plage et du sable
où rouler sur ton ventre blanc
ton rire un océan léger
ta jambe immobile et molle
pourtant ton sang joyeux et fol

le
 feu sous la cendre 
et
 j’irai pour voir 
ta
 main divine faisant 
ma
 part de l’eau de la terre 
ton
 bien de l’enfer et du ciel

Gilles Constantineau (1933-1985) a été journaliste au Canada, au Nouveau Journal, à Radio-Canada, au Soleil.  Il a aussi collaboré au Devoir et au Magazine Maclean. Il a publié trois recueils de poésie : La pêche très verte (1954) à compte d’auteur; Simples poèmes et Ballades (1960) et Nouveaux poèmes (1972) à l'Hexagone.


22 septembre 2023

Fuites intérieures

André-Pierre Boucher, Fuites intérieures, Montréal, éditions d’Orphée, 1956, 98 pages. 

Fuites intérieures, le premier recueil de Boucher (né en 1936), n’a pas la finition qu’on retrouvera dans Matin sur l’Amérique (1958). Il exploite les mêmes thèmes de façon plutôt désordonnée… tout en étirant beaucoup trop la sauce. L’auteur va corriger le tir dans Chant poétique pour un pays idéal, publié en 1966, dans lequel sont repris ses deux premiers recueils avec l’ajout de nouveaux poèmes. Il ne retiendra que 31 poèmes de Fuites intérieures.

On y retrouve le thème amoureux (sans épanchement) et celui du lieu inhabitable (espace saccagé, ville inhumaine). Cependant, les thèmes dominants, ce sont ceux de l’évasion et de l’errance, ce qui revient un peu au même. 

Ce « garçon qui erre sur les ponts » exprime sa désillusion envers une société où la liberté est brimée : « Ville innombrable qui barre nos routes / Les hommes de la terre / se fabriquent des mains sans regard / des cages mesurées / au calcul d’atmosphère étouffant / Pour nos jeunesses » (Terre massive des hommes). À une révolte ouverte, il préfère la fuite dans l’imaginaire : « Je bâtirai des mots neufs / Des volcans d'idées / Jailliront jusqu'au ciel de vos puissances réduites / Des fusions d’images comme des musiques baroques / Des milles et une couleurs d'Orient / Asie mystérieuse et multiple / Apparaissant aux steppes blanches de mes cerveaux / Sillonnées d’impalpables routes boréales. » (Vers le voyage de ma tête). 

Dans plusieurs poèmes, l’évasion-errance-fuite semble prendre la forme d’un voyage projeté avec la personne aimée : 

TU M’APPRENDRAIS

Tu m’apprendrais tes routes tes voyages
tes mers pleines d’oiseaux tapageurs
tes rivages
tes soleils ramassés aux pays que j’ignore 

Nous marcherions dans les algues sèches
poussés par les vents de mer et mêlés aux oiseaux
en se fabriquant des barques d’aurore
avec tes soleils

Nous partirions
sans jamais ne revenir
ivres
et jeunes
Le monde finirait avec nos voyages 

Seuls nos pas lascifs
danseraient sur les sables
la nostalgie précise des voyages qu’on rêve


Le recueil (avec ses quelques fautes d’accord, d’orthographe et de syntaxe) est rare. Je me suis rabattu sur la copie rafistolée de l’Université Laval.


15 septembre 2023

Soleil noir

Élaine Audet, Soleil noir, Paris, Debresse-poésie, 1958, 61 pages. 

Il ne faut pas chercher quelques nouveautés du point de vue formel dans le recueil d’Élaine Audet. Sous cet aspect, tout est plutôt convenu. L’enjeu, c’est le contenu. La poète a des choses à dire et les dit le plus souvent avec force.

