11 juin 2012

Profil de l’orignal

Andrée, Maillet, Profil de l’orignal, Montréal, Amérique française, 1952, 218 p.

Roman baroque, écriture surréaliste, Profil de l’orignal d’Andrée Maillet se démarque de la production romanesque des années 1950. Dans la préface, Gilles Marcotte a raison de faire le lien aussi bien avec Gauvreau que Miron;  le premier par l’écriture, le second pour la thématique de l’orignal.

On pourrait résumer ainsi l’histoire. Interne dans un hôpital, Paul Bar soigne un bûcheron-trappeur  du nom de John Austin. L’ayant guéri, et désireux d’aventures, il décide de le suivre dans les bois. Quelque temps plus tard, John Austin est tué par une mère orignal. Paul Bar s’empare de son petit, l’élève et « lui donne nom, John Austin ». Il l’habitue à boire du gin. Un an passe et John Austin « prend le bord pour suivre une femelle ». Las d’attendre son retour, Bar prend la fuite à son tour. On ne le reverra pas. Quant à John Austin, privé de gin, il devient fou dangereux.  On dit qu’il vaut mieux ne pas s’approcher de son ravage. Après avoir pérégriné un peu partout, Bar décide de revenir sur les lieux de sa rencontre avec John Austin. Il sera piétiné par l’animal.

De prime abord, on a de la difficulté à considérer ce livre comme un roman. Seuls le premier et les deux derniers chapitres sont en lien direct, soit la reprise des mêmes personnages dans le même contexte : Tous les autres chapitres nous proposent d’autres personnages, d’autres lieux et parfois d’autres temporalités. Ainsi on se retrouve aussi bien dans une galerie d’art à Paris qu’avec un professeur à Columbia; on rencontre un retraité qui rêve de posséder une quincaillerie, un sculpteur d’objets religieux, un brigand qui s’attaque à un couvent, un patient qui se confie à un faux psy, un survenant repêché au large de Gaspé, etc. Bref, on comprend qu’il faut chercher le fil qui relie ces histoires du côté thématique et formel.

L’auteure nous simplifie la vie en nous livrant elle-même les clefs de son roman. Tous les autres personnages ne seraient que des avatars de Paul Bar : « Entre les personnages qu'il avait composés, si distincts les uns des autres, il existait une relation; une corde les reliait qui était ce dégoût de lui-même: un monstre détestant les humains; l'homme qui aimait un orignal. / Il ne lui restait donc plus rien que cette décision d'aller jusqu'au bout de sa nature, décision qu'il avait durant quarante ans et en pure perte essayé d'éviter, non de discuter; de fuir, non de combattre. »

Pour interpréter ce roman à teneur hautement symbolique, il faut décider ce que représente l’orignal. Je ne crois pas qu’on puisse se contenter d’une interprétation unique. Comme on l’a vu dans la dernière citation, Profil de l’orignal, c’est l’histoire d’un homme qui part à la recherche de sa vraie nature. Mais cet orignal nous ramène dans un monde primitif, et même dans celui des coureurs des bois, de la nature québécoise. On pourrait donc dire aussi que c’est l’histoire d’un homme qui s’est perdu dans d’absurdes circonvolutions (intellectuelles, mondaines, étrangères…) et qui retrouve son identité, son berceau originel. Il y a au moins une autre voie d’interprétation, plus philosophique,  sur laquelle nous amène l’auteure.  Je lui laisse la parole (Ici, Bar est  en présence de deux trappeurs) :  

« La joie de le voir revenir à lui se manifesta sur le visage des deux associés. Ils tuaient les bêtes pour avoir leur fourrure parce que c'était leur métier. La vie humaine, en revanche, avait pour ces hommes si près de la Nature, une valeur que les hommes des villes ne lui accordent pas.
Paul Bar les reconnaissait. Ces gens étaient tels qu'il avait été lui-même.
L'épilogue ressemble toujours à la préface, songea-t-il. La vie n'a qu'un sens: une ligne qui va de la naissance à la mort. Le reste n'est que broderie. Pourquoi celui qui sait cela au départ ne se plante-t-il pas en terre tout de suite? Parce que précisément il n'est pas tin arbre. Il a besoin de chercher un dérivatif à la tristesse que lui apporte l'idée de la mort. J'aurais pu passer mon temps autrement; quelle importance puisque la solution est la même pour tout le monde et s'impose. Je n'ai pas voulu naître, j'ai aimé la vie et redouté la mort. J'ai cru l'éloigner en m'attachant à quelque chose d'impossible; il me semblait que je ne finirais pas avant d'avoir atteint cet impossible: une manière de m'éterniser. Ce qu'on possède passe avec soi. Ce que l'on n'a pas, demeure. Le désir allonge-t-il l'existence ou est-ce une illusion? Je vois bien que c'est une illusion. Pourquoi vivons-nous? Où vont ceux qui n'aiment pas ? Vers quoi dirigent-ils leurs âmes? Pourquoi aimer puis qu'il faut se défaire de tout? La mort n'a pas de sens. La vie en a un, jouir, et la mort n'en a pas. La vie n'en a pas non plus puisque tout le monde ne peut pas être heureux. Oui, les athées ont raison: la Nature est une force aveugle dans laquelle nous nous débattons pour en arriver au même terme, cycle après cycle, homme après homme. Vivement la fin du monde, que se termine l'Horreur une fois pour toutes. » (p. 210-211)

Que penser d’un tel roman? Je dois dire que je suis partagé entre l’admiration (surtout pour la  thématique) et l’agacement (par la construction alambiquée et, parfois, par l’écriture trop recherchée). Maillet a joué gros en essayant de lier ce qui ne devait pas l’être au départ (je présume). Est-ce que le pari est gagnant?  Pas tout à fait, selon moi. Si elle n’aidait pas beaucoup le lecteur, il ne verrait pas trop ce qui tient tous ces chapitres ensemble.

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