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2 mars 2018

Au catalogue de solitudes

Françoise Bujold, Au catalogue de solitudes,  Montréal, Erta, 1956,  29 p. (Collection de la tête armée no 5) (Trois gravures de l'auteure)

Le recueil de Françoise Bujold (1933-1981) compte vingt poèmes. Certains titres méritent d’être signalés : « Bravo pour le sage », « Les santés se suicident », « C'était donc ça la sainteté... », «  J’ai tué l’incohérence ».  En exergue, elle cite un passage des Proverbes, dans l’Ancien testament : « C’est ôter son manteau par temps froid / C’est verser du vinaigre sur une plaie / Que de chanter un air à un cœur affligé. » Ironie, persiflage, affliction : on a déjà une idée de l’état d’âme du poète et de sa réaction face aux problèmes qui l’affligent.

Dans le premier poème, le sujet apparaît comme un être brimé, contrecarré dans ses projets : « J’ai voulu témoigner ma présence aux premiers gestes de la terre / Ils ont fermé sur moi une porte de pierre / Ils ont inventé des chansons pour enterrer ma confession /  La cruauté d’une main d’homme sur ma bouche / A tué la vision ». On reviendra sur le  « ils », mais on peut penser que c’est davantage l’artiste que la femme qui est brimé : « Donnez-moi une journée sans nuit / Je vous promets de la beauté et de la musique / Je vous promets des crayons usés et des feuilles écrites ». Le sujet admet qu’elle n’a pas toujours joué franc jeu et il est bien difficile de dire si elle y a été forcée  : « J’ai divorcé la vérité / J’ai joué le feu comédie ». Plus loin dans le recueil, on a l’impression que la problématique se déplace, des aspirations artistiques vers le désir amoureux. Il y a encore ces « ils » trompeurs, mais la poète admet non sans bravade qu’elle joue le même jeu : «  Je joue généreuse / Mais je ne le suis pas / Ton apprivoisement  /  Souviens-toi  / Ta mort au désert me sera dite ». Au final, l’amour n’est qu’un jeu de dupes, hommes et femmes, tout le monde ment : « Et les hommes avertis / Jouent l'amour-comédie / Vous mentez! /  Vous mentez ! / Vous mentez! ». Et cela encore, à propos des hommes : « Car les hommes sont toujours assez mal préparés à l’amour. »

Plus loin encore dans le recueil, la problématique semble déborder la relation homme-femme. On retrouve quelques personnages symboliques dont certaines figures féminines  - la « mer » et la grande « dame blanche » - qui semblent des figures d’autorité, aussi castratrices  que les figures masculines. Ainsi dans le poème  « Pourquoi nous avoir profanés » : « Mais la mer / Grande et cruelle femme drapée de noir / nous a déshabillés / Nous a profanés ». Face à ces figues fortes se dresse la « fille-sève ». Dans les poèmes « Veille », « Histoire de bonheur » et même « Les nuits hymen », on pourrait penser qu’il s’agit d’une relation mère-fille, et la « fille-sève » constate que la « dame blanche », qui veut lui en imposer, n’est pas heureuse, donc n’a rien à lui apprendre.

Bref, à défaut d’interprétations précises, on peut dire sans risque de se tromper que Bujold décrit un monde cruel, dans lequel les êtres sont en lutte les uns contre les autres, chacun essayant de profiter de l’autre, les plus forts écrasant les plus faibles, les plus faibles piégeant ceux qui se croient les plus forts.  Le dernier poème semble pointer une voie de survie, celle de la fuite :

Elle est partie,
Toute belle
Ses manies violettes
Ses valises aux dentelles
Ses mains faites
De maquettes nouvelles
Schémas de clefs aux cœurs entr'ouverts
Une barrière d’évasion
Pour les désirs prisons
Elle a fondé les filles-cœur
Qui chantent l'amour et font le beurre
En échange d'épées aux sentinelles distraites
Elle a glissé un dieu de miel
Et la tête à l’envers
Un prisonnier l'a couronnée
Si elle était restée
La terre aurait encore le cœur vert
Et les doigts verrouillés
Si elle était restée
Des galeries en rouille
Germeraient encore
Les batailles-brouille
Elle est partie
Toute belle.

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