Jean Blanchet, Les
feux s'animent, Montréal, Fides, 1946, 181 pages.
« Réformé de l’armée
canadienne, Marcel Durette revenait chez lui, à Ste-Luce-sur-mer, après trois
années de service en Angleterre et en France. » Nous sommes le 2 octobre
1944. Une blessure au combat lui a valu ce retour prématuré. À Ste-Luce, Marcel
retrouve ses parents et son frère Paul, des fermiers qui cultivent la même
terre depuis trois générations. Marcel devait reprendre la terre, mais pour une
raison inconnue, il a abandonné sans explication sa famille et son amoureuse en
1941. Sa petite amie, Thérèse Morin, habite la ferme voisine avec son père et
son frère. Ce dernier fait des études classiques. Pourquoi Marcel est-il parti
en 1941, d’ailleurs avec un des fils Morin? Pour une raison vieille comme le
monde. Les Durette et les Morin sont en chicane depuis toujours et Marcel a compris que leurs parents ne consentiraient
jamais à son mariage avec Thérèse.
De retour, il apprend que Thérèse
voit d’autres garçons, lui qui s’était imaginé qu’elle l’attendrait bien
sagement. Il décide de repartir, cette fois-ci en ville, soi-disant parce que
l’agriculture ne l’intéresse plus et que la terre appartient de droit à son
frère Paul qui ne l’a jamais quittée. En ville, il travaille dans une usine
d’armement, puis comme tourneur dans une manufacture d’instruments aratoires. Il
s’y plait bien. Lors d’un passage à Ste-Luce, il finit par obtenir une
conversation franche avec Thérèse. Les deux s’avouent leur amour. Marcel
voudrait que Thérèse le rejoigne en ville, ce qu’elle refuse par amour filial.
Son premier frère est mort à la guerre et le second va devenir prêtre, ce qui
laisse son père seul sur sa terre, sans descendant pour assurer la transmission.
Trois ans passent ainsi, les deux amoureux se contentant de s’écrire. Les deux
pères finissent par constater la cruauté de leur attitude, mettent leur haine
de côté et donnent leur accord au mariage. Thérèse et Jean vont reprendre la
terre des Morin.
C’est un roman du terroir qui
respecte les trois grands diktats du genre : l’importance de la religion,
la conservation du passé et l’agriculturisme. Voici quelques citations :
La campagne et la ville :
« Le soldat, ayant perdu
contact avec la terre, avait réellement un certain dégoût pour son ancien
métier de cultivateur. La ville, cette mangeuse d'hommes, dont les mirages
avaient attiré des milliers de jeunes ruraux, le séduisait maintenant à son
tour. Il avait confronté les deux existences et il avait désormais fixé son
choix : la campagne avec tout ce qu'elle a de stable et de fécond, ne lui
souriait plus. » (p. 27)
Le rôle du clergé :
« Il était persuadé que le clergé avait non seulement
le droit mais encore l'obligation de s'occuper de l'économique, du
professionnel, car c'est justement dans les domaines où s'accomplissent les
devoirs d'état que se commettent aussi les péchés. Tout ce qui relève de la
morale individuelle ou sociale intéresse au plus haut point les ministres de
Dieu. Et ils sont dans l'erreur les gens qui prétendent que la sphère
d'activité du prêtre se limite aux quatre murs du presbytère et de la
sacristie.
Depuis trois quarts d'heure le jeune homme avait fermé sa
porte de chambre et, à la lueur de la lampe, analysait de nouveau les
enseignements de l'Église sur le travail, le capital, la propriété privée, la
famille et le droit d'association. » (p. 102-103)
La terre, gardienne de la nation,
du patrimoine et de la religion :
« Dans nos paroisses
rurales, grâce à Dieu, Noël garde, dans l'ensemble, son caractère religieux et
n'a pas encore pris figure de cérémonie où règnent l'esprit mondain et les
divertissements les plus profanes. Les éducateurs et les sociologues n'ont pas
tout à fait tort quand ils affirment que notre campagne québécoise demeure une
puissante forteresse qui protège contre toutes les attaques du dehors, nos
meilleures traditions catholiques et françaises. Ce bastion a peut-être ses
points faibles, mais aussi longtemps qu'il restera debout, il n'y aura pas lieu
de désespérer de notre survivance. Pour en fortifier la structure, pour le
maintenir solide ce bastion, il faut des travailleurs, des remueurs de terre,
des pousseurs de charrue, en un mot, des cultivateurs conscients de leurs
responsabilités sociales et nationales, des hommes, des chrétiens, des apôtres. »
(p. 82-83)
L’auteur était agronome et son
roman apporte quelques nouveautés aux « vieux » romans du terroir.
Deux éléments me semblent dignes de mention : le souci chez les
cultivateurs de former des coopératives et la mise en place d’une agriculture
plus scientifique (il y a un agronome dans le roman qui dispense sa science aux
colons). Ajoutons enfin que l’auteur
possède un certain talent à camper ses personnages : « Sous des
sourcils faiblement arqués, ses yeux couleur de noisette brillaient d'un doux
éclat et donnaient à son visage limpide un air réjoui. Le nez était un peu
retroussé, la joue ronde, les lèvres minces et d'un pur dessin. »
Le roman, bien écrit, se termine ainsi : « L’habitant
songeait à la ténacité d’une noble et jolie paysanne, qui ayant vécu de la
terre, généreuse comme elle, réussit un jour à y ramener son fiancé. »
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