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26 février 2016

Plus qu’elle-même

Bédard Luc & J.-Albert Foisy, Plus qu’elle-même, Québec, s.e., 1921, 244 pages. (En appendice, p. 223-244 : La question ontarienne; quelques documents)

L’action commence en 1917 à Fall-River, Massachussetts. Wallace Reed, un jeune industriel, avant de partir à la guerre, demande en mariage Marie-Claire Lemay, sa secrétaire. Il est protestant, elle est catholique. Pendant que son futur mari joue au héros en Europe, Marie-Claire, pour s’occuper, trouve un poste d’enseignante chez les Sœurs. Celles-ci déplorent son projet de mariage avec un Anglais. Elles font tant et tant vibrer sa corde nationaliste que  la jeune fille accepte un poste de professeur de français en Ontario. L’Association canadienne-française d’éducation cherche des professeurs bilingues pour contrer le règlement 17. Sa famille, en partie anglicisée,  n’est pas contente de son projet. Son père, sûr qu’elle reviendra bientôt, consent à son départ. 

Après un pèlerinage à Québec et à Montréal, elle débarque à Ottawa. L’Association canadienne-française lui propose un poste d’institutrice dans une nouvelle paroisse majoritairement francophone du nom de Bue-Hill (!). Tout va bien jusqu’à ce qu’un inspecteur lui rende visite : il l’intime de respecter le règlement 17, soit de donner son enseignement seulement en anglais. On menace de la destituer. La population et la jeune femme résistent mais c’est surtout L’Association canadienne-française d’éducation qui mène la lutte sur le plan juridique. Finalement le règlement 17 est abrogé et l’école française de Blue-Hill peut reprendre une vie normale. Comme la guerre est finie, Wallace revient couronné de gloire. Il vient rencontrer sa fiancée à Blue-Hill. Celle-ci est partagée entre ses deux amours : Wallace et sa mission dans sa nouvelle communauté. Finalement, elle décide de rester et de continuer sa mission.

C’est un roman à thèse dans lequel on explique beaucoup mais on raconte peu. À part de l’héroïne, les personnages sont à peine esquissées. Il y a très peu d’interaction entre les deux personnages principaux qui, la plupart du temps, échangent des lettres. Par ailleurs, il semble plutôt incongru qu’il faille passer par le Massachusetts pour parler du problème des écoles françaises en Ontario.

On a oublié trop facilement toutes ces communautés hors Québec qui ont dû lutter pour leur survivance. Le roman nous fait vivre de l’intérieur le problème des écoles françaises en dehors du Québec. Il nous donne aussi un aperçu de la communauté canadienne-française de Fall-River : « Regarde Fall-River, pour ne prendre que cet exemple-là: les Canadiens-français qui y étaient jadis 10,000, y sont aujourd’hui 45,000. Ils y ont leurs paroisses florissantes, leurs communautés et leurs écoles prospères, leurs collèges, leurs sociétés d’hommes, de femmes et de jeunes gens, pleines de vie, d’élan et d’activité. Et partout il en est de même, les hommes politiques franco-américains se sont affirmés supérieurs dans la Nouvelle-Angleterre, les Pothier, les Dubuquc, les Archambeault sont réputés: dans la magistrature, ils se font remarquer aussi, et jusqu’à la cour supérieure. » (p. 106-107)

Le Canadien français exilé vit un problème identitaire, de façon encore plus aiguë pour ceux de la seconde génération, comme l’exprime le frère de l’héroïne : « —Nous ne sommes pas des Canadiens-Français. Nous sommes des Franco-Américains. Il y a aujourd’hui autant de différence entre nous et les habitants de Québec, qu’il y en a entre Québec et la France. Nous appartenons à la race américaine et la langue française dans notre nationalité n’est qu’un accident plus ou moins apparent. Tandis que les Canadiens sont les vassaux de l’Angleterre, nous sommes les citoyens libres d’un pays libre. Pendant qu’ils se débattent dans les entraves du “colonialisme”, nous jouissons des prérogatives de la souveraineté nationale. Notre avenir est ici, nos intérêts sont différents; il n’y a plus, pour nous rattacher au Canada, que des souvenirs pénibles. »  (p. 101)

Marie-Claire va lui rétorquer ceci : « Tu aurais raison, Francis, s’il s’agissait de la nationalité au sens légal, c’est-à-dire du pays dont le gouvernement nous administre, mais ce n’est pas cela que j’entends. Pour moi le mot patrie a un sens plus large et plus vrai. La Patrie, vois-tu, c’est la terre que l’on aime comme on aime une mère; c’est le pays en qui s’incarnent notre idéal et nos aspirations, celui où vit notre cœur parce que notre âme y a été formée par des générations qui nous ont précédé et qui ont légué le meilleur de la leur. Or, ce pays-là, pour nous, c’est le Canada, et c’est parce que nous portons en nous cette âme faite à l’image de celle de nos aïeux que nous formons, ici, comme un peuple à part, qui contribue, sans doute, à la vie nationale, qui en assume les charges comme il en retire les avantages, mais qui, malgré tout, est une race différente. »

Ce n’est pas un grand roman mais les amoureux de la « petite histoire » y trouveront leur compte.

Lire le roman sur Internet archive
Sur le Règlement 17 : Wikipedia

Sur J-Albert Foisy, voir le DOLQ.

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