Roman baroque, écriture
surréaliste, Profil de l’orignal
d’Andrée Maillet se démarque de la production romanesque des années 1950. Dans
la préface, Gilles Marcotte a raison de faire le lien aussi bien avec Gauvreau
que Miron; le premier par l’écriture, le
second pour la thématique de l’orignal.
On pourrait résumer ainsi
l’histoire. Interne dans un hôpital, Paul Bar soigne un bûcheron-trappeur du nom de John Austin. L’ayant guéri, et
désireux d’aventures, il décide de le suivre dans les bois. Quelque temps plus
tard, John Austin est tué par une mère orignal. Paul Bar s’empare de son petit,
l’élève et « lui donne nom, John Austin ». Il l’habitue à boire du
gin. Un an passe et John Austin « prend le bord pour suivre une
femelle ». Las d’attendre son retour, Bar prend la fuite à son tour. On ne
le reverra pas. Quant à John Austin, privé de gin, il devient fou
dangereux. On dit qu’il vaut mieux ne
pas s’approcher de son ravage. Après avoir pérégriné un peu partout, Bar décide
de revenir sur les lieux de sa rencontre avec John Austin. Il sera piétiné par
l’animal.
De prime abord, on a de la
difficulté à considérer ce livre comme un roman. Seuls le premier et les deux
derniers chapitres sont en lien direct, soit la reprise des mêmes personnages
dans le même contexte : Tous les autres chapitres nous proposent d’autres
personnages, d’autres lieux et parfois d’autres temporalités. Ainsi on se
retrouve aussi bien dans une galerie d’art à Paris qu’avec un professeur à
Columbia; on rencontre un retraité qui rêve de posséder une quincaillerie, un
sculpteur d’objets religieux, un brigand qui s’attaque à un couvent, un patient
qui se confie à un faux psy, un survenant repêché au large de Gaspé, etc. Bref,
on comprend qu’il faut chercher le fil qui relie ces histoires du côté
thématique et formel.
L’auteure nous simplifie la vie
en nous livrant elle-même les clefs de son roman. Tous les autres personnages
ne seraient que des avatars de Paul Bar : « Entre les personnages
qu'il avait composés, si distincts les uns des autres, il existait une
relation; une corde les reliait qui était ce dégoût de lui-même: un monstre
détestant les humains; l'homme qui aimait un orignal. / Il ne lui restait donc
plus rien que cette décision d'aller jusqu'au bout de sa nature, décision qu'il
avait durant quarante ans et en pure perte essayé d'éviter, non de discuter; de
fuir, non de combattre. »
Pour interpréter ce roman à
teneur hautement symbolique, il faut décider ce que représente l’orignal. Je ne
crois pas qu’on puisse se contenter d’une interprétation unique. Comme on l’a
vu dans la dernière citation, Profil de
l’orignal, c’est l’histoire d’un homme qui part à la recherche de sa vraie
nature. Mais cet orignal nous ramène dans un monde primitif, et même dans celui
des coureurs des bois, de la nature québécoise. On pourrait donc dire aussi que
c’est l’histoire d’un homme qui s’est perdu dans d’absurdes circonvolutions
(intellectuelles, mondaines, étrangères…) et qui retrouve son identité, son
berceau originel. Il y a au moins une autre voie d’interprétation, plus
philosophique, sur laquelle nous amène
l’auteure. Je lui laisse la parole (Ici,
Bar est en présence de deux trappeurs) :
« La joie
de le voir revenir à lui se manifesta sur le visage des deux associés. Ils
tuaient les bêtes pour avoir leur fourrure parce que c'était leur métier. La
vie humaine, en revanche, avait pour ces hommes si près de la Nature, une
valeur que les hommes des villes ne lui accordent pas.
Paul Bar les
reconnaissait. Ces gens étaient tels qu'il avait été lui-même.
L'épilogue
ressemble toujours à la préface, songea-t-il. La vie n'a qu'un sens: une ligne
qui va de la naissance à la mort. Le reste n'est que broderie. Pourquoi celui
qui sait cela au départ ne se plante-t-il pas en terre tout de suite? Parce que
précisément il n'est pas tin arbre. Il a besoin de chercher un dérivatif à la
tristesse que lui apporte l'idée de la mort. J'aurais pu passer mon temps
autrement; quelle importance puisque la solution est la même pour tout le monde
et s'impose. Je n'ai pas voulu naître, j'ai aimé la vie et redouté la mort.
J'ai cru l'éloigner en m'attachant à quelque chose d'impossible; il me semblait
que je ne finirais pas avant d'avoir atteint cet impossible: une manière de
m'éterniser. Ce qu'on possède passe avec soi. Ce que l'on n'a pas, demeure. Le
désir allonge-t-il l'existence ou est-ce une illusion? Je vois bien que c'est
une illusion. Pourquoi vivons-nous? Où vont ceux qui n'aiment pas ? Vers quoi
dirigent-ils leurs âmes? Pourquoi aimer puis qu'il faut se défaire de tout? La
mort n'a pas de sens. La vie en a un, jouir, et la mort n'en a pas. La vie n'en
a pas non plus puisque tout le monde ne peut pas être heureux. Oui, les athées
ont raison: la Nature est une force aveugle dans laquelle nous nous débattons
pour en arriver au même terme, cycle après cycle, homme après homme. Vivement
la fin du monde, que se termine l'Horreur une fois pour toutes. » (p.
210-211)
Que penser d’un tel roman? Je
dois dire que je suis partagé entre l’admiration (surtout pour la thématique) et l’agacement (par la
construction alambiquée et, parfois, par l’écriture trop recherchée). Maillet a
joué gros en essayant de lier ce qui ne devait pas l’être au départ (je
présume). Est-ce que le pari est gagnant?
Pas tout à fait, selon moi. Si elle n’aidait pas beaucoup le lecteur, il
ne verrait pas trop ce qui tient tous ces chapitres ensemble.
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