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21 juin 2019

Les voix champêtres

Hector Demers, Les voix champêtres, Montréal, Beauchemin, 1912, 102 pages.

Poésie très surprenante que celle d’Hector Demers, publiée en 1912, alors qu’il avait 44 ans (1878-1921) et qu’il trônait à la présidence de l’École littéraire de Montréal. L’écriture est on ne peut plus simple, de même que le sujet : il raconte ses vacances d’été à la campagne alors qu’il était enfant. Le ton n’est pas vraiment nostalgique, tout au plus on pourrait parler d’attendrissement. Nulle grande effusion lyrique, ni prouesses métaphoriques, une poésie presque descriptive qui va heurter les critiques de son époque, pour qui ce style ne convient qu’à la prose. 

Sa famille prend donc un vapeur pour se diriger dans un lieu qui n’est pas nommé, mais qui est près du fleuve. « La cloche du départ ... Il vient encor du monde. / Les aubes, avec bruit, couvrent d'écume l'eau : / Docile au gouvernail, voici que le bateau / Tourne et laisse le quai que le soleil inonde. » Demers décrit la maison-chalet, consacre des poèmes aux arbres, aux insectes, aux oiseaux, aux fleurs (« Nous étions pleins de ciel, de verdure et d'oiseaux. »), raconte son plaisir de pêcher, sa crainte quand vient l’orage. Il termine son recueil par quelques réflexions sur le temps qui passe, sur la difficulté de vieillir, sur les déconvenues de toute existence, sur l’importance des parents dans la vie d’un enfant, sans oublier un poème pour sa femme : « Le lilas le plus tendre est celui de tes yeux. » 

Hector Demers, comme Nelligan, souffrait de schizophrénie. (Lire : Jean Charbonneau, L'École littéraire de Montréal : ses origines, ses animateurs, ses influences, p. 179-182). On comprend mieux le thème des Voix champêtres à la lumière de ce drame : Demers aime se rappeler cette enfance heureuse, lui dont le présent est très difficile (lire le poème en extrait).

Critiques
« Et  il  est  dangereux pour  un   poète   de   côtoyer  la  prose:  il  y  tombe,   et  il  s'y  enfonce,   parfois   sans   s'en   rendre   assez  compte. (Camillle Roy, Érables en fleurs, p. 85-86)

« Mais nulle part n’éclate le sens de la nature. M. Demers a regardé, il n’a pas su voir. »  Adjutor Rivard, Bulletin du parler français, 1912).

«  Le  17 février (1899), l'École  admit  Hector  Demers,  jeune  homme excellemment    doué,   d'une   sensibilité   exquise,   d'un    style poétique  déjà  ferme,  mais  qui  devait,  victime  d'une   destinée tragique  et  après  une  lutte  pitoyable,  sombrer  dans  le  même abîme qu'Émile Nelligan. […]  Un  seul  volume,  Les  Voix  champêtres,  nous  reste  pour attester  les  dons  d'Hector  Demers  et  nous  faire  pleurer  son naufrage. » (Louis Dantin, Essais critiques, p. 376)

LE RETOUR
Ô nature éternelle, ô nature bénie,
Ô jeunesse toujours de nouveau rayonnant,
Je viens la demander à ta sève infinie,
La jeunesse du cœur qui me fuit maintenant

Oui, je viens la puiser au bord des sources claires,
Je viens la respirer au sein de ton air pur,
La chercher dans la paix des forêts séculaires,
Et la boire à pleins yeux en buvant ton azur.

Ali ! que tes souffles frais glissent sur mes paupières
Laisse-moi me plonger tout le front dans tes eaux,
Refais ma volonté ferme comme tes pierres
Lorsque mon âme plie ainsi que tes roseaux.

À ton fils dont la force entière est en déroute,
Accorde, sans tarder, le secours de ta main.
Enseigne-lui comment Ton termine sa route.
Toi, qui toujours poursuis un inconnu chemin.

Rends-lui l'illusion sainte qui nous fait vivre,
Et l'amour de l'amour, de la gloire, du beau,
Tout ce mirage dont la Jeunesse s'enivre,
Sans lequel on est plus mort que dans son tombeau.

Certes, tu peux parler, je saurai te comprendre
Ton verbe mystique est intelligible encor
À celui qui naguère apprit seul à l'entendre,
Je n'ai pas oublié l'alphabet des blés d'or.

Ô nature! ô nature! en vain sur moi je pleure.
Vers toi, je crie en vain, sans cesse tu souris,
Hélas ! t'importe-t-il qu'un de tes enfants meure !
Car, si je te comprends, tu ne m'as pas compris.

Non, tu n'as pas eu toi la grandeur qu'on te prête,
Ton murmure n'est rien qu'un bruit vide et charmant,
Et si chaque printemps revient comme une fête,
Tu dois cette jeunesse à ton aveuglement.

Nos seules rides sont celles de nos souffrances.
Et c'est par le malheur que l'on est vraiment vieux:
Nous voyons les motifs de nos désespérances,
Toi, nul regard vivant n'habite dans tes yeux.

Voyageur prosterné, dès lors, je me relève !
Je reprends mon bâton, je reprends ma fierté,
Et je pars, aimant mieux, sans le bandeau du rêve.
L'orgueil de ma douleur que toute ta gaîté.

Montréal, 1906.

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