Anna
Duval-Thibault, Les deux testaments, Fall River, Imprimerie de l’Indépendant,
1888, 181 pages. (Note au lecteur et Avant-propos de l’autrice)
Edmond
Bernier est veuf. Il vit avec un neveu orphelin nommé Joe Allard et sa
belle-mère sur la rue Papineau à Montréal. Edmond est amoureux de Maria Renaud,
la fille d’un riche marchand. Maria, quant à elle, est amoureuse de Xavier
Leclerc. Mais son père, manipulé par Edmond, refuse qu’elle épouse Xavier et à
force d’insister, Maria finit par épouser le veuf Bernier, même si elle ne
l’aime pas. Et le veuf à force de manipulations finit par obtenir de sa
belle-mère qu’elle fasse un testament en sa faveur, au détriment de son neveu.
Ayant obtenu ce qu’il voulait, Bernier se débarrasse de son neveu en le plaçant
dans une école loin de Montréal. Quand ce dernier apprend que sa grand-mère est
morte, il prend la clé des champs et on le perd de vue.
Une
vingtaine d’années passent. Edmond et Maria, toujours aussi mal assortis,
vivent maintenant à Beauport, et ils ont une grande-fille, Marie-Louise. Comme
elle s’ennuie, ils décident de l’envoyer chez des parents à New York. Il se trouve
que Joe, l’orphelin disparu, s’est réfugié dans cette famille et il tombe
amoureux de Maria, sentiment qu’elle partage. Au bout d’un mois, Maria doit
rentrer chez elle. Sa mère, devinant les sentiments de sa fille pour Joe, invite celui-ci à accompagner sa parenté new-yorkaise qui a prévu la visiter.
Joe demande Marie-Louise en mariage. Le père, toujours aussi manipulateur,
s’organise pour l’écarter. Joe retourne à New York complètement démoli jusqu’à
ce qu’il découvre la vérité : Edmond Bernier est ce vieil oncle qui lui a volé
son héritage. Plus encore, il retrouve un second testament que sa grand-mère
avait fait dans lequel elle lui léguait tous ses biens. Joe se précipite à
Beauport et arrive juste à temps, puisque le père Edmond est en train de forcer
sa fille à épouser un homme fortuné qu’elle n’aime pas. Ses méfaits étant
découverts, le père Edmond devient fou et les jeunes gens peuvent se marier.
Histoire
rocambolesque, invraisemblable. Avec un tel scénario, Molière faisait des
comédies et madame
Duval-Thibault (1862-1958), du gros mélo. Ce qu’il y a de
plus intéressant dans ce livre, outre le fait qu’il ait été publié à Fall
River, tout comme
Jeanne la fileuse d’Honoré Beaugrand, c’est le très
puritain avant-propos.
Pour aller plus loin :
Maurice Poteet, Une réédition : Les deux testaments
Avant-Propos
« Depuis quelque temps des productions françaises de bas étage, ne
se recommandant certes pas par la forme, encore moins par la morale, mais qui,
grâce à leurs prix modiques, gagnent peu à peu l'accès de toutes les classes de
la société, prennent une vogue de plus en plus alarmante.
Rien de vrai, de beau, de sain et de noble dans cette
littérature malsaine.
Les héros sont assez souvent de vulgaires malfaiteurs, qui entassent
crimes sur crimes, pendant le cours du récit, jusques (sic) au jour où, traqués
par des policiers à l’intelligence surhumaine, ils terminent leur ignoble
carrière sur l’échafaud avec un cynisme révoltant qui n’a rien d’édifiant pour
le lecteur.
Quant aux héroïnes, elles sont pour la plupart des femmes de
mauvaise vie, dont l’auteur détaille les faits et gestes avec une précision
digne d’un meilleur usage. Les épouses les plus vertueuses ont ordinairement
une faute de jeunesse à se reprocher, et les jeunes filles honnêtes sont d'une fadeur
et d’une bêtise extrême, sans doute pour mieux contraster avec les courtisanes
qui sont toujours représentées comme des modèles de grâce et d'esprit
irrésistible.
Cette littérature immonde ne peut que démoraliser et abrutir l'esprit
de ses lecteurs.
Et, pourtant, on admet ces romans-feuilletons au sein de
familles honnêtes et pieuses.
Il ne manque pas de propagateurs enthousiastes de cette
littérature pernicieuse.
Il y a peu d'années encore, la classe illettrée prêtait une
signification tout à fait scabreuse au mot roman. Aujourd'hui ces préjugés ont
presque entièrement disparu, mais hélas! on est tombé de Charybde en Sylla.
Un bon moyen de combattre l'influence de ces romans serait peut-être
d’offrir, à leur place, des productions canadiennes se rattachant à nos mœurs,
à notre histoire et qui, si elles ne sont pas toujours des chefs-d’œuvre, ne
contiennent néanmoins rien de préjudiciable à la morale, ou n’excluent pas
totalement l'idée de Dieu.
Faisons aimer davantage à la génération qui croît — génération
plus ou moins exposée à l’absorption de la race anglo-saxonne — les traditions
et les coutumes de nos pères.
Mme Duval-Thibault
Fall River, Mass, E. U. Déc. 1888. »