Suzanne Paradis, Les Enfants
continuels, Québec, Chez l’auteure, 1959, 65 pages (Illustration de la
couverture : Claude Duchesne)
À l’orée des années 60, le
recueil de Suzanne Paradis est publié à compte d’auteur et on peut le
comprendre. On retrouve dans les 17 poèmes qu’il contient les éléments de la
versification classique : partout des quatrains, presque toujours des
alexandrins, des rimes, des césures… La
plupart des poèmes font autour de 15 quatrains.
Le recueil s’ouvre sur un poème dans lequel s’exprime le profond désir de vivre de ces
« enfants continuels », et qui traduit bien le ton du recueil :
« Passez, passez - passante - et ne laissez vos pas / dans ces sentiers
boueux éterniser leur trace, / mais passez donc, allez ! et ne vous penchez pas
/ avec autant de grâce... » La nature est partout présente, une nature
riche d’appels : « Sommeil léger d’automne, sangs et ors mêlés, / le
ciel guette la vie au fond de la nature, / je dors le temps enfoui dans la jupe
des blés / et sans rêve, et nouant ma constante aventure ». La mer, ou le
fleuve, sont aussi liés au thème du départ : « J’ai déplié la vague à
longueur de voyage / route de mer, de ciel et d’astre jaillissant / du plus
profond de mon sang, / et la voile a claqué au vent d’appareillage ». Et
cette quête de dépassement passe par la recherche amoureuse :
« nous occupons la mer de nos mille voilures, / nous reviendrons nous
reviendrons / le flot dansant de nos figures / et de nos avirons // cherchant
la rade douce aux mouvances heureuses. / Nous reviendrons en fin de jour / la
voix légère et l’âme creuse / faites ensemble pour la mer et pour
l’amour ». La parole tient du « défi » (titre d’un poème) :
« Vous répondrez au ciel du meilleur de la terre »; et de
l’orgueil : « Qu’importe où tu conduis ta barque sans retour / je
franchirai tes mers, insolente et tranquille, / les autres rentreront
tristement dans leur ville / leur cortège de joie et de douleur autour ».
Le recueil se termine par une « Invitation au silence » qui laisse un
peu perplexe : « C’est la fin des cerises, c’est la fin des pommes /
les hangars odorants rêvent de confitures »; ou ces deux vers qui closent
le recueil : « les rideaux sont tirés, la terre dort en mottes / je
ne puis plus rien dire, ah! Nous rentrons sous terre / silence mon
escorte. »
Je connais mal Suzanne Paradis.
Comme tout le monde je l’ai entendue lors de la Nuit de la poésie en 1970,
mais je n’ai lu aucune autre de ses nombreuses œuvres. Il est bien évident que Les enfants continuels n’est pas
parfait. C’est son premier recueil, elle est encore très jeune et il y a un
certain académisme (autant dans la forme que dans l’écriture) dont elle ne
s’est pas affranchie. Rien à redire sur le contenu, il est porteur de sens; par
contre, ici, tout l’attirail de la poésie classique sert très mal le recueil,
d’autant plus qu’il y a un souffle chez Paradis qui exige toutes les libertés.
Les Enfants Terribles
Nous partirons sans peur après avoir longtemps, / comme
poucet, semé de quoi nous reconnaître / sans besoin de nous dire d’adieux en
partant, / vifs comme des agneaux puisqu’on nous envoie paître;
ensemble mes enfants nous partirons lancés / à l’assaut
d’avenirs aux couleurs d’oriflammes, / et riant sans éclat
par nos jeunes passés / nous courrons la forêt comme une seule flamme.
Ah forêt frémissante de passions d’oiseaux / et des chaudes
amours des bêtes matinales, / le galop de nos pas le long des arbrisseaux /
dans vos flaques de sève et vos odeurs fatales
étreindra le silence où naissent vos ruisseaux.
Et pour nos pas chantants, le rêve inventera / le monde
entier qui bat des rouleuses planètes, / nous briserons autour à force de nos
bras / les rondes des brouillards où perdrions la tête;
aux rebours bleus des nuits, ô mes enfants punis, / nous
retrouverons claire l’aube solennelle / rien qu’en suivant les jours, sentiers
indéfinis, / d’où remontent nos yeux et nos forces charnelles.
Je vous aime d’amour, grands songes interdits / de terre
vaste faite d’autant de lumière / et votre règne enfin, ô mes enfants maudits, /
transforme jusqu’au cœur nos amours coutumières
et réveille aux artères des sangs engourdis.
Ensemble, ensemble et loin, hors des pays conquis / nos jeux
découvriront des directions profondes / et distribueront les biens pas encore
acquis / des villes que personne, ô mes enfants, ne fonde !
Ah nous n’habiterons nulle terre à jamais, / les cailloux
sont semés et poucet perd la trace / mes enfants, mes enfants, vous savez qui
j’aimais / et qui j’aime, partons, puisqu’en avons la grâce.
Chevauchons, le soleil étourdit l’horizon / et derrière
sommeille la grande aventure, / nous l’irons éveiller des cent folles raisons/ que sans cesse alentour de nous la vie rature
sur les pages du ciel que dictent les saisons.
Quand nous serons partis, mes enfants, mes enfants, / dans
le halo de joie et de liberté neuves / qu’autour de nous ont fait briller les
vents méchants / nous n’entendrons pleurer sœurs, suivantes, ni veuves;
dessus les blés en feu et les étangs glacés / nous ferons la
ronde éternellement nouvelle / des éternels enfants, voyageurs et blessés, / que
la vie a marqués et que le temps nivelle,
pour passer à leurs doigts ses vieux anneaux cassés.
Lire cette entrevue donnée à Lettres québécoises, n° 43, 1986, p. 15-17. Paradis parle de sa
condition d’écrivain avec beaucoup d’acuité et de franchise: « Une
entrevue de Lettres québécoises avec Suzanne Paradis, poète et
romancière »
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