J. Wilfrid Pion, La championne, Montréal, Éditions modèles, 1945, 271 p. Louis Ricard a tout perdu : sa femme, son magasin, sa santé mentale, puis sa vie. Il laisse derrière lui une orpheline qu’il a confiée à un cousin. Ce dernier ne sait pas qu’un grand-oncle lui a laissé 50000$ dont elle pourra jouir à l’âge adulte. Il croit que le père s’est fait voler la somme, avant de sombrer dans la folie et de mourir.
Marie-Jeanne, la jeune orpheline, est très heureuse avec ses parents adoptifs, même si ceux-ci ont déjà plusieurs enfants et vivent pauvrement du travail de la terre à Saint-Rémi. Marie-Jeanne est surnommée ironiquement « la championne » et souvent malmenée à l’école, puisqu’elle est toujours première de classe et récolte tous les prix (Lire l’extrait). Le temps passe, elle grandit, travaille comme servante chez le maire de la paroisse, dont la fille était sa tortionnaire à la petite école. Elle finit par amadouer cette « pimbêche » qui se croit au-dessus de tout le monde puisque son père a de l’argent. Un garçon la courtise et puis, un jour, une révélation s’impose à elle : elle deviendra religieuse. Ayant atteint sa majorité, un article dans un journal, qui énumère des biens non réclamés, révèle l’héritage de 50000$ qui l’attend depuis le décès de son père. Ayant fait quelques dons, elle laisse le reste de la somme à ses parents adoptifs.
La championne est un roman mélodramatique avec les ficelles habituelles. Les pauvres sont bons et plus catholiques que le pape, alors que les riches sont vénaux et méchants. Et les riches ne cessent de menacer les pauvres. Heureusement qu’il se trouve quelques âmes charitables, dont Monsieur le curé, pour voler à leurs secours.
Ce qui étonne, c’est de constater que l’auteur bâtit son roman sur les différences de classes sociales. On est dans une toute petite paroisse et il serait bien surprenant que les filles de riches soient obligées d’épouser les garçons des riches. Par exemple, le riche voisin des Ricard refuse que son fils fréquente Marie-Jeanne. Bien entendu, quand il apprend qu’elle va hériter, à deux reprises il se rend au couvent pour la ramener dans notre monde.
C’est un des romans qui donne le plus de place à la religion que j’ai lus. Les personnages s’y réfèrent continuellement pour expliquer ce qui leur arrive, joies ou déboires, réussites et hasards.
Extrait
L’hiver et le printemps suivants passèrent sans incident notable, mais dans le cours de l’été, Jean Ricard et sa femme décidèrent d’envoyer Marie-Jeanne à l’école, lors de l’ouverture des classes, et dans ce but la maman alla la présenter et lui retenir une place dès que le curé, comme chaque année, eut annoncé l’entrée.
Elle dit à l’institutrice :
« Mademoiselle, en plus de mes trois dernières, je vous amène notre petite adoptée. J’ose espérer que si elle vous fait honte, ce ne sera que par son pauvre habillement, car je ne pourrai pas la tenir mieux que je fais pour mes autres enfants.
— « Ce ne sont pas autant les habits, si propres et si beaux soient-ils, qui m’intéressent, répliqua la demoiselle. Je préfère une grande volonté d’apprendre et je vois dans l’œil intelligent de votre fillette, une ambition qui la conduira bientôt à la tête de sa division et peut-être de sa classe. N’est-ce pas, ma chère enfant, que vous voudrez chaque jour faire mieux que la veille ? C’est en aspirant toujours plus haut qu’on obtient le résultat voulu. Notez bien ces quelques mots dont vous ferez votre devise. « Toujours mieux, pour être championne! » Voulez- vous, chère petite ?
— Oui, je veux toujours mieux. »
Pendant le trajet du retour, l’enfant demanda :
« Qu’est-ce que cela veut dire, être championne?
— Cela signifie, répondit Madame Ricard, qu’on fait davantage ou qu’on fait mieux que tous les autres.
— Quelle sorte de championne que je peux être moi ?
— Tu peux être championne partout. Dans la prière en la récitant chaque jour plus pieusement. Dans l’étude en ne te laissant pas dépasser par tes compagnes. Dans le travail en t’efforçant de faire chaque fois plus et mieux que n’importe qui.
— Eh bien! moi, je veux être championne par- tout. Vous verrez. Je veux savoir aussi vite que la maîtresse pourra me montrer. Je prierai Jésus en championne pour qu’il m’aide. Il me l’a dit, l’autre fois dans l’église, et je m’en souviendrai toujours. »
Le premier jour de classe arrivé, Marie-Jeanne s’en alla à l’école. Les autres enfants l’entourèrent bientôt, car les conversations tenues dans la paroisse à son propos les avaient familiarisés avec cette fillette que tous semblaient vouloir accaparer. Parmi ses nouvelles compagnes anxieuses de l'examiner et de la questionner, se présenta la fille du maire. Fière de la richesse et du prestige paternels, Laure Coran haussait facilement le ton et usait librement de la tape envers les plus pauvres dont elle riait à cœur joie.
« Comme cela avec les nouveaux bébés, nous avons maintenant la trouvaille des Ricard. Que viens-tu faire à l’école ? » dit-elle.
— Je veux apprendre à être championne. La maîtresse a dit que c’est beau être championne.
— Quelle risée! Une trouvaille en guenilles qui veut être championne. Mais championne en quoi ?
— Championne partout! »
La naïveté de cette réponse, au lieu de valoir à l’orpheline l’admiration que méritait sa noblesse, lui fut plutôt funeste parce que cette ambition encore contestable à son âge, donna prise aux railleries des autres élèves.
« Ah! tu veux être championne! C’est malheureux que nous entrions en classe dans une minute, sans quoi, je te donnerais une première leçon! »
Revenue au logis, le soir de ce premier jour de vrai labeur pour une enfant de son âge, Marie- Jeanne n’eut rien de plus pressé que de dire à Maman Ricard :
« La maîtresse nous a fait dire nos lettres que je savais toutes, parce que j’ai écouté mes sœurs quand elles les apprenaient. Puis elle a dit de faire tout pour Jésus. Je le Lui avais déjà promis. Il me faut maintenant tenir ma promesse et je serai cham- pionne là aussi. »
Après le coucher des enfants, Jean dit à sa femme : « Quelle vraie leçon nous donne cette chère petite par sa résolution d’être championne pour le Bon Dieu! Je t’assure que si elle n’oublie pas ce principe et qu’elle en fasse vraiment la devise de sa vie, elle sera la joie de nos vieux jours. Les saints n’ont pas fait mieux. » (p. 91-93)