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10 mai 2019

La main de fer


Régis Roy, La main de fer, Montréal, Edouard Garand, 1931,  54 pages + La vie canadienne [Coll. Le roman canadien)

Commençons par les faits historiques. 1675 : Louis XIV vient de donner le fort Frontenac (aujourd’hui Kingston) à Cavelier de la Salle, à condition qu’il le rebâtisse en pierres, qu’il y entretienne vingt hommes pendant deux ans, etc., moyennant quoi il obtient le trafic des fourrures sur le lac Ontario jusqu’en 1678.

On le sait, Cavelier de la Salle ne se contentera pas de faire le commerce des fourrures sur les Grands Lacs. Son esprit aventureux le mènera toujours plus loin, construisant des forts et prenant possession de nouveaux territoires au nom du roi de France. Il atteindra le Michigan, l’Illinois et, beaucoup plus au sud, l’embouchure du Mississippi et le golfe du Mexique en 1682. (Ce sont Jolliet et Marquette qui furent les premiers Européens à atteindre le  Mississipi, mais ils n’étaient pas allés jusqu’au golfe du Mexique.)  

Dans ses découvertes, il est accompagné par Henri de Tonty, dont le récit de Roy retrace les origines. Il avait perdu une main dans une guerre en Europe et on l’avait remplacée par une main de fer, d’où son surnom « La main de fer ». C’est peut-être lui, tout compte fait, le héros de cette histoire. C’est du moins la thèse de Régis Roy qui souligne à de multiples reprises le caractère détestable de De la Salle (D’ailleurs, il sera assassiné par un de ses hommes). C’est Tonty qui rallie les hommes, transige avec les Autochtones, accomplit les missions les plus périlleuses.

Déjà l’entreprise de La Salle et Tonty génère une certaine intrigue : la pénétration au cœur de l’Amérique est semée d’embûches. Roy insiste surtout sur les rencontres avec les tribus autochtones qui ne se passent pas toujours très bien. Plus encore, l’ennemi juré des Français, l’Iroquois, n’est jamais bien loin. Comme si cela n’était pas suffisant, Régis Roy a ajouté deux personnages qui se sont juré d’avoir la tête de nos deux héros, pour des raisons qu’il serait trop long à expliquer. Ces deux Européens vont poursuivre La Salle et Tonty, de Paris jusqu’au Mississippi, prenant même la tête de groupes iroquois pour accomplir leur vengeance. Bien entendu, tout cela ne tient pas la route et de beaucoup s’en faut. On les retrouvera, morts, après un affrontement avec les Français. 

Que penser de ce roman ? La partie historique aurait pu être très intéressante, mais Roy n’a pas réussi à la présenter de façon claire. Le récit n’est pas tout à fait linéaire et le lecteur se perd dans le temps et dans les circonvolutions des personnages. Où sommes-nous, en quelle année ?

L’intérêt humain est pour ainsi dire absent. On ne s’approche jamais de De la Salle et De Tonty, de leurs motivations profondes, de leur étonnement devant ce nouveau monde qu’ils sont les premiers à explorer. Et les Autochtones, sauf dans l’extrait ci-dessous, sont pour ainsi dire interchangeables. Bref, La main de fer n’est pas un très bon roman.


Extrait
Ces villages ainsi qu’un quatrième appelé Osotouoy, sont désignés communément : les Arkansas. De la Salle y fit arborer les armes du roi. Le procès-verbal de la prise du pays des Arkansas est du 14 mars. Ces aborigènes ont des cabanes d’écorce de cèdre. Ils adorent toutes sortes d’animaux.
Les Français trouvèrent le pays fort beau ; une grande variété de fruits y viennent en abondance. Le bœuf musqué, le cerf, l’ours, le chevreuil et les poules d’Inde y sont en quantité. Les sauvages y ont même des poules domestiques. L’hiver est plus agréable qu’au Nord, car il tombe bien peu de neige, et une pellicule cristalline dans cette morte saison couvre les cours d’eau.
De la Salle obtint des Arkansas des guides pour le conduire chez leurs alliés, les Taensas. Tonty fut délégué pour avertir le premier dignitaire que des visages-pâles le venaient voir. Le fort palissadé des Toensas est placé sur le bord d’un petit lac, à dix arpents dans les terres. Les cabanes sont faites de bousillage et couvertes de nattes de cannes. Celle du chef suprême, d’après les calculs de Tonty, mesurait quarante pieds carrés ; la muraille environ dix pieds de haut et épaisse d’un pied. Le toit, en rotonde, avait une élévation de quinze pieds du sol.
Tonty, en y entrant, demeura surpris de voir le chef assis sur un lit de camp, avec trois de ses femmes à ses côtés, environné de plus de soixante vieillards, revêtus de grandes couvertes blanches, fabriquées d’écorce de mûrier par les doigts habiles des femmes. Ces dernières ont un vêtement semblable et, chaque fois que le chef leur parle, avant de lui répondre toutes font plusieurs hurlements en criant une couple de fois : Oh ! oh ! oh !… pour marquer le respect qu’elles lui portent.
Ce personnage était aussi considéré parmi les Taensas que Louis XIV au sein de ses adulateurs. Personne ne buvait dans sa tasse ni ne mangeait des mets préparés pour lui. Il était défendu de passer devant lui, et l’on nettoyait la place sur son passage. Lorsque le chef suprême s’en allait ad patres, on sacrifiait sa première femme, son premier maître d’hôtel et cent hommes de sa tribu pour l’accompagner dans les champs élysées de ces peuplades.
Les Taensas adoraient le soleil.
Tonty visita leur temple, construction du genre de la case du chef et lui faisant vis-à-vis. Il y avait dessus trois aigles empaillés, plantés la tête vers l’Orient. Une haute muraille entourait le temple. Sur cette ceinture murale flottaient au bout de piques, au caprice de la brise, les têtes de leurs ennemis sacrifiés au Soleil. (p. 45)

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