 

Au début du recueil, on lit le désespoir et la colère d’une amoureuse qui a été abandonnée : « Je fracasse / De mes poings crispés / Le crâne de ta froideur malsaine / Et la donne en holocauste / Aux dieux païens / Des voluptés anciennes / J’aimerais étrangler / Dans ta gorge d’albâtre / Toutes les paroles / Qui ne sont pas pour moi / Fouler de ma rage de fer / Tous les regards / Qui ne me sont pas destinés / Ma jalousie n’a d’égale / Que la soif de possession-monstre / Qui me ronge patiemment / Comme un cancer monotone / Mes pas infatigables / Ombrageront toujours / Ta frêle silhouette / Et mes yeux de caveaux glacés / Seront toujours rivés / À chacun de tes gestes / Tu n’existeras  / Que si je le veux / Ne l’oublie pas  / Mon amour. » (p. 10)  

 

Le propos va changer progressivement. De la désillusion amoureuse, on passe à celle envers la société. Encore une fois, le propos est violent : « Je veux dans chaque main tenir un revolver. Pour les abattre tous. Monstre. Oui et pire encore. Purifier l’univers de cette larve désarticulée groupée sous l’égide d’une société puante. Transformer le monde pour qu’enfin tous voient le bleu du ciel et respirent l’amour au printemps. Du pain pour tous et des mains qui ne se refusent plus. Je suis à l’image des vivants et ne vivrai que de leur liberté. Il nous faut tout reconstruire à la base. Faire que nos enfants ignorent la solitude et la haine. // Pousser la liberté à bout. » (p. 37)

 

La recherche d’une solidarité, d’un lien à l’autre, vont détourner la poète de sa colère. Le dernier poème en est un d’apaisement. Cette fois, c’est elle qui part mais elle assure à son « ami » que ce départ n’est ni un renoncement ni un abandon.

 

À DEMAIN

Ne pleure pas ami 
Je m’en vais
          Ivre de toi 
          Mon cri dans l’œil 
Loin très loin

Reste ami reste 
L’horizon te réclame

Un jour nous nous retrouverons 
Côte à côte dans le combat 
Les étoiles seront dégainées 
Comme notre cœur Ami 
Qui depuis longtemps languit 
Et sous ces bras-voiliers 
Emmaillés d’une galaxie éternelle 
Fléchira le passé d’acier

Ne pleure pas ainsi 
Je reviendrai ami
          Ivre de toi 
          Mon cri dans l’œil 
De loin de très loin

Vivre ami vivre 
En équilibre avec la lumière.

Sur Élaine Audet


9 septembre 2023

La collection du NÉNUPHAR (1944-2004)


Cette collection est sans doute la plus prestigieuse réalisée au Québec. Elle est créée par Paul-Aimé Martin en 1944 chez FIDES. L’idée est toute simple : il s’agit de rééditer les livres québécois, « classiques » ou « marquants », dans une facture de qualité. André Cordeau et Luc Lacoursière en seront les premiers directeurs. « Le choix du papier, de la couverture texturée, de la typographie, les pages non massicotées, qui obligent le lecteur à utiliser un coupe-papier, tout a été pensé soigneusement en fonction de faire des titres de la « Collection du Nénuphar » de beaux livres. Même le liséré rouge et noir qui borde la couverture suggère la ceinture fléchée. C’est Luc Lacoursière qui trouva le nom de « nénuphar », car cette plante est présente partout au Québec, et elle deviendra la signature graphique de la collection. L’idée était que, comme le nénuphar peut croître et pousser dans tous les lieux, les classiques canadiens pouvaient se trouver partout dans toutes les bonnes bibliothèques. » (Marie-Andrée Lamontagne dans Pierre Vallée, « Cahier spécial Fides », Le Devoir, 5 mai 2012)

 

Quelques observations sur la collection. Au XIXe siècle, on regrette l’absence des Anciens Canadiens (une version abrégée était disponible dans une autre collection). Au XXe siècle, il est dommage qu’on n’ait pas retenu Bonheur d’occasion et Les Plouffe, surtout ce dernier qui n’a pas été si bien servi par les éditeurs qui l’ont repris. La poésie d’Anne Hébert et d’Alain Grandbois n’y est pas non plus, mais elle sera reprise dans des éditions de qualité (Seuil et L’Hexagone). On remarque enfin que certains écrivains, jadis hautement considérés, sont aujourd’hui presque oubliés : qui lit encore Marie Le Franc ou Marius Barbeau, pourtant des auteurs intéressants?

 

La collection contient 72 titres, dont trois publiés plus d’une fois (3 éditions de Nelligan, 2 de S.-D. Garneau, 2 d’À l’ombre de l’Orford). On y trouve des romans, des contes, de la poésie, des essais et du théâtre. Avec l’aimable collaboration de Jean-François Picher, on a reconstitué la liste.