Le
court livre de Constantin-Weyer contient deux récits historiques qui mettent en
scène la guerre entre les Anglais et les Français, dans la première moitié du XVIIIe
siècle. Dans Du sang sur la neige, le marquis de Vaudreuil demande au
seigneur de Rouville de mener une expédition punitive contre la petite ville de
Deerfield (récit raconté de façon beaucoup plus romancée par Oscar Massé dans Mena’sen). Le
motif : il semble que les Anglais encouragent les Autochtones, qui leur sont
alliés, à mener des raids meurtriers
contre des villages de la Nouvelle-France.
Dans
Grand-Pré, 300 Français et Autochtones, dirigés pas Coulon de Villiers mènent un raid contre les positions des
Anglais à Grand-Pré, tout près de Louisbourg (les Anglais s’en sont emparé en 1745).
Le motif : affaiblir la position ennemie pour éventuellement reprendre
Louisbourg.
Ce
sont vraiment des récits historiques, à peine rehaussés par la fiction. C’est
précis, un peu froid même.
Ce
qui est étonnant en lisant ces récits de guerre, édulcorés tout compte fait,
c’est le peu de cas qu’on fait de la vie humaine. On devine l’horreur, mais on
la décrit sans la montrer, sans la faire sentir. Pour employer un terme de cinéma,
on s’en tient au plan d’ensemble.
Pour
gagner l’admiration du lecteur, il faut bien humaniser un peu les héros. C’est
le prix à payer pour légitimer des tueries sans motifs vraiment valables. Dans Du
sang sur la neige, certaines victimes sont des enfants, des vieillards impotents.
Rouville, lui-même sévèrement blessé, éprouve une certaine compassion pour les
captifs qu’il ramène, mais pas assez pour abandonner à ses poursuivants une
vieille femme qui n’arrive plus à suivre. Dans Grand-Pré, après
s’être-entretués, les Anglais hissent le drapeau blanc et ce qu’il reste d’officiers
anglais et français partagent un repas! C’est ce que l’auteur appelle le sens
de l’honneur… De quoi inspirer à Voltaire son Candide…
Extrait
Une
cinquantaine des hommes de Rouville, blancs et peaux- rouges, étaient déjà dans
le village.
Les
carabines françaises, les haches indiennes arrachèrent des étincelles à la
faible lueur des étoiles.
Ou... ou... ou... i... i... ipe!... Le sinistre cri de guerre des Abénaquis
s'éleva, s'enfla, retomba sur le village, lourd de toutes les terreurs. Aussitôt,
par petits groupes, les assaillants se ruèrent contre les maisons.
Le
bruit des haches qui sapaient les portes, quelques coups de feu, les hurlements
sauvages des Indiens, les jurons anglais et français, les cris de détresse des
femmes et des enfants crevèrent la nuit. Chaque porte arrachée découpait dans
l'ombre un rectangle de lumière. Des éclairs jaillirent.
Aux
côtés du chef abénaqui (sic), Hertel de Rouville se rua à la maison de Williams, le
ministre protestant. Il importait avant tout de le prendre. La pesante épaule
du Canadien fit voler la porte de ses gonds. Le pasteur apparut, à demi vêtu,
un pistolet dans chaque main. Sa première balle frappa Hertel de Rouville
au-dessous de la clavicule. La seconde manqua de peu le chef indien, et alla tuer
un des sauvages qui le suivaient. Déjà, malgré sa blessure, Rouville avait
saisi le ministre à bras-le-corps.
C'était
le choc de deux athlètes. Williams, moins grand, moins lourd que Rouville,
était néanmoins habile à tous les exercices du corps, et son agresseur était
affaibli par la blessure qu'il avait reçue. Tous deux roulèrent par terre, et
le combat aurait peut- être mal tourné pour Rouville, si le chef abénaqui
n'était parvenu à saisir un des bras du pasteur et à l'immobiliser. La minute
d'après, Hertel se relevait, soufflant et jurant, tandis que les sauvages
attachaient solidement les pieds du pasteur. On entendit alors un cri
déchirant. La femme du ministre, son nouveau-né dans les bras, se précipitait
dans la cuisine, où avait eu lieu le combat. Rouville donna l'ordre qu'on la
fît s'habiller ainsi que ses cinq enfants, et qu'on emmenât immédiatement toute
la famille en lieu sûr.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire