Jacques Ferron, Le Licou, Éditions d'Orphée, 1958, 103 p. (3e édition) (1re éd. : La Barbe de François Hertel, suivi de : Le Licou, Éditions d'Orphée, 1952?, 40 p.) (2e éd. : La Barbe de Francois Hertel ; Le Licou, Éditions d'Orphée, 1956, 110 p.)
La pièce a été présentée
le 24 juin 1958, au Studio d'Essai du Théâtre-Club, à Montréal, par la
Troupe de l'Errant canadien dans une mise en scène de Marcel Sabourin. Selon Jean -Marcel Paquette, Le licou serait la toute première pièce
de Ferron (cité dans Le
fils du notaire).
Dans son immense appartement, Dorante
attend Camille, une danseuse de cirque qu’il a invitée chez lui. Il craint
qu’elle ne vienne pas. Son valet Grégoire l’encourage du mieux qu’il peut. La
belle finit par se présenter et s’ensuit un dialogue assez éclaté. Dorante se
comporte comme un amoureux transi alors que son valet Grégoire garde les deux
pieds bien sur terre. Il a vite conclu que Camille est une
« coquette ». Son amoureux précédent s’est suicidé et Dorante est
bien prêt à en faire autant si c’est ce qu’elle exige comme preuve d’amour. Faisant
fi de l’admiration béate qu’il lui voue, tantôt elle essaie de l’attirer dans
ses bras, tantôt de le tenir à distance. « Tu voudrais t’arrêter à
mi-chemin entre l’homme et l’enfant : est-ce possible? Prends-moi dans tes
bras. » Ou encore : « Bois donc, nigaud, tes scrupules finiront
par me gâter mon aventure. » Qui est-elle cette Camille? Une « petite
fille effarée », une femme qui n’a « goût que pour les hommes qui
vont mourir », la revanche du bas-peuple écrasé par des seigneurs Dorante
depuis toujours, une sorcière? La belle finit par partir et Dorante se retrouve
seul. Au terme d’un long monologue, Dorante décide de se pendre :
DORANTE
On dit encore que la mort est une
aventure dont on pense toujours se tirer sans blessure et que l'on tenterait
pour vivre avec danger. (Il examine le câble.) Le danger est indubitable. Avec
cette corde autour du cou, la mort devrait me trouver à son goût. Elle aura une
fameuse prise pour me tirer selon sa guise. Elle tire et hop ! l'ascension,
finie la passion : tu lui passes par-dessus l'épaule et tu peux voir enfin ce
qu'elle a dans le dos. Qu'est-ce qu'elle a dans le dos ? Un sac, sans doute; le
sac où elle met les chats et les chiens écrasés du canton. C'est dans ce sac
qu'elle te met, c'est dans ce sac qu'elle t'emporte. Qu'elle t'emporte où ?
Voilà la grande affaire et l'inconnu de l'aventure. Pourvu qu'elle ne t'emporte
pas trop loin : Camille doit venir te rejoindre. Il ne faut pas lui compliquer
la tâche. Elle viendra, elle viendra. En dansant, par le prestige et la magie
d'un geste, elle touchera de sa main le voile qui sépare la vie de la mort.
Pourvu qu'elle l'écarté suffisamment, ce voile, O Dorante, pour t'apercevoir
dans le sac. Autrement, si elle opère à l'aveuglette, ce sera le premier chat
mort venu qu'elle sortira par la queue, piteux triomphe pour son art et pour
son amour ! Mon Dieu ! que l'avenir est cocasse dans un moment pareil. On a
décidément surfait la réputation tragique du trépas. Je commence à prévoir que
le mien sera drôle, et pourtant je meurs pour un grand amour. J'ai voulu le
garder pur de toutes ces choses impudiques où il mène ordinairement. J'ai
préféré la mort, et voilà que celle-ci n'est guère plus décente.
Camille, ayant pressenti son
geste, est revenue sur ses pas et tance Grégoire de le dépendre au plus vite.
Avant de s’exécuter, celui-ci lui fait la leçon : « La sorcellerie
n’existe pas, je le sais bien, mais le prétexte est trop bon pour que je le
dise, puisqu’il permet à la société de se débarrasser des filles de rien qui se
mêlent, comme il t’est advenu trop souvent déjà, de troubler les garçons de bonne
famille. » La pièce se conclut par une parodie d’Adam et Ève au paradis
terrestre.
CAMILLE
Le fruit que tu goûtais était encore vert. Laisse-le
mûrir dans la chaleur de mon sein.
Tu es mon amant, tu n'es que mon amant. Et si la mort t'a
touché de son doigt, c'est pour qu'il ne reste de vie sur terre que la tienne
et la mienne.
DORANTE
Pour que nous soyons seuls au Paradis.
CAMILLE
La fleur que je t'offrirai, sera nouvelle et savoureuse.
DORANTE
Ne craignez-vous pas, Camille, le serpent qui hante le
jardin ?
CAMILLE
Le serpent, qui se durcit et se tend vers la fleur pour
en goûter l'intimité et la saveur, n'a rien de venimeux, mon bel amant. A peine
laisse-t-il un peu de lait sur son passage, un lait candide et profitable où la
fleur trouve une nourriture et l'espérance de son fruit.
DORANTE
Ce serpent me gênait; j'y voyais le doigt de Satan.
CAMILLE
Le diable serait trop heureux d'en faire son pouce, mon
bel amant, pour l'avoir toujours à la bouche.
DORANTE
Camille, il me semblait que vous vouliez ma mort;
pourquoi êtes-vous revenue et l'avez-vous empêchée ?
CAMILLE
On s'éveille à l'amour en devenant mortel. J'ai voulu que
tu meures parce que je voulais que tu m'aimes.
En conclusion, Camille exige qu’il
vienne vivre avec elle. On devrait lui trouver un rôle dans le cirque. Dorante
ayant toujours sa corde de pendu au cou, elle s’en saisit et le tire, comme
on le ferait avec un veau.
Encore une fois : des
emprunts à la comédie classique, ce langage d’un autre âge, un propos souvent
sacrifié au profit de la fantaisie verbale, des personnages déjantés, ce
mélange de préciosité et de vulgarité. Mais c’est du Ferron! À prendre ou à
laisser.
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