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10 janvier 2020

Le destin des hommes

Albert Laberge, Le destin des hommes,  Montréal, Chez l’auteur, 1950, 273 pages.

Le recueil contient 13 nouvelles du plus pur style de l’auteur.

Le destin des hommes
Le vieux Gédéon Quarante-Sous décide, avant de mourir, de revoir la paroisse où il a grandi. Il découvre que toutes ses « anciennes connaissances » sont mortes ou vivent une vieillesse accablée de maladies. Presque tous ont été trahis par leurs enfants, plusieurs ont mangé le bien paternel, bref ils ont et ont eu une vie de misère. « Le bonheur c’est, lorsqu’on est fatigué, une brève halte sous de grands ormes ombreux, mais le sol est couvert de larges bouses de vaches ; c’est, lorsqu’on a soif, un gobelet d’eau fraîche et limpide, mais à la surface du puits, flotte le corps enflé d’un chien noyé. »

La femme au chapeau rouge
Trois pauvresses misent sur des courses de chevaux. Elles s’associent à une riche inconnue, qui  semble avoir de bons « tuyaux », et elles misent tout leur avoir sur un cheval qui gagne. L’inconnue, chargée de récupérer l’argent, file à l’anglaise. 

Urgel Pourraux, homme fort
Urgel quitte la ferme familiale pour aller vivre en ville. Doué d’une force herculéenne, il lui semble que la ville lui permettra de mettre en valeur son don. Il végète jusqu’à ce qu’un cirque l’engage. Les années passent, sa force s’émousse. Sa fin de vie est miséreuse.

La pipe
Un homme, plein de principes, regrette de ne pas avoir conservé une magnifique pipe de plâtre trouvée dans un tram, « comme si elle eût été l’image de toutes les chances gaspillées, de toutes les occasions ratées, de toutes les joies manquées, dans une déplorable débâcle de tous les principes de sa jeunesse ».

Le poulailler  
Lucienne Lepeau s’est promise qu’elle ne mènerait pas la vie de sa grand-mère, de sa mère et de ses sœurs. Elle rencontre deux jeunes hommes en mesure de la sortir de la pauvreté. À chaque fois, ils lui font faux bond. Par dépit elle épouse, sans amour, le premier qui le lui demande. Pour comble de malheur, elle doit vivre dans un poulailler qu’on a transformé en appartement.

Le retour du soldat 
« À l’âge de vingt-six ans, Jules Dupuis était devenu soldat. » Après trois ans sans égratignures, il perd ses deux jambes.  À son retour,  il tue sa femme, lorsqu’elle lui fait des reproches.

Première messe  
Jean Lebau est un enfant brillant. Le curé décide de payer ses études. Il n’est pas déçu, car il devient prêtre. Pendant sa première messe, un servant met le feu par maladresse et 117 fidèles en plus de Jean périssent dans l’église.

Une lampe s’est éteinte 
Deux vieux, déménagés au village, se retrouvent seuls quand leur fils meurt à la guerre et que leur fille, rentrée chez les religieuses, meurt d’épuisement en soignant des malades en Louisiane. 

Le journal  
M. et Mme Lemay n’ont pas d’enfants et sont très heureux. Leur vie change quand ils héritent de trois neveux devenus orphelins. Mme Lemay, tout à son rôle de mère, se néglige, néglige son mari qui prend une maîtresse. Ne pouvant le supporter, elle se suicide. 

Le colosse  
Isidore Lafleur veut faire du colosse Victor Brisebois un boxeur champion du monde. Son rêve s’effondre quand il est sur le point de se réaliser. 

Jeux du destin  
Lors d’une visite en Angleterre, Philémon Massé est happé par une voiture. Il tombe amoureux de l’infirmière qui le soigne. De retour au pays, il lui écrit, désirant l’épouser. Un concours de circonstances fait que sa lettre se perd. Il épouse une femme qu’il connaît peu et mène une vie malheureuse.

Magasin de modes  
Une femme riche, extravagante, perd tout et meurt, seule. Récit mélodramatique pas très bien conçu.

Les deux amis  
La veuve Leclaire épouse Cyrille Latour, un vieux garçon avec lequel elle croit pouvoir mener la « grosse » vie. Elle déchante vite : il est pingre, il se ruine petit à petit à coups de mauvaises affaires et il aime mieux ses chiens que sa femme. Elle doit donc trimer dur. La vie passe. Quand Latour apprend la mort de son dernier chien, il se suicide.


J’ai lu beaucoup de nouvelles de Laberge. Mon horizon d’attente est assez clair : après avoir entrevu le bonheur, les personnages vont voguer de malheur en malheur jusqu’à la  fin. Pourtant, devant chaque nouvelle, on est là à espérer que ce schéma sera brisé, qu’un personnage réussira au moins une sortie décente. Pas un « happy end », on n’en demande pas tant! Juste une sortie dans laquelle pointent quelques espoirs. 

Inutile de rêver, cela n’est pas dans les gènes d’auteur de Laberge. À quelques occasions, la solution est là, à la portée de la main, mais le personnage, par habitude du malheur, ne la saisit pas. Il n’y croit plus et préfère ne pas ajouter une autre déconvenue dans sa mer de déceptions. Je pense à cette femme qui se propose de faire éditer les lettres de sa fille religieuse et qui y renonce pour quelques dollars (Une lampe s’est éteinte) ou à cet homme qui retrouve une amoureuse qu’il a toujours regrettée et qui préfère s’en éloigner en invoquant le fait qu’on ne peut pas refaire sa vie. « À son âge, il lui fallait réfléchir et écouter les conseils de la raison. Avec une étonnante lucidité, il réalisait à ce moment que toute sa vie avait été marquée par les désappointements. Non, il ne pouvait tenter aujourd’hui une nouvelle expérience qui serait peut-être plus cruelle que les précédentes. Mieux valait partir, s’éloigner, tenter d’oublier le passé. » (Jeux du destin).

Souvent Laberge procède par accumulation comme c’est le cas dans la première nouvelle. Il sent le besoin de sur-multiplier l’énoncé des malheurs, ce qui est lourd et inutile et ça finit par ressembler à du récit à thèse. Quand il évite ce travers, Laberge est un bon conteur : mise en contexte et apparition rapides du nœud de l’histoire, tension maintenue jusqu’au dénouement.

Albert Laberge sur Laurentiana

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