Comme le dit le titre,
nous sommes devant un « mélange ». Le recueil contient des poèmes,
deux récits et un court roman, Annibal,
que je vais présenter brièvement. Ce roman connaitra une édition séparée (Lévis,
Pierre-Georges Roy éditeur, 1898, 120 pages)
Annibal
Voici l'un de nos
premiers romans du terroir. Napoléon Legendre raconte à gros traits la vie de Jérôme-Épaminondas-Annibal
Ladouceur. Ce nom digne d’un héros, il le doit à son parrain, un fier militaire
qui s'est distingué durant la guerre de 1812. L’action se passe dans les
Bois-Francs. Jeune, Annibal est un tel garnement que ses parents songent à l'inscrire
à l'école de réforme. Il se bat, se lie aux élèves les plus tapageurs et passe
à peine ses cours. Une maladie le cloue au lit. Son amitié pour un jeune garçon
studieux, qui vient l'aider dans ses devoirs, lui fait réaliser qu'il est un
ignorant. À partir de ce moment, il change de comportement et s'intéresse à ses
études. Vient le temps où il doit décider de sa future vocation. Son oncle veut
en faire un militaire et ses parents, un avocat. Il surprend tout le monde en choisissant
de devenir cultivateur. (Voir l'extrait). Les troubles de 1837 éclatent et
Annibal se bat à côté des Patriotes. Après la défaite de Saint-Charles, il se
sauve au Vermont. Pendant un an, il travaille chez un fermier irlandais qui a
épousé une Française. De retour chez lui, grâce à l'argent de son parrain, il met sur
pied une ferme moderne. Une autre année passe et il épouse la jeune fille de
ses amis américains. Quant à la suite, on sait qu'il prospère et qu'il devient
un modèle pour ses concitoyens.
Extrait
Eh bien, mon père,
puisque vous avez la bonté́ de me laisser libre, il y a un état que je
choisirais entre tous, c’est celui de cultivateur.
– Cultivateur ! s’écrièrent
à la fois le père et l’oncle.
– Y penses-tu ! ajouta
celui-ci, Annibal Ladouceur aux mancherons d’une charrue !
– De fait, l’idée me
semble assez singulière, poursuivit M. Ladouceur.
–Je ne ferai rien qui
n’ait votre entière approbation, dit Annibal; seulement vous m’avez demandé
mes goûts, et je les ai déclarés franchement. Maintenant, je suis prêt à
choisir comme vous l’entendrez.
– Mais, en cultivant,
jeune homme, dit l’oncle d’un ton solennel, comment te feras-tu un avenir, et
quels services pourras-tu rendre à ton pays ?
– D’abord, mon cher
oncle, je n’ai pas une ambition extraordinaire, et les honneurs me tentent peu,
pour le moment du moins. Mais, du reste, je ne crois pas que l’état de
cultivateur soit aussi peu relevé́ qu’on cherche à le faire croire. Y en
a-t-il un de plus noble, de plus indépendant ? Voyez le médecin, le notaire,
l’avocat : ne sont- ils pas, au fond, les humbles serviteurs du public qui les
paye ? Lorsqu’ils ont acquis la vogue ou la célébrité́, ils peuvent, jusqu’à
un certain point, choisir leur clientèle et dicter leurs conditions, ce qui est
une des formes de l’indépendance; mais, au début, ne leur faut-il pas, comme je
l’entends dire tous les jours, courir un peu le client ? Je suis loin de
vouloir déprécier ces professions; mais je ne voudrais pas non plus les élever
trop aux dépens des autres. Et maintenant, voyez le cultivateur. Il travaille,
lui aussi, mais librement; et c’est la Providence qui lui paye son salaire.
Avec ce gain, il peut se passer de tout le reste. Quant à son avenir, à la
position qu’il peut se faire, et aux services qu’il rend à son pays, je conçois
qu’un homme qui se contente de suivre la routine ordinaire ne peut ni faire
beaucoup de bien ni arriver très haut. Mais supposez, par exemple, que
j’établisse ici une sorte de ferme modèle, que je fasse de la grande culture,
suivant tous les principes de l’art moderne, croyez-vous que je n’aurai pas
rendu un véritable service à tout mon district, et que je n’aurai pas, en même
temps, fait une excellente spéculation ? Je me contente de soumettre ces idées;
si vous croyez qu’elles aient quelque valeur, vous les examinerez. Je n’ai que
dix-huit ans, après tout; et je puis attendre. Pour ce qui est de l’objection
que mon oncle a soulevée, je dois dire que, parce qu’on est cultivateur, on
n’est pas nécessairement privé de l’avantage de porter les armes pour son
pays. (p. 67-68)
Napoléon Legendre sur Laurentiana
Le Perce-neige
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