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14 avril 2017

L’enjôleuse

Marie-Anne Perreault (madame Elphège Croff), L’enjôleuse, Montréal, Édouard-Garand, 1928, 58 pages + Supplément de 13 pages (Illustrations d’Albert Fournier) (coll. Le roman canadien no 45)

Dans un rang de Saint-Paulin. Marielle et Marc sont fiancés. Comme Marc n’a pas un sou qui l’adore, il décide d’aller en ville pour gagner quelque argent avant d’épouser Marielle. À Québec, il retrouve Cécile, une amie de Marielle, l’enjôleuse du titre, qui vit chez sa tante et travaille dans la mode. Marc s’entiche de la ville et demande à Marielle de le rejoindre et de l’épouser. Le père de celle-ci refuse. Il veut qu’elle continue d’aider sa mère en attendant d’épouser un paysan.  Arrive ce qui devait arriver, Marc épouse Cécile.

Trois années ont passé. Les événements se bousculent. Cécile, insatisfaite de l’humble vie qu’il lui offrait, a quitté mari et enfant pour retourner au monde de la mode montréalais. Marc passe à la sauvette chez ses parents pour leur confier la garde de l'enfant. Puisque son frère aîné est marié et qu’il est héritier de la ferme, Marielle, toujours célibataire, s’est trouvé un emploi auprès d’une famille qui vit tout près. Le retour définitif de Marc ranime en elle des sentiments qu’elle croyait éteints. Coup de théâtre, Cécile revient, elle aussi, chez sa mère… mais pour y mourir. La voie étant libre, Marielle et Marc vont pouvoir se marier.

Pour l’essentiel, c’est un roman sentimental, avec son triangle amoureux et le triomphe de l’amour « vrai » à la tout fin. Mais ce roman sentimental repose sur un des motifs omniprésents dans le roman du terroir : l’opposition entre la ville et la campagne. Sans noircir à l’excès la ville pour mieux embellir la campagne, Croff, par le biais de ses personnages, fait quand même le choix de la campagne.  La vie à la ville est moins dure, plus brillante, moins monotone, mais futile. Elle jette de la poudre aux yeux, et cela ne peut pas durer : « Marc voyait maintenant que pour avoir préféré la ville à la campagne, il avait perdu son bonheur, la tranquillité de sa vie et fait le désespoir de sa petite amie d’enfance. Les remords remplissaient son cœur et un désir impérieux de revoir les siens le hantait sans cesse. » La vie à la campagne est difficile, mais c’est la continuité d’un passé qui nous rattache aux nôtres : « On ne rompt pas impunément avec tout un passé de saines traditions et ceux qui piétinent sur place en désirant de toutes leurs forces « vivre leur vie » en désertant le devoir, se trompent étrangement. » 


Ce qui me surprend toujours chez Croff, c’est l’omnipotence des pères et l’effacement des mères. Encore ici, c’est l’éducation molle de sa mère qui a mené l’enjôleuse Cécile à tant de frivolités : « ma mère a été la première, elle n’a pas su m’élever et faire de moi un caractère maniable et bon ».

Le roman est divisé en deux parties et la première nous parvient du point de vue de Marielle, jeune paysanne très conservatrice. Tout de même, mue par un sentiment amoureux très fort, elle finit par remettre en question l’autorité du père qui l’empêche d’épouser son amoureux, sans franchir le pas qui en aurait fait une révoltée. Et surtout, elle finit par questionner la justice au sein de la famille, elle qui en sera chassée le jour où une bru rentrera dans la famille  :  « Marielle était en pleine révolte, la pieuse Marielle boudait le Bon Dieu, elle boudait la Ste-Vierge qu’elle avait tant priée pendant sa neuvaine, elle boudait aussi et surtout son père. Pourquoi ne voulait-il pas lui permettre de s’éloigner un peu et de prendre l’air de la ville ? Elle se voyait transformée en petite citadine, vêtue comme une demoiselle et se promenant au bras de Marc... quels petits soupers ils auraient pu se procurer tous les deux ! et l'ouvrage qu’elle aurait fait à l’atelier au lieu du travail dur qu’elle accomplissait sur les fermes... pour les garçons, se disait-elle. »

Comme plusieurs romans du terroir, Croff agrémente son récit de certaines légendes, de coutumes, de pratiques agricoles… Ainsi nous avons droit au battage de l’avoine, au foulage de l’étoffe, aux « burlesqueries » du mardi-gras, à une histoire de loup-garou, à un mariage à la campagne… Nous trouvons aussi quelques vieilles expressions qui me semblent désuètes : « les vieux tablaient le verre en main, prenant le petit coup d’appétit  »; « il fait beau mais ce n’est pas pour longtemps, il y avait trop de marionnettes hier soir... »;  « pour lui donner du «  bras » Philippe lui passait « un petit coup » de temps en temps ».

Edouard Garand n'était pas l'éditeur le plus rigoureux. Ainsi dans ce roman, le père de Marielle s'appelle souvent Baptiste et parfois Jacques. Pas facile à suivre...


Marie-Anne Perreault sur Laurentiana

